Mission

(The Mission)

1986

réalisé par: Roland Joffé

avec: Robert De NiroJeremy IronsRay MacAnaly

Certains films sont si finement travaillés que le ton est donné en une poignée de plans en ouverture. “Mission” est de ceux-là, ces longs métrages qui réussissent à nous immerger dans une ambiance unique en quelques secondes. Il y a d’abord Jeremy Irons, seul face au défi qui l’attend et qui escalade avec difficulté une falaise escarpée où le moindre faux pas rimerait avec mort. Autour de lui, le cinéaste Roland Joffé va convoquer la nature: la terre qui colle aux habits de son héros, la force incommensurable de l’eau qui s’écoule lourdement d’une cascade titanesque en arrière-plan, puis le ciel comme un trait d’union entre tous ces éléments. C’est aussi le fond du film qui s’esquisse doucement alors que notre protagoniste est coincé entre une fatalité dangereuse et la pureté du décor. Puis doucement, on s’imprègne des mélodies harmonieuses d’Ennio Morricone dans une de ses plus belles prestations. L’univers est posé, le drame prêt à être déroulé et le rideau peut se lever.

Mission” nous propulse au 18ème siècle, en Amérique du Sud. Les missionnaires jésuites sont envoyés partout sur le continent pour tenter de convertir les populations indigènes locales, jusque dans les coins les plus reculés. C’est dans un minuscule village que le Père Gabriel (Jeremy Irons) va établir son campement, sa “mission”. Il va bientôt être rejoint par Mendoza (Robert De Niro), un homme brisé par le remords et qui cherche la rédemption auprès de l’homme d’église. Ensemble, ils vont instaurer une symbiose totale avec les autochtones mais cet équilibre va devenir précaire alors que l’Espagne et le Portugal se disputent les territoires et que leurs querelles menacent la survie des “missions”.

Dans un contexte politique particulièrement complexe, où les frontières changent au gré des désirs des puissants, l’Église apparaît presque démunie. Toutes les valeurs qu’elle est censée porter sont contrariées par les puissances européennes et par une hiérarchie cléricale impuissante. C’est toute une institution que Roland Joffé dépeint comme esclave des autres, tiraillée entre son objectif initial et des circonstances exceptionnelles. La foi et les qualités personnelles s’opposent presque aux décisions du clergé alors que le divin est partout dans les décors de “Mission”.

« Cette année, dans Koh Lanta… »

Il en découle une vision particulière de la valeur d’une vie humaine, plus intense que celle bêtement décrite dans les livres, même les plus saints. “Mission” catapulte ses personnages dans du concret brut et rugueux et au terme de cette effroyable opération, le film réussit à tirer ce que l’homme peut avoir de plus foncièrement positif une fois mis au pied du mur. Le pardon, la culpabilité, l’altruisme et le repentir s’entrechoquent dans le long-métrage, ils s’adaptent au décor pour n’en paraître que plus précieux.

Alors que l’avenir de la mission est contrarié, c’est également deux formes de luttes que va opposer “Mission”: la diplomatie dans son aspect le plus non violent, mais également la résistance armée tout aussi légitime. Roland Joffé ne semble pas vouloir mettre en avant un de ces deux dogmes plus que l’autre mais va se faire particulièrement fataliste au rythme de certains rebondissements de son scénario. Une chose est sûre, le cinéaste invite le spectateur à se battre jusqu’au bout pour ce en quoi il croit s’il souhaite vivre sa vie pleinement.

Il s’appuie pour cette idée sur les performances conjuguées de Jeremy Irons et Robert De Niro, tous deux au bout d’eux-mêmes dans cette fresque grandiloquente. Dans ce qui les rassemble et ce qui les différencie, Roland Joffé dresse un éventail intéressant de ce qui fait un être humain une fois poussé à bout. Les deux personnages dialoguent sans cesse, se répondent dans le jeu, ils sont la clé de voûte d’un récit plein d’ampleur.

Au paroxysme des émotions, Joffé termine comme il avait commencé, par une fantastique scène de clôture qui résume à elle seule ce que le réalisateur a travaillé pendant toute son œuvre. Comme en ouverture, il existe dans cette conclusion un accord parfait entre l’acting, le fond du propos, les décors complètement envoûtants et encore une fois la musique de Morricone qui participe à faire de “Mission” un film totalement unique.

Mission” est un beau succès artistique, plein d’envergure, qui vient théoriser sur des concepts forts et profonds avec une certaine maîtrise. Un must-see.

Nicolas Marquis

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