L’un des nôtres

(Let Him Go)

2020

réalisé par: Thomas Bezucha

avec: Diane LaneKevin CostnerKayli Carter

Alors que la privation de nouvelles pellicules pendant les confinements est parfois difficile à vivre pour les plus cinéphiles, c’est une envie de dépaysement et de voyage qui habite la plupart des spectateurs. Un sentiment bien humain et compréhensible que “L’un des nôtres” va tenter de combler malgré l’actuelle fermeture des salles en nous embarquant pour les plaines désertes et les petites villes américaines, au cœur du Dakota du Nord. Des étendues sauvages où se joue un drame humain: Margaret et George Blackledge sont endeuillés par la perte de leur fils dans un accident de cheval et tentent de maintenir un lien avec l’épouse de leur rejeton et surtout leur petit-fils, désormais orphelin de père. Une poignée d’années plus tard, la veuve se remarie mais Margaret va rapidement découvrir que ce nouveau mari n’hésite pas à molester son épouse et son beau-fils. Lorsque cette famille recomposée déménage sans prévenir à l’autre bout de l’État, George et Margaret vont se lancer à leur poursuite pour protéger leur cher descendant dans ce qui va rapidement virer à la guerre des nerfs avec la famille adverse: les Weboy.

Born in the U.S.A.

Pour rythmer cette plongée dans l’Amérique rurale, le réalisateur et scénariste Thomas Bezucha va allègrement venir piocher dans tout un tas d’éléments relatifs aux grands westerns du pays de l’oncle Sam. Les chevaux, les shérifs, les indiens et on en passe et des meilleurs viennent ponctuer ce récit et lui donner une patte particulière. Autant le dire d’emblée car c’est probablement le plus gros défaut du film: le cinéaste n’est pas très fin dans sa manière de procéder, mais il trouve ici une idée assez séduisante qui inscrit “L’un des nôtres” dans une certaine tradition propre à son pays.

Dans son œuvre, Bezucha affirme également la volonté de confronter deux Amériques rurales diamétralement opposées. George et Margaret Blackledge sont de paisibles éleveurs de chevaux qui vivent dans un certain équilibre avec la nature. À l’autre bout de l’éventail, les Weboy sont d’authentiques Rednecks froids, voire sanguinaires, et assez limités moralement. Un vrai choc des cultures s’affirme entre ces deux familles et va servir de moteur à l’intrigue.

L’ennui, c’est que Bezucha est affreusement peu subtil dans son approche. Les Blackledge apparaissent comme des héros débordant de bonté et franchement caricaturaux tandis que les Weboy accumulent les clichés les plus insupportables. Le trait est bien trop marqué dans cette chronique de l’Amérique profonde et rien ne vient contrebalancer ce constat.

Surtout pas l’interprétation de Diane Lane qui impose cette grand-mère débordante d’amour avec de gros sabots, sans mauvais jeu de mots. Si Kevin Costner est lui plutôt convaincant dans un rôle qu’il connaît par cœur, le personnage de Margaret souffre de véritables soucis d’écriture qui délimitent mal sa personnalité et desquels Diane Lane n’arrivera jamais à s’affranchir. Dans une année compliquée, on ne serait pas étonné de la voir nommée aux Oscars, mais ne vous y trompez pas: c’est justement typiquement ce genre de rôle sans originalité ou authenticité qu’on retrouve chaque année à la cérémonie et qui ne sont construits que dans cette optique.

« Quel seducteur! »

Émotions factices

Ce ressenti de sentiments factices va franchement plomber “L’un des nôtres”, le traînant invariablement vers le bas. On ne peut pas décemment dire que le film ne prend pas aux tripes dès les premiers coups que subissent le petit-fils et sa mère, mais c’est justement cette espèce de prise d’otage émotionnel qui dérange. Les violences domestiques sont un sujet capital de notre époque et il y a quelque chose de presque malhonnête à les voir traitées avec aussi peu de profondeur, se contentant d’en faire le moteur d’un thriller sans réelle consistance.

Pourtant, Bezucha avait la place pour développer cet axe narratif mais il semble manquer complètement le coche. Il essaye bien, on ne lui enlèvera pas cela, mais il rate son but, n’offrant au final qu’une alternance de moments de tension pour le coup assez réussis et temps-morts durant lesquels il tente de développer la psychologie un peu foireuse de ses personnages.

Car le cinéaste ne démissionne heureusement pas complètement de cette mission si capitale, mais il échoue d’une manière assez pathétique, laissant la place à des incohérences à s’arracher les cheveux. Un exemple concret pour que vous saisissiez là où le bât blesse: alors que George Blackledge apprend de la bouche de sa femme les agressions dont est victime son petit-fils, il va remettre en cause la quête de Margaret pour le délivrer: quel genre de grand-père es-tu Kevin? Bien sûr qu’il faut porter assistance à cet enfant livré à lui-même, il n’y a pas d’hésitation à avoir. Bezucha tente de nuancer là où il n’y a pas lieu et passe en accéléré les moments de doutes qui auraient pu être plus légitimes.

Erreurs techniques

On a pas mal chargé ce pauvre Thomas Bezucha qui semble pourtant de bonne volonté, avançant quelques discrètes idées de réalisation. Son jeu autour de la lumière n’est ainsi pas mauvais: elle baigne parfois les personnages dans une clarté qui fait naître un sentiment de bien-être et de sécurité alors qu’à l’autre bout de l’éventail, la pénombre impose une notion de danger. C’est très classique mais exécuté assez efficacement.

Mais aussi pétri de bonnes intentions soit le cinéaste, il fait preuve d’un relatif amateurisme sur certains aspects pourtant importants. Son montage est complètement exécrable par exemple, assemblant des scènes sans aucune notion de rythme global et coupant complètement l’immersion dans cette histoire noire et poisseuse. On aurait volontiers goûté à ce breuvage s’il avait été correctement préparé au lieu d’être dilué à l’extrême dans une philosophie de comptoir.

Il y a dans “L’un des nôtres” un vague sentiment attachant qui fait du film un moment malgré tout intriguant. Mais l’enrobage que propose son réalisateur ne prend pas et rien ne marque dans une histoire pourtant viscéralement choquante. Un long-métrage raté.

Nicolas Marquis

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