Petite maman

2021

Réalisé par: Céline Sciamma

Avec: Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz, Nina Meurisse

À peine deux ans après son “Portrait de la jeune fille en feu” qui lui a permis d’exploser au yeux du public, Céline Sciamma nous revient avec une nouvelle pastille cinématographique rafraîchissante à travers son dernier long métrage en date: “Petite maman”. Si la cinéaste était déjà observée par les cinéphiles avertis depuis de nombreuses années, son film précédent lui aura sans conteste fait franchir un nouveau cap dans sa notoriété. Pourtant, avec “Petite maman”, la réalisatrice et scénariste du film va faire le choix de l’intime et insuffler énormément de sentiments très personnels à son œuvre, comme si elle répondait à cette nouvelle célébrité par une mise à nue de son âme. En à peine 1h15, cette nouvelle pellicule va s’imposer comme un nouveau marqueur du talent grandiose de Céline Sciamma, entre réussite visuelle indéniable et sincérité rare des émotions convoquées.

Cette histoire, on va la vivre à travers le regard de Nelly (Joséphine Sanz), une petite fille de 8 ans qui vient de perdre sa grand-mère. Alors que l’espace de quelques jours, ses parents vident la demeure de l’aïeule désormais partie, sa mère (Nina Meurisse) éprouve bien des difficultés émotionnelles à accomplir la tâche et préfère laisser notre héroïne seule avec son père pour s’acquitter de la besogne. En se promenant dans les bois environnants, Nelly va faire la rencontre de Marion (Gabrielle Sanz, la sœur de l’autre jeune comédienne principale) et on va rapidement comprendre que derrière ce personnage se cache une évocation claire de l’enfance de la génitrice de notre héroïne.

Céline Sciamma s’inscrit donc dans une logique de voyage dans le temps, mais approchée avec pudeur et retenue. Point de grands effets spéciaux visuels ou de véhicules fantasques pour traverser les temps, on remonte ici les années sans artifices, simplement à travers des indices subtils. La cinéaste dispose bien ça et là quelques madeleines de Proust qui parleront aux gosses des années 80/90, comme une simple gourde aux allures un peu vintage, mais globalement la frontière temporelle n’est pas clairement représentée. “Petite maman” est une errance, celle d’une petite fille qui se réfugie dans l’imaginaire pour tenter de comprendre le désarroi de ses parents, relier les points de sa logique enfantine lorsque les adultes se replient sur eux-mêmes.

« Niveau de construction élevé pour deux gamines quand même… »

C’est cette notion de deuil presque impossible que théorise “Petite maman” le plus intensément, mais toujours à pas feutrés, sans forcer son propos suffisamment clair dans la suggestion. Un double chagrin: celui de Nelly avec toute la candeur de son âge, et plus implicitement celui de sa mère, fragilisée par les événements et qui retourne symboliquement au stade de l’enfance. Céline Sciamma nous renvoie à nos propres peines et décrit l’acceptation de la mort de nos parents comme une étape de régression, un état de fragilité émotionnelle qui nous rend tous égaux face au chagrin, jeunes comme adultes.

Un sentiment précaire qui est appuyé par la représentation de cette grand-mère disparue, désormais retrouvée par cette balade dans le passé. Céline Sciamma en fait une figure naturellement imposante, aussi mystérieuse que bienveillante. Une stature confortée par la logique de mise en image du film qui nous propulse perpétuellement à hauteur de Nelly. C’est parce qu’on vit cette histoire à l’échelle de l’enfant qu’on comprend mieux la fascination de la cinéaste pour cette mamie probablement très inspirée de ses propres souvenirs. Au-delà de l’adieu déchirant, “Petite Maman” est avant tout une déclaration d’amour sincère sans effusion de larmes, davantage dans la célébration de la mémoire.

Toute cette histoire fortement intime n’a pourtant rien d’excluant tant le talent pur de Céline Sciamma pour le cinéma éclabousse la pellicule et flatte l’œil du spectateur. Son montage se fait tout en douceur, presque langoureux, porteur d’une unité de ton relativement originale. Mais c’est peut être, une fois de plus après “Portrait de la jeune fille en feu”, l’art du cadrage de la cinéaste qui éblouit toujours autant. La réalisatrice maîtrise parfaitement le sens du hors champs, posant perpétuellement sa caméra là où l’émotion se trouve, plutôt que de chercher à capter l’action.

Il restera au final de cette séance l’impression agréable d’avoir eu un dialogue à cœur ouvert avec Céline Sciamma, d’avoir compris autant qu’on a été compris nous même, et l’image indélébile de cette fillette seule avec ses sentiments contraires qu’elle découvre, comme marqueur d’une étape incontournable de la vie qu’on traverse tous un jour, la mort de nos premiers êtres aimés et l’approche toujours complexe de la notion de deuil.

Céline Sciamma livre avec “Petite maman” un film bourré de sincérité et de subtilité. une vision relativement unique de la mort, du deuil et de l’acceptation, à travers un regard enfantin très à-propos.

Nicolas Marquis

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