(The Chase)
1966
réalisé par: Arthur Penn
avec: Marlon Brando, Jane Fonda, Robert Redford
Un commissariat et son shérif, des employés de banque qui s’affairent dans l’établissement, la campagne profonde américaine: autant d’éléments typiques du cinéma américain, proche du western, que va embrasser “La poursuite impitoyable”. En jouant sur ce status quo connu, le long-métrage d’Arthur Penn va s’inscrire dans une lignée claire pour mieux prendre le contre pied et dénoncer les travers d’un pays rongé par l’intérêt personnel. Alors que l’évasion de Bubber (Robert Redford) met sa ville natale en émoi, les secrets et les turpitudes de chacun vont faire surface alors que tous redoutent le retour au bercail du prisonnier. Dans ce climat particulièrement tendu, seul le shérif Calder (Marlon Brando) semble garder son calme alors que le village s’embrase.
L’aspect traditionnel de “La poursuite impitoyable” qu’on évoquait un peu plus haut s’expérimente avant tout à l’écran. Il règne une ambiance bien connue dans le long-métrage, un doux feeling du cinéma de l’époque (les années 60) qui nous rappelle tant de souvenirs. Des décors et sans doute encore plus du grain de l’image se dégage une aura particulièrement attachante, souvent vue et pourtant toujours tellement agréable.
C’est dans les personnages qu’il expose qu’Arthur Penn va se faire acerbe. On multiplie les points de vue différents dans le film avec pour dénominateur commun la mauvaise conscience collective qui pousse chacun à redouter le retour de Bubber. Il existe dans “La poursuite impitoyable” une espèce d’enfer de la ruralité, une morale sombre et opaque que partagent les habitants de la ville.
Seul Marlon Brando apparaît comme réellement positif. Son personnage est le garant des valeurs, le dernier homme droit dans un monde devenu fou. On se raccroche à lui pour encaisser la charge d’Arthur Penn et dans le même temps, on constate tout ce que Calder a de fantasmé: esseuler un protagoniste de la sorte c’est le rendre presque irréel, il se transforme en idéal inatteignable, en concept plus qu’en individu.
« Classe! »
Le shérif évolue dans un microcosme rongé par la cupidité et la vantardise, une société miniature coupable des pires affronts mais toujours innocentée, le nombre faisant la force. L’alcool, les armes et l’argent sont rois dans la bourgade infernale de “La poursuite impitoyable”. On érige en exemple les pires traits de caractères, la magouille l’emporte sur le mérite par KO.
Grâce à cette toile de fond hideuse, Arthur Penn va pouvoir dérouler de multiples axes de réflexions, forcer son public à se positionner et à faire son autocritique. Au plus évident, il y a les rapports humains déviants que décrit le long-métrage: la ville est peuplée d’hypocrites en tous genres prêts à toutes les bassesses pour les faveurs des puissants, il y règne le ragot et la jalousie dans une indécence totale. Bubber est le bouc émissaire tout trouvé de ce cirque organisé.
Les valeurs familiales et tout spécialement filiales sont aussi remises en cause: Calder ne veut pas élever un enfant “à l’ombre d’une prison” alors qu’à l’autre bout de la ville, les fils des magnats du pétrole renient leur aïeux. L’une des caractéristiques du film est son manque d’amour prononcé qui rend chaque idylle plus importante: ni la famille, ni le mariage ne sont des valeurs refuge.
Enfin, Arthur Penn va aussi étendre sa proposition autour du délit de réputation dont souffre Bubber aux autres strates de la ville. Les riches accusent les pauvres, les blancs pointent du doigt les afro-américains, les hommes dominent les femmes. Le cinéaste fait le croquis d’un système terriblement humain qui consiste à trouver qui rabaisser pour se faire mieux paraître. Aussi vomitif que pertinent.
Sorte de western moderne où personne n’est épargné, “La poursuite impitoyable” constitue une proposition prenante dans un cadre qui interpelle, en plus d’être l’une des très bonnes performances de Marlon Brando.