Benni

(Systemsprengen)

2019

de: Nora Fingscheidt

avec: Helena ZengelAlbrecht SchuchGabriela Maria Schmeide

Vous allez faire la connaissance d’une petite fille différente, presque animale. Du haut de ses 9 ans, la vie l’a déjà lacérée psychologiquement: des plaies ouvertes qui ne cicatriseront sûrement jamais. Elle ne sait pas comment appréhender les autres, personne ne lui a jamais appris. Une exclue, une laissée pour compte, malgré son tout jeune âge. Ses émotions, elle les intériorise jusqu’à l’explosion, un déferlement de haine qui la pousse à faire du mal, aux autres ou à elle-même. Elle est aussi difficile à vivre qu’attachante, elle n’est pas responsable mais plutôt première victime d’un monde qui la dévore. Benni (Helena Zengel) n’est pas facile, elle s’apprivoise tel un lion, et chaque seconde d’inattention peut coûter cher.

Trimballée de foyer en foyer, les travailleurs sociaux se multiplient autour d’elle, les compatissants comme les haineux. Toute une myriade de personnages, tous plus ou moins usés par le travail, parfois jusqu’aux larmes, qui ne savent pas où mettre clairement la limite entre distanciation et rapprochement pour ne pas devenir des parents de substitution. La mère de Benni est d’ailleurs bien vivante mais elle a contraint sa fille à l’abandon. Glaçant de définir Benni par rapport à son ascendante qui l’a si lâchement délaissée. C’est elle la première coupable des troubles de son enfant.

La ligne directrice du film est claire: dans un exercice où la plupart des oeuvres se perdent en résolutions simplistes, “Benni” ne fait aucune concession. Pas de parcours bidon qui résoudrait chaque problème à coups de baguette magique. Non, la fillette a 9 ans mais est déjà marquée à vie par la cruauté des adultes. Le film est un constat, pas une solution idéalisée.

Conséquence presque immédiate et tour de force véritable: les colères monstrueuses de Benni, celles qui la condamnent régulièrement aux entraves sur un lit d’hôpital, on en partage un certain nombre. “Benni” prend aux tripes et nous immerge dans un quotidien invivable: vous aussi vous allez péter les plombs, vous aussi vous allez souffrir des rejets répétés qu’essuie la fillette.

« C’est bon fait pas la gueule non plus. »

La restitution des troubles mentaux est ici réaliste. Des origines il y en a plusieurs, et des conséquences aussi. “Benni” est un maillage complexe de tenants et d’aboutissants savamment dosés pour donner corps à ce personnage hors-normes. “Hors-normes” est d’ailleurs une expression qu’on emploie malicieusement: “Benni” renvoie presque au film de Toledano et Nakache.

À ceci près que l’armure rutilante que revêtait Cassel et Kateb dans le film français n’est pas présente ici. Ces travailleurs de l’impossible sont marqués par des années de galères et de refus. Ils se trompent, se perdent, s’attachent et souffrent intérieurement. Pas de super-héros mais des gens ordinaires face à une tâche titanesque à l’image de Micha (Albrecht Schuch), l’accompagnateur de Benni.

Pour étaler son propos, “Benni” s’appuie sur un langage cinématographique claire diablement efficace. Au plus marquant on pense à la façon dont la réalisatrice Nora Fingscheidt ajuste la hauteur de sa caméra. Le plus souvent à hauteur d’enfant, celle de Benni, la cinéaste casse ce dogme pour parfois s’élever à hauteur d’adulte, lorsque les encadrants de la fillette se retrouvent tellement investis dans leur travail qu’ils perdent la notion de distance affective nécessaire.

Additionné à un montage intéressant, qui affirme un sens du découpage et du tempo particulièrement réussi, le film est aussi une réussite technique. Jamais incongru mais régulièrement surprenant, on redoute les crises de Benni autant qu’on les sent venir, et la réalisatrice les souligne efficacement en accélérant son rythme de prises de vue. Simple et réfléchi, “Benni” vise et touche en plein cœur.

Pour un être humain, pourvu de sentiments, le long-métrage est une claque. Une gifle aussi douloureuse que capitale. Si votre situation médicale le permet, foncez! “Benni” est l’un des meilleurs films disponibles pour cette réouverture des salles.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire