Prince des ténèbres

(Prince of Darkness)

1987

de: John Carpenter

avec: Donald PleasenceLisa BlountJameson Parker

Attention les potes, parce que là on va devoir se parler franchement. On a tous au fond de nos cœurs de cinéphiles des types pour qui on a de l’affection profonde, malgré les défauts qui habitent certains de leurs films. Acteurs ou réalisateurs, on les aime profondément, jusqu’à affectionner même toutes les petites erreurs qu’ils ont faites dans leur carrière. Pour Les Réfracteurs, l’un de ces “intouchables”, c’est John Carpenter. Injustement (selon nous) catalogué comme cinéaste de série B, nous on le classe pourtant au panthéon des dieux du cinéma fantastique. Aujourd’hui mis complètement en marge des grands studios d’Hollywood, après plusieurs échecs commerciaux , il reste pour nous un homme dont notre estime reste intense. Parmi ses films, il en est un que l’on aime, alors que l’opinion publique semble être restée de marbre: “Prince des Ténèbres”. Pas son film le plus connu alors qu’il est pourtant l’un des plus profonds. On remet les pendules à l’heure!

Réunis dans une église à l’abandon à la demande d’un mystérieux curé, une équipe de scientifique étudie une étrange substance qui trône dans le sous-sol du bâtiment. Une terrifiante énergie semble émaner de ce liquide verdâtre qui tournoie sans cesse dans son réceptacle scellé depuis des millénaires. Alors que les événements les plus horribles se succèdent, le voile se lève peu à peu sur la nature de ce contenu maléfique qui s’affirme comme l’un des secrets les plus tabous de l’église.

D’emblée, Carpenter signe son film: rien qu’en utilisant une police de caractère si habituelle pour inscrire le nom de l’équipe responsable du film à l’écran, mais surtout avec une musique aux accents électriques que le réalisateur compose lui-même, on sait immédiatement où l’on est. Dans un univers familier et tendrement horrifiant, dans un monde où le fantastique est à chaque coin de rue. On y est les gars, dans du Carpenter pur jus, et directement on est emporté, excusez nos cris du coeur!

Cette posture caractéristique, il l’accompagne de plusieurs procédés qui sont sa marque de fabrique. Des jumpscares et des élans gore: pas ce qu’on préfère, mais quand le maestro interprète sa symphonie on se tait. D’autant plus qu’on retrouve les trucages d’avant l’avènement des effets spéciaux numériques avec une certaine malice. Le jeu récurrent de Carpenter sur les peurs primaires est aussi de la partie. Son film est peuplé de petites bestioles, de plus en plus nombreuses, jusqu’à faire dresser sur la tête les cheveux des plus sceptiques.

Mais surtout, on reconnaît l’un de ses procédés les plus pertinents: l’affirmation d’une horreur sans visage. Dans “The Fog” c’était un étrange brouillard qui décimait la population, dans “Halloween” c’était un tueur certes, mais au masque inexpressif, comme privé de toute humanité. Mais ici, le maître va employer une méthode bien plus proche de son remake de “The Thing”: le danger peut venir de n’importe qui et n’importe quand. Impossible de deviner à l’avance qui est possédé par cette énergie diabolique et qui ne l’est pas. Cette absence de personnification de l’épouvante la rend encore plus intense. Autre marque de fabrique, ce huis-clos imposé par des protagonistes extérieurs qui bloquent les issues. Ici ce sont des sans-abris (et on reviendra sur cette symbolique) eux aussi possédés par cette force démoniaque, mais ce schéma narratif rappelle tout de même “Assault on Precinct 13”.

« Ça donne soif. »

Plus étonnant, l’aspect chorale du film dans un crescendo funeste et horrifiant. Carpenter n’impose (presque) pas de personnage central, et la multitude de protagonistes à l’écran s’étale. Pour l’affirmer, le montage du film est irréprochable et on se projette aisément dans cette foule d’hommes et de femmes. À bien y réfléchir, c’est peut-être là encore une façon de faire poindre l’horreur à chaque instant: personne n’est à l’abri, et vous non plus les spectateurs!

Mais comme on l’a dit, c’est pour nous l’un des films les plus profonds de Carpenter, voire l’un des plus engagés politiquement. Déjà dans l’image qu’il renvoie de la religion: obscurantiste à souhait mais surtout effroyablement silencieuse sur le savoir qu’elle possède pour mieux manipuler les populations. Elle cache la vérité derrière des mythes farfelus, perfides et barbares. L’église est presque vicieuse dans “Prince of Darkness”.

Plus critiqué encore, le domaine scientifique. Alors que ces deux institutions sont presque à l’opposé l’une de l’autre, Carpenter n’hésite pas à dépeindre les deux avec cruauté. Déjà dans l’image qu’il donne des jeunes académiciens. Intéressés par leur diplôme davantage que par le contenu de leurs études, ils sont frivoles, presque dangereux de légèreté. Pour autant, “Prince of Darkness” n’est pas plus tendre pour les professeurs réputés. Enfermés dans un ultra pragmatisme dangereux, ces “Messieurs-je-sais-tout” montrent tout mais ne démontrent rien. Ils observent, ils mesurent, ils classifient dans une attitude totalitaire qui nie l’évidence.

Le mysticisme et la science mettent le monde en danger avec énormément de vigueur et pour arbitrer ce duel pervers, le peuple. On vous l’avait dit qu’on y reviendrait, les sans-abris qui bloquent les issues (et parfois pire) prennent une autre symbolique si on tente de décoder le film. D’autant plus que parmi eux, certains semblent être en fait de simples travailleurs si on fait un peu attention. Cette population, c’est la classe sociale la plus basse de la société et le film devient un acte de rébellion: les plus pauvres demandent aux plus fortunés des comptes et ils le font ardemment. Cette révolte, Les Réfracteurs la partagent eux aussi. Et ouais les gars, parfois devant un film d’horreur, faire fonctionner son cerveau c’est nécessaire!

Engagé politiquement sous le masque du film d’horreur, “Prince des ténèbre” est un classique d’un des maîtres du fantastique, injustement devenu un paria. Un film à redécouvrir encore aujourd’hui.

Nicolas Marquis

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