A Touch of Zen

(Xia nu)

1971

réalisé par: King Hu

avec: Feng HsuChun ShihYing Bai

La vie d’un cinéphile endurci est faite de découvertes et de rencontres inattendues, mais c’est aussi parfois de grands classiques qu’on laisse derrière nous pour une “autre fois”, lorsqu’on se sentira prêt. Inconditionnels de longs-métrages asiatiques, Les Réfracteurs avait ainsi longtemps mis sur la touche “A Touch of Zen”, une oeuvre pourtant fondatrice dans la culture chinoise, puis à la faveur d’une soirée où nos esprits furent enfin réceptifs, on a plongé de pleins pieds dans cette grande fresque cinématographique. L’histoire d’un jeune peintre sans le sou en pleine Chine féodale, Ku Shen Chai (Chun Shih), qui va se retrouver pris malgré lui dans une lutte de pouvoir sanguinaire entre le gouvernement corrompu de l’époque et une mystérieuse princesse en fuite, Yang Hui-Ching (Feng Hsu).

L’autre continent

Sans surprise, “A Touch of Zen” c’est avant tout un enchantement visuel, une œuvre qui transforme le cinéma en machine à voyager dans le temps et qui nous transporte dans cette Chine moyenâgeuse avec beaucoup d’entrain. Le plus évident, ce sont les décors naturels somptueux qui laissent entrevoir cascades sauvages et forêts luxuriantes dans un mélange savoureux. Mais au sens plus large, ce sont aussi ces couleurs marquées, accentuées par la pellicule qui les restitue de manière chatoyante, qu’on observe aussi bien dans les paysages que dans les costumes. Une patte graphique assumée et marquante.

Dans cette géographie de l’émerveillement va se jouer une histoire de révolte, dans la plus pure tradition du cinéma chinois. On met en opposition les puissants rongés par le vice et les gens humbles et déshérités. Dans ce rapport de force, “A Touch of Zen” avance la thèse que le camp vainqueur n’est pas toujours le mieux armé mais peut aussi parfois être celui qui utilise le mieux ruse et intelligence. Ce postulat se retrouve aussi dans une autre confrontation, celle entre militaires et mystiques: la sagesse est la vraie clé du pouvoir. Un brin utopiste mais un propos admissible dans ce qui ressemble par instants à un véritable conte.

L’identité typiquement chinoise de “A Touch of Zen” se ressent aussi dans des chorégraphies millimétrées qui mélangent échanges de coups de poings et d’épées qui claquent fort et des envolées aériennes presque surnaturelles, des instants suspendus où les belligérants se font funambules. C’est un véritable côté précurseur du film qui va influencer durant des décennies le cinéma asiatique, un esprit de la voltige poétique qu’on retrouve par exemple dans “Tigres et dragons”. Le long-métrage devient donc presque avant-gardiste et peut faire étalage de son brio visuel dans quelques scènes oniriques comme la bataille de la forêt de bambous.

« Coup de bâton dans ta face! »

Ambiance et ressentis

A Touch of Zen” se vit à un niveau très sensoriel, il convient de s’en imprégner grâce à l’ambiance qu’il propose avant même de se plonger dans son histoire. Un étalage d’artifices qui font presque du film une œuvre surnaturelle où l’humain et l’impossible se côtoient. Il plane sur la pellicule un parfum de magie alors qu’on évoque régulièrement fantômes et autres esprits. Un propos qui trouve de la résonance dans quelques virgules sonores dissonantes qui viennent couper la musique somme toute un peu classique, mais aussi dans quelques plans où le décor apparaît déformé par l’objectif.

Le plus parlant dans ce sentiment original est sans conteste la manière qu’a le cinéaste King Hu de mélanger bâtiments aux lignes strictes et aux angles droits avec une nature qui envahit petit à petit les habitats. Il n’y a pas de démarcation claire entre les constructions humaines et la végétation dans “A Touch of Zen”, les deux cohabitent dans un étrange mix qui sème le trouble dans l’esprit du spectateur.

Suivant le même processus, on pourrait également mettre en avant la lumière: il y a un certain équilibre entre les scènes de jour très pragmatiques et celles de nuit où le fantastique s’affirme. On passe d’un extrême à l’autre grâce au jeu de lumières du cinéaste et on finit par se laisser envoûter par les éléments discordants qu’il propose. La récurrence du tonnerre par exemple qui ponctue le film, des araignées qui tissent leurs toiles en ouverture du long-métrage, le brouillard qui règne sur une grande quantité de plans… Autant d’artifices qui transforment “A Touch of Zen” en récit au-delà du naturel.

Construction d’époque

Dans la forme, “ A Touch of Zen” s’apparente sans aucune contestation possible à un pur film d’aventure rythmé et habité par un souffle épique qui le propulse dans la catégorie des divertissements grandiloquents. Pour autant, le long-métrage n’est pas dépourvu de fond et peut s’appuyer sur des réflexions plus poussées dans certains domaines: on est loin d’être en présence d’une œuvre idiote et sans consistance. Les échelles intime et politique se mélangent pour livrer une véritable thèse sur le sacrifice et l’honneur. La pellicule s’appuie sur son contexte historique pour réfléchir à ces questions.

Mais le temps qui passe fait parfois outrage à “A Touch of Zen”: son format plus que conséquent plombe un peu l’œuvre et en fait un film parfois lourd et relativement difficile à digérer. Un sentiment qui va être fortement conforté par des virages du scénario un peu confus, le plus grand défaut qu’on trouve à ce récit épique. L’histoire du film est relativement simple mais ses ramifications sont tellement multiples qu’il faut solidement s’accrocher à son fauteuil pour les admettre. Des instants clés dans l’appréciation du long-métrage et qui feront lâcher prise à plus d’un spectateur.

Le statut de film culte qui auréole “A Touch of Zen” n’est pas volé: on est ici en présence d’un morceau de l’Histoire du cinéma chinois. On vous met tout de même en garde devant la relative lourdeur qui habite le long-métrage et qui pourrait être trop pénalisante pour beaucoup,  et aussi devant la nécessité de se replacer mentalement dans le contexte de l’époque.

Nicolas Marquis

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