Jane par Charlotte
Jane par Charlotte affiche

2022

Réalisé par : Charlotte Gainsbourg

Avec : Jane Birkin, Charlotte Gainsbourg, Jo Attal

Film fourni par Jour2Fête

Aussi mystérieuse qu’envoûtante, Jane Birkin a marqué le monde du cinéma et de la musique de son regard perçant et de son accent britannique caractéristique. Bien que la jeune génération française la connaisse aujourd’hui essentiellement pour avoir été la compagne de Serge Gainsbourg et la mère de Charlotte Gainsbourg, la comédienne et chanteuse a laissé une empreinte notable sur la culture du XXème siècle. Figure iconique du bouillonnement artistique anglais des années 1960, Jane Birkin connaît son premier rôle notable sur grand écran en 1966 à seulement 20 ans, dans Blow-up de Michelangelo Antonioni, grâce à un rôle mineur qui a néanmoins profondément ébranlé le public de l’époque. S’ouvre alors une filmographie qui atteste de la fascination que lui voue pléthore de cinéastes emblématiques, dans une multitude de registres diamétralement opposés : le drame obscur de Jacques Deray La Piscine; les potacheries de Claude Zidi La moutarde me monte au nez et La Course à l’échalotte; les deux adaptations d’Agatha Christie Mort sur le Nil et Meurtre au soleil; la romance viciée de Jacques Rivette La Belle Noiseuse; ou encore la comédie musicale d’Alain Resnais On connaît la chanson… L’actrice s’est pliée, le plus souvent brillamment, à tous les exercices, durant plus de cinquante ans.

Cependant, la comédienne est aussi célèbre pour ses talents artistiques que pour sa vie personnelle, largement médiatisée à l’époque. Son premier mariage en 1965 avec le compositeur John Barry se révèle aussi bref que désastreux, même si le couple donne naissance à Kate, la première fille de Jane Birkin. Le cœur brisé, l’actrice gagne la France, dont elle adopte la nationalité, et noue une idylle amoureuse avec Serge Gainsbourg en 1969. À plus d’un titre, cette romance qui dure plus de dix ans constitue une étape cruciale dans la trajectoire de Jane Birkin. Outre le fait que les deux amants deviennent les parents de Charlotte Gainsbourg en 1971, le chanteur est un véritable mentor pour sa conjointe, à qui il ouvre les portes de la musique. Serge Gainsbourg offre un répertoire entier à son égérie, qu’elle étoffe ensuite elle-même au fil des années, et qui fait d’elle une interprète émérite. Malheureusement, le mode de vie dissolu de Gainsbarre, le tourment de ses addictions et sa violence incontrôlée mettent un terme à l’union des deux âmes sœurs en 1980, bien qu’ils demeurent très proches. Une ultime romance avec le réalisateur Jacques Doillon entre 1980 et 1992 marque durablement la vie de l’interprète : les deux amoureux deviennent les parents de la désormais célèbre Lou Doillon, en 1982, dernière des trois filles de Jane Birkin. Aujourd’hui davantage chanteuse que comédienne, l’artiste perpétue son héritage culturel en parcourant le monde au gré de ses concerts, accompagnée d’un orchestre philharmonique, reprenant aussi bien les chansons écrites par Serge Gainsbourg que celles élaborées plus tard, au fil de ses collaborations prestigieuses.

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Avec son documentaire intime Jane par Charlotte, Charlotte Gainsbourg se pose en témoin des voyages de sa mère. Entre le Japon, New York, Paris et la maison de bord de mer de Jane Birkin, la réalisatrice suit son aïeule sur les routes, en tentant d’initier avec elle un dialogue particulier, loin de la barrière de leur pudeur habituelle, pour livrer un portrait le plus exact et le plus profond possible de sa protagoniste. Sous le regard de la fille, la mère se dévoile et se laisse aller à des confidences parfois inavouées jusqu’alors.

Pour restituer graphiquement la multiplicité de facettes de Jane Birkin, parfois insaisissable et fuyante, Charlotte Gainsbourg fait usage d’un nombre d’appareils de capture de l’image démesuré, variant constamment l’esthétique de son film. Allant du Super 8 aux caméras numériques, voire même aux séances de poses photographiques dont les clichés sont parsemés au fil du long métrage, Jane par Charlotte tente de faire de son égérie un caméléon, en accord avec ses traits de caractère multiples, parfois contradictoires mais toujours sincères. Par ailleurs, si la fille-réalisatrice s’épanouit le plus souvent dans des instants pris sur le vif, parfois très triviaux, des mises en scènes plus élaborées apparaissent ça-et-là, poussant le plus souvent Jane Birkin à avouer ses sentiments les plus profonds. Lorsque la pudeur invite la comédienne à taire une partie des douleurs de sa vie, Charlotte Gainsbourg l’y confronte, notamment au moment de lui imposer la vue de films de vacances de Kate, l’enfant tragiquement décédé de l’actrice. L’héroïne de Jane par Charlotte a vécu mille vies différentes, et bien qu’elle ne soit jamais aussi sincère que dans sa candeur et sa naïveté exacerbée légendaire, le documentaire invite à explorer tous les aspects de sa psyché en profondeur.

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Mais plus qu’un portrait personnel, Jane par Charlotte est l’occasion pour Charlotte Gainsbourg d’initier un dialogue avec sa mère dont elle se dit initialement dépourvue. Un mur de non-dits sépare les deux femmes, et leur relation se devine taiseuse, faite de sentiments qui n’ont jamais été avoués et que la cinéaste souhaite confier tant qu’il en est encore temps. Dès le début de l’œuvre, face à sa mère, la réalisatrice énonce ouvertement le plan de son long métrage et sa volonté explicite de pousser Jane Birkin à se dévoiler plus que jamais auparavant. L’échange se veut pourtant équivalent : si l’héroïne du film doit se mettre à nue, Charlotte Gainsbourg doit emprunter pareil chemin et conclut symboliquement son documentaire sur des mots d’amour enfin verbalisés, même s’ils sont déclamés indirectement, par le biais d’un enregistrement audio. La relation mère-fille prend clairement l’ascendant sur l’évocation de la vie de Jane Birkin, et un jeu de ressemblances ostensibles s’invite dans Jane par Charlotte, rendant l’implicite explicite. Jane et Charlotte se disent distantes, pourtant des traits de caractère communs profonds les unissent sans cesse. Le leg de la mère se situe dans la douceur de sa fille, dans sa discrétion assumée, mais aussi dans sa témérité pourtant omniprésente. Toutes deux sont délicates mais indéniablement fortes au-delà de leur réserve naturelle. La dynamique qui unit le parent et l’enfant est plus complexe que ne laissent présager les premiers instants, et se manifeste toujours avec surprise, invitant régulièrement Jane Birkin aux larmes. Il convient néanmoins de s’interroger sur la portée du film : à l’évidence, une curiosité préalable pour les deux protagonistes est nécessaire à l’appréciation d’un film qui s’affirme comme une mise à nue.

Si la vie et sa célébration sont le moteur de Jane par Charlotte, la mort est une constante effroyable du long métrage, jetant son ombre macabre sur la trajectoire de Jane Birkin. La visite de l’appartement de Serge Gainsbourg, que Charlotte Gainsbourg est sur le point de transformer en musée et qui a été laissé presque intact depuis le décès du chanteur, apparaît comme un moment fort et incontournable du film. Mère et fille sont unies par la présence spectrale de l’artiste, comme un trait d’union qu’elle n’ose s’avouer. Ainsi, l’héroïne du documentaire confesse à la réalisatrice qu’elle n’a jamais voulu revenir sur ces lieux, même en secret, car elle considère que l’appartement et ses souvenirs appartiennent avant tout à Charlotte, bien que les sculptures et photographies de Jane Birkin y soient en nombre conséquent et que l’actrice-chanteuse détiennent une partie des secrets de la bâtisse. Le deuil impossible lié à la mort de Kate s’impose aussi en fardeau insurmontable pour la protagoniste, qui avoue à la caméra ne pas réussir à y faire face, à jamais ébranlée par la tragédie qui l’a frappée. Jane Birkin se détourne de la caméra et fait de ce moment l’unique instant du documentaire où elle refuse la parole, chahutée émotionnellement par l’exercice de la mise à nue de son intimité. La vie de Jane qui se devine en filigrane, sans être clairement retracée chronologiquement, est faite d’épreuves successives, et à l’étreinte de la mort, l’artiste répond par un élan de vie d’une pureté communicative. Le cancer qui l’a diminuée, et qui terrorise sa fille, pourrait être perçu comme une ultime mise à l’épreuve, mais Jane Birkin accepte son sort, se disant plus peinée pour ses proches que pour elle-même. Plus fort que la résignation, la chanteuse se soucie des autres avant tout, avec un naturel imposant le respect.

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Suivant cette mentalité qui lui a permis de traverser les épreuves de la vie, la protagoniste a fait de la collection des vestiges du passé un pilier de sa construction personnelle. Dans le capharnaüm de sa maison de campagne, Jane Birkin vit entourée de reliques dont elle est physiquement incapable de se défaire. Chaque bribe des temps heureux révolus qui s’éloignent d’elle est un déchirement profond de son âme, une partie significative de sa propre existence qui s’évanouit dans le néant, la laissant seule face un destin désormais solitaire. Empreinte d’un certain fatalisme sur la durée de vie qu’il lui reste à parcourir, la comédienne semble ne plus subsister que pour les autres : ses enfants et petits-enfants. L’écriture de son roman intime est finie, elle aide désormais ses proches à consigner le leur, leur procurant aide et amour, et s’adonne à la relecture de son propre récit, un œil tourné vers le passé. Ainsi, les concerts qu’elle donne tout autour du monde ne mettent pas en avant de nouvelles chansons mais sont des compilations de ses plus grands tubes, comme si son parcours avait pris fin pour laisser place à l’héritage.  

Cette idée invite à une forme de résignation que ne compense que l’admiration que suscite Jane par Charlotte, et l’impression que les combats les plus importants de la vie de Jane Birkin ont déjà été menés reste vive. Certains ont été perdus, comme son mariage avec John Barry, d’autres ont été d’éclatantes victoires, comme son concert donné au Bataclan, où l’artiste s’est volontairement rasée la tête pour se priver des atours de sa féminité et n’offrir au public que sa voix. Toutes ses batailles ont pour traits communs la vaillance et l’abnégation qui ont accompagné la chanteuse frondeuse, à chacun de ses pas. Son héritage le plus vif est assurément dans ce courage sans jamais une once de froideur, dans l’acceptation de sa propre sensibilité, qu’elle souhaite offrir à sa fille venue découvrir son intimité, mais également à sa petite-fille Jo, régulièrement présente à l’écran. La résilience face aux épreuves de la vie et l’amour de ses joies simples sont des vertus que Jane Birkin continue d’incarner, étincelante sous le regard de Charlotte Gainsbourg.

Pour quiconque éprouve de l’intérêt pour Jane Birkin, Jane par Charlotte constitue un documentaire précieux, dans l’intimité d’une icône.

Jane par Charlotte est disponible en Blu-ray et DVD chez Jour2Fête, avec en bonus : 

  • Un livret de photographie de 76 pages

Nicolas Marquis

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