Tastr Time: Thirst, ceci est mon sang…

(Bakjwi)

2009

réalisé par: Park Chan-Wook

avec: Song Kang-HoKim Ok-BinChoi Hee-Jin

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Thirst, ceci est mon sang…” de Park Chan-Wook.

Avez-vous déjà remarqué comment les grandes figures de l’horreur incarnent souvent un prolongement des maux de notre société? Les populaires zombies par exemple peuvent servir à accoucher d’un film d’action banal aussi bien qu’à tisser une critique du monde qui nous entoure. Ce qui est vrai pour les mangeurs de chairs se vérifie aussi chez les suceurs de sang: le vampire a bien souvent été utilisé comme support pour des œuvres qui entendent disséquer plus profondément les pulsions humaines. Ce postulat, c’est celui que va embrasser le génial Park Chan-Wook dans “Thirst, ceci est mon sang…” (qu’on se permettra de raccourcir en “Thirst” pour la suite de notre article). L’histoire au long cours d’un curé (Song Kang-Ho qu’on aime toujours autant ici!) qui se retrouve contaminé par du sang vampire au cours d’une transfusion sanguine alors qu’il sert de cobaye dans la recherche d’un traitement sur une maladie mortelle. Considéré comme un miraculé, l’homme d’Église va tenter de contenir ses élans sanguinaires et vivre en accord avec ses principes moraux en même temps qu’il s’acclimate à sa nouvelle vie. Un équilibre précaire que son attirance charnelle pour Tae-Jun (Kim Ok-Bin) va perturber.

Toute la grammaire inhérente aux œuvres de vampires habite “Thirst” qui se réapproprie les codes du genre. Park Chan-Wook est conscient de l’héritage que porte un tel projet et utilise les ressorts scénaristiques inévitables pour transcender son message. Dans son film, Song Kang-Ho, brillant comme toujours, va être progressivement en proie aux sept péchés capitaux qu’on connaît tous, constituant une nouvelle barrière sociale à chaque fois, un funeste compromis à trouver. Toute cette mécanique usuelle est remise au goût du jour avec une certaine classe dans le long métrage qui nous fait naviguer dans cette ambiance fantastique et sombre. En proposant le héros du récit comme un homme d’Église, Park Chan-Wook va attaquer un symbole clair: rien n’est pur dans “Thirst” et par extension, personne n’est incorruptible dans notre monde.

Tout le vice que le cinéaste insuffle dans sa pellicule semble insidieux, contamine lentement des personnages qui, libres de leurs limites physiques, deviennent progressivement mauvais, comme un fruit qui pourrit lentement. “Thirst” est un film intelligemment malsain, qui invite à la réflexion par une part de dégoût assumée.

« Bisous baveux. »

Le long métrage apparaît également animal, sulfureux: ce n’est pas une surprise venant de Park Chan-Wook, son film est plein de chair qui se frotte et se heurte, de sang et d’images chocs. On devine chez le cinéaste l’envie d’utiliser une forme de violence visuelle pour attaquer la barrière émotionnelle du spectateur, forcer l’attention. La douleur qui frappe les personnages apparaît en conséquence, une fois assimilée, comme une image plus métaphorique de la passion qui peut conduire à la destruction.

Avec un certain talent, Park Chan-Wook va étaler un héros froid et rigoureux. Song Kang-Ho est formidable de justesse dans “Thirst”, il réussit à marier pulsions primaires et tourments de l’âme dans une proposition envoûtante. Cet homme d’Église n’est pas un protagoniste typique, à la psychée clairement délimitée, il est un dilemme ambulant et il faut toute la force du comédien pour réussir à nous y faire adhérer. Il constitue avec Tae-Ju le couple parfait d’amants maudits, parias de la société avant même leur contamination, deux marginaux subitement libérés de leurs entraves.

Techniquement, Park Chan-Wook ne va pas décevoir et les forces qu’on connaît au réalisateur sont omniprésentes dans “Thirst”. On pense principalement à la photo: l’auteur se fait agressif, mordant dans ses choix de cadrage. C’est également dans le contraste des couleurs que le visuel marque, dans ces scènes où le rouge du sang tâche le blanc du décor ou des costumes.

Le principal problème de “Thirst”, et c’est un vrai défaut lourdement handicapant, c’est dans l’enchaînement de ses séquences. Si le montage au sein d’une seule et même scène est splendide, la façon dont Park Chan-Wook va assembler les morceaux de son récit apparaît lourde, un brin ennuyeuse et traînante. Il manque un poil de rythme au long métrage qui dépasse allégrement les deux heures. On ne demande pas un film plus court, mais plutôt quelque chose de plus ludique, moins vaporeux.

Une envie qui est récompensée toutefois dans le travail autour du son: le thème musical aux accords dissonants maintient en alerte alors que le mixage des voix des acteurs donne par instant une ampleur subite et insoupçonnée aux maudits protagonistes de cette histoire glauque.

Il ne fait aucun doute que “Thirst” ne constitue pas le meilleur film de Park Chan-Wook mais le redécouvrir aujourd’hui comblera sans doute les adeptes (comme nous) du génie coréen.

Nicolas Marquis

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