Apocalypse Now

1979

de: Francis Ford Coppola

avec: Martin SheenMarlon BrandoRobert Duvall

Chaque mercredi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Apocalypse Now” de Francis Ford Coppola.

Il y a des films dont le propos est tellement dense, tellement complexe, tellement profond que des dizaines d’années plus tard on écrit encore des livres à leurs sujets. Rassurez-vous, on va tâcher d’être concis pour notre part, mais c’est franchement difficile. Il y a plus d’idées dans un seul plan de “Apocalypse Now” que dans la filmographie de Dany Boon. Certains films caressent la pureté pendant 3h que l’on vit si intensément que le temps défile à toute vitesse. Des films que l’on qualifierait de raffinés si leur sujet n’était pas si malsain par nature. Plongez avec nous dans la spirale infernale, toujours plus loin dans la folie que représente “Apocalypse Now”: plus qu’un film, un chef-d’oeuvre artistique majeur.

Son histoire, elle se vit d’abord au premier degré: en pleine guerre du Vietnam, le capitaine Willard (Martin Sheen) est envoyé en mission secrète pour assassiner le colonel Kurtz (Marlon Brando), un autre soldat américain devenu fou et qui s’est replié, totalement coupé du monde et entouré de fidèles au fin fond de la jungle. Remontant inlassablement la rivière qui le mènera vers leur but à bord d’un maigre rafiot, Willard et quatre hommes qui l’accompagnent vont s’enfoncer progressivement dans la folie la plus totale.

Avant de vous régaler de nos réflexions autour de ce bijou, on vous invite à vous renseigner en parallèle du visionnage sur les conditions de tournage infernales qu’a subies le film, sans jamais le laisser paraître une seule seconde à l’écran. Empoignades avec les militaires locaux, drogues, maladies, typhons: Francis Ford Coppola, celui qui signe l’oeuvre, est allé au bout de lui-même. On raconte même qu’il n’a achevé le montage du film que quelques heures avant sa projection à Cannes. Le réalisateur lui aussi semble s’être lancé dans une entreprise si complexe qu’elle occupera une bonne partie de sa vie.

Pourtant, c’est une masterclass: le cinéaste éparpille son talent, réfléchit le moindre cadre avec une notion de la symétrie (notamment horizontale) complètement folle. “Apocalypse Now” est une descente aux enfers philosophique mais également une oeuvre hypnotique et hallucinogène. L’éclairage est d’une perfection totale, les effets de fumée, parfois de couleurs totalement dissonantes, sont magiques et Coppola affirme un sens de la transition qui transpire le Cinéma dans tout ce qu’il a de plus grandiose.

« Bain de boue »

Son casting est lui aussi fabuleux. Au-delà des apparitions d’Harrison Ford et de Laurence Fishburne, tous deux très jeunes à l’époque, et derrière les prestations cultes de Robert Duvall et Dennis Hopper, il y a un duel exceptionnel qui se livre entre le personnage de Martin Sheen qui tente de s’accrocher aux derniers sentiments qui le gardent “humain”, alors que Marlon Brando a lui depuis longtemps passé le point de rupture et se complait dans cette folie furieuse. Le regard azur et la prestance du premier envoûtent pendant tout le film alors que la voix du second hante pour la vie.

Car c’est ça qu’on retient le plus du film: cette façon d’aller toujours plus loin dans la folie, d’explorer la limite de chacun et d’en dresser une cartographie à mesure que le bateau de nos héros remonte le fleuve. Autour d’eux, le monde se fait de plus en plus sauvage, les gens qu’ils croisent sont de plus en plus dingues jusqu’à ne tenir à la réalité que par un doigt près à glisser. “Apocalypse Now” est éprouvant: c’est le prix à payer pour marquer à jamais.

Le son se met lui aussi au diapason. Musicalement déjà, “Apocalypse Now” affirme son bon goût avec les Doors ou bien sûr Wagner. Mais le long-métrage est aussi un parfait exemple de ce qu’est le travail de montage et de mixage sonore. Ses bruitages créent une ambiance spectrale, qui nous ferait presque sentir la jungle autour de nous.

En plus de définir l’humain par son manque d’humanité justement, le film regorge aussi de petits messages politiques et philosophiques réfléchis. Alors qu’une échauffourée avec les Viêt-Cong bat son plein, un reporter de guerre arrangue la foule en intimant l’ordre aux soldats de ne pas le regarder: c’est une critique de l’appétit du public pour des images crues et de la surmédiatisation des conflits. À chaque visionnage, un autre message apparaît, apportant encore plus de raffinement au tout.

Dans le contexte actuel, avec les tensions sociétales de ces derniers jours alors que les violences policières sont aux centres des débats, et alors que Spike Lee vient tout juste de sortir un film qui fait la révérence à “Apocalypse Now”, on a été frappé de constater que parmi les premières victimes, on dénombre une large majorité de personne de couleur: ce film, vous pouvez le voir dix fois, et y voir dix fois quelque chose de différent. Notre but? Vous avoir donné envie de le voir une première fois! Pour les autres, vous le savez déjà, “Apocalypse Now” est un chef-d’œuvre à savourer autant qu’on le souhaite

Rarement on aura connu une telle addition de talents pour un film au propos aussi riche. “Apocalypse Now” a laissé une marque indélébile dans l’Histoire du 7ème art et tant mieux!

Nicolas Marquis

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