Never Let Me Go

2010

de: Mark Romanek

avec: Keira KnightleyCarey MulliganAndrew Garfield

On continue notre périple dans le cerveau dérangé d’Alex Garland pour ce mois spécial, avec un autre de ses scénarios portés sur grand écran, pour lequel il a même fait partie active de la production: “Never let me go”. À la base une nouvelle au succès retentissant, derrière laquelle se cache Kazuo Ishiguro, un futur prix Nobel. Mais une histoire tout de même relativement bien inscrite dans la filmographie d’Alex Garland et qu’il a su faire sienne comme on va le voir, même s’il n’est toujours pas réalisateur (ici c’est Mark Romanek).

L’histoire se passe dans un univers parallèle, une uchronie: en 1954, la médecine a fait des percées importantes, et l’être humain se met à cultiver des êtres vivants dans le seul but de récolter leurs organes, une fois l’âge adulte atteint. Après trois ou quatre dons, le cobaye meurt fatidiquement. On suit le destin de trois enfants/rats de laboratoire, et leurs amours, des années 70 jusqu’aux années 90.

La patte Garland, on la reconnaît dans cet univers, où le scénariste ne change qu’une variable à notre monde, pour mettre en exergue des choses de notre quotidien, nous les spectateurs. Ici il va forcément amener la question de l’éthique médicale, de jusqu’où doit-on aller ou non pour le bien commun, mais aussi une réflexion sur le sens de la vie et sa nécessité de but. Il faut dire que la nouvelle de base apporte bien cette uchronie différente, aux accents un peu mélos mais bien justifiés, qui pour peu de choses rappellerait l’ambiance de “The Lobster”.

Sentiment conforté par quelques cadrages et choix de perspectives très stylisés, qui amènent un vrai parti pris visuel sympathique. Le cinéma que nous propose “Never Let Me Go” est plutôt déjà-vù et commet quelques impairs, comme cette façon de s’appuyer perpétuellement sur son thème musical. Mais le film sert une cause intelligente et s’approprie bien les codes de la science-fiction la plus philosophique.

« Quand y a plus de pression. »

Le vrai souci de “Never Let Me Go” n’est pas dans ce qu’il propose, où là le script donne suffisamment de biscuit pour être ému, mais davantage dans sa façon de présenter les choses. Prenez les trois héros de l’histoire: chacun sa psyché, chacun son caractère, et surtout trois partitions solitaires: le décor est posé et pourtant on n’arrive désespérément pas à faire cohabiter ces trois protagonistes de manière pertinente.

Absolument pas un problème de talent: Keira Knightley et Andrew Garfield sont tous deux efficaces, et surtout Carey Mulligan qui rêvait de ce rôle est saisissante. L’incarnation on la tient, mais les altercations beaucoup moins. Tous dans leur bulle respective ils avancent désespérément seuls: si c’est sensé être là un autre message du film, c’est raté.

On est en fait face à un pur problème de réalisation, et qui tient au rythme de l’œuvre. En faisant le choix d’une réalisation au long cours, qui s’attarde longuement sur ses scènes, on a bien du mal à tenir en haleine. Pourtant, on a sans cesse l’impression que “Never Let Me Go” pourrait prendre naturellement son envol, mais que le metteur en scène choisit de contraindre son histoire pour ne pas déborder du cadre politiquement correct. Un manque de courage peut-on penser: impossible à prouver mais dans tous les cas, une chose est sûre, le film passe trop vite au remballage une fois le déballage achevé. A peine le temps de contempler qu’on nous force à ranger nos sentiments. Frustrant.

Malade donc, et pourtant on retrouve énormément de traits communs entre ce film qui pourrait sembler un peu en dehors de la filmographie d’Alex Garland, et ses autres œuvres. Indéniablement un film charnière chez l’auteur, comme “Dredd”, le suivant, où sa vision fut légèrement remaniée par le réalisateur, et ceux-ci l’amèneront à laisser de côté la machine à écrire de temps en temps pour passer à la mise en scène.

Doux, versatile, fragile: “Never Let Me Go” est une sorte de romance amère perdue dans un contexte inhumain. Une histoire pleine de potentiel mais un peu sacrifiée sur l’autel du grand-publicise.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire