Mission Paradis

(Come As You Are)

2020

réalisé par: Richard Wong

avec: Grant RosenmeyerHayden SzetoRavi Patel

À une époque où l’industrie du cinéma américain est devenue telle que seuls quelques auteurs hollywoodiens  peuvent encore imposer leur choix sur des films dits “à gros budget”, l’amateur averti se dirige plus que jamais vers le cinéma indépendant pour trouver un espace de liberté créative et d’audace.

Mission Paradis (Come as you are en VO) remplit-il sa promesse implicite : proposer un récit surprenant et rafraîchissant ? Et pourquoi pas qualitatif ?

Ce film de Richard Wong nous parle d’un voyage initiatique [dans sa version pop et moderne un road trip], celui de trois hommes en situation de handicap vers la perte de leur virginité. Scotty,  Matt et Mo n’ont jamais connu d’expérience sexuelle et cela les frustre à différents degrés. Le long-métrage s’attachera à montrer que leur cas s’explique surtout par leur maladresse, leur timidité ou leur caractère incommodant, mais le temps s’est fait long avant que cette leçon ne leur soit acquise. C’est donc un jour banal où Scotty assiste à une rencontre de handi baseball que la providence lui vient : un des joueurs l’informe qu’il existe un endroit pour « les gens comme eux », une maison close où il pourra aussi connaître les plaisirs de la chair.  C’est ainsi que commencera leur long périple.

Le scénario a l’audace de mêler handicap et dépucelage par le moyen de la prostitution, et sous un parti pris qui est clairement celui de l’humour et jamais celui du jugement. La réalité souvent sordide derrière ce milieu ne sera pas abordée, car volonté est faite de raconter l’histoire d’un seul point de vue, celui de ces « gonzes » en pèlerinage en guise d’échappatoire  à la sinistrose de leur vie. Nous ne jugerons donc pas l’approche de ce thème social sujet à débats puisque l’intention artistique est affichée. La prostitution ne sera qu’un dispositif scénaristique appuyant le caractère absurde de cette quête. Maintenant, reste à voir comment le handicap et la sexualité sont traités cinématographiquement.

« Tricheur… »

On peut parler d’un pas de côté de Richard Wong qui a concentré ses efforts sur le rythme du long-métrage (s’agit-il d’un oubli ou d’un choix ?). Le handicap est très peu traité visuellement, la caméra alternera par-ci par-là quelques plans astucieux mais il ne faut pas vous attendre à une révolution technique quant à la manière de le filmer. Une absence de prise de risque qui est un peu décevante, d’autant plus que malgré quelques perches tendues par le script, la caméra ne narrera pas le handicap. L’objectif du réalisateur réside moins dans l’hyper-empathie que dans le caractère comique du road trip et de ce qu’il peut nous enseigner. Quant au sexe, il sera toujours hors-champ ou suggéré, et aussi traité sur son aspect trivial. Les deux thèmes majeurs en constituent des outils plutôt que d’en être l’essence. Un constat dont il revient à chacun de faire cas selon ses attentes. Cette critique posée, que reste-t-il de Mission Paradis ?

Mission Paradis est un bon film qui réussit à divertir son spectateur et le cajoler sans filtre alors qu’il caresse une thématique difficile. Nous évoquions plus tôt le peu d’audace en pur terme de cinéma mais concédons que parler du handicap par l’humour est aussi une prise de risque, il faut le faire avec justesse et humanité en respectant ceux qui vivent avec. Tout comme « Patients » récemment, Mission Paradis est une réussite sur ce point ! Il est aussi très plaisant à suivre, et gère parfaitement son tempo, chaque pause  sera l’occasion de nous faire mieux connaître les personnages, de les approfondir et de les faire grandir. Les mécanismes du cinéma indépendant sont là : le démarrage dans une petite ville américaine, les couleurs sobres et la photographie proche du reportage, et servent avant tout le récit. Quelques facilités scénaristiques oubliées, Mission Paradis s’en tire très bien dans son exercice et nous implique avec brio dans le périple de ce casting d’outcasts. 

Qu’en est-il au final ? L’académisme du film lui empêche de passer un cap et le contrat est à moitié rempli certes, mais faut-il bouder son plaisir ? Certainement pas. Cette œuvre mérite d’être vue pour son sujet atypique trop peu traité dans la sphère publique ou la fiction, sa direction d’acteurs très bien menée, ses fondamentaux cinéma maîtrisés et sa capacité à nous faire vivre des émotions.

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