La fille de Ryan

(Ryan’s Daughter)

1970

de: David Lean

avec: Robert MitchumTrevor HowardJohn Mills

Ha l’Irlande! Ses verts pâturages, son whisky, ses vagues qui se brisent le long de ses côtes, son whisky, ses habitants à l’accent chantant, et son whisky aussi… Tout ça, on le connait par cœur, même si on y a jamais mis les pieds. C’est l’une des forces du cinéma: nous propulser ailleurs et nous émerveiller de paysages enchanteurs. Aujourd’hui, on vous propose donc un voyage spatio-temporel avec “La fille de Ryan” de David Lean.

L’histoire de Rosy (Sarah Miles), une jeune femme irlandaise, en 1916. Follement éprise de Charles (Robert Mitchum), l’instituteur du village, notre héroïne va un peu déchanter une fois mariée devant le quotidien ennuyeux de son mari et va vivre une romance extraconjugale avec Doryan (Christopher Jones), un officier anglais stationné à proximité du village alors que la tension politique entre les irlandais et les anglais est intense.

Si vous êtes tombé sur une version remastered, vous avez sans doute remarqué comme nous le talent de David Lean pour filmer de merveilleux paysages. Que ce soit la plage ou les larges étendues d’herbe (mais aucun mouton, scandale!), le réalisateur est amoureux de l’Irlande et réussit à nous transmettre son affection. De quoi se fracturer la rétine devant tant de beauté en un temps record.

En plus du contexte géographique, le réalisateur propose aussi une synthèse intéressante des tensions politiques de l’époque. L’Irlande réclame à corps et à cris son indépendance, et l’ingérence anglaise est particulièrement mal vécue. Répétons-nous, “La fille de Ryan” n’est pas qu’un voyage géographique mais aussi historique, et il utilise suffisamment de pédagogie pour qu’on comprenne les enjeux les plus poussés.

« Collection printemps-été 1920. »

Mais le cinéaste ne se repose pas complètement sur son décor et son contexte, il propose aussi tout un tas de procédés intelligents pour nous faire vivre cette histoire. Pour exemple: cette scène où Robert Mitchum prend conscience de la relation adultérine que vit sa femme. Il erre dans les flashbacks des souvenirs de balades amoureuses de son épouse et de l’officier anglais, comme un spectateur invisible et impuissant. C’est joliment fait, et ce genre d’idées fourmille dans le film, jusqu’à un final insoutenable.

Mais ce qui nous a le plus interpellé, c’est la maîtrise du réalisateur pour imposer son village typique comme un seul personnage, cruel et sans compassion. L’enfer de la ruralité, de ses quolibets et de ses ragots, ça nous parle. Régulièrement, des scènes de foule viennent appuyer ce ressenti, et on admire la maîtrise de David Lean sur ce point.

D’autant plus qu’on retrouve tous les personnages iconiques d’un village sans prétention: l’instituteur effacé, le curé tentant de canaliser la fureur du village, le tenancier de pub hypocrite, mais surtout l’idiot du village. Un homme incapable de parler ou d’exprimer ses sentiments, et qui est la cible des exactions les plus cruelles du reste des habitants. Il est le spectateur privilégié (et forcément gardien de secret par son mutisme) de la plupart des événements et son rôle d’observateur peut facilement devenir métaphore.

Mais pour être honnête, et même si le casting dans son ensemble est impeccable et le décor est bien planté, l’histoire de Rosy en elle-même prend parfois des airs un peu cuculs désagréables. Globalement, cette fresque nous a séduit, mais il n’en reste pas moins que dans certains élans trop romanesques, la jeune femme devient parfois une pisseuse insupportable. On comprend son combat pour l’émancipation et l’amour qui s’affranchit de la politique mais David Lean en fait sans doute parfois trop.

N’en reste pas moins que malgré l’écriture du personnage parfois caricaturale, Rosy reste un vrai premier rôle fort. Pour l’époque, c’est suffisamment rare pour le signaler alors que le manque de tels protagonistes féminins se fait encore cruellement sentir aujourd’hui.

Par son décor et son contexte, “La fille de Ryan” séduit. Son histoire est parfois “too much” mais on y adhère volontiers tout de même, et l’ensemble reste globalement digeste malgré une durée imposante.

Nicolas Marquis

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