Le village des damnés

(Village of the Damned)

1995

Réalisé par: John Carpenter

Avec: Christopher Reeve, Kirstie Alley, Mark Hamill

Film fourni par Elephant Films

John Carpenter: ce nom est pour moi synonyme de peur, de mystère, de rébellion mais surtout d’inspiration. La découverte de son travail a eu un énorme impact sur mon imagination mais surtout sur mon amour pour le cinéma. La carrière de ce cinéaste est passionnante à suivre. Débutant par des films à petits budgets comme Assaut ou bien encore Halloween, Big John se fait très vite remarquer par les grands studios. De cette collaboration naît l’un de ses plus grands films, le paranoïaque et lovecraftien The Thing, qui malheureusement ne rencontre pas son public.

 Au fur et à mesure des années 80, John Carpenter déchante et tombe en dépression face à ces studios qui ne comprennent pas son travail. Le coup de grâce se produit au moment de la production de Jack Burton. La Fox ne comprend pas l’humour et l’inspiration asiatique du film, et  sabote la promotion conduisant ainsi John Carpenter à un nouvel échec.

Affaibli mentalement et physiquement, il se concentre sur les excellents Prince des ténèbres et Invasion Los Angeles, traduisant sa colère et son désespoir.  Puis, sans grande inspiration, il s’attaque sur l’insistance de Chevy Chase aux Aventures d’un homme invisible. John Carpenter le dit en interview “il faut bien manger ». Mais cette indifférence cache une fois de plus une très mauvaise expérience avec l’acteur et la machine hollywoodienne, lui faisant même déclarer être trop vieux pour travailler dans ce milieu, n’ayant plus la force de lutter contre les studios.

En 95 cependant deux films font leurs apparitions sur les écrans, l’un plutôt personnel, L’antre de la folie,et le sujet de cet article : Le Village des damnés.

Un nouveau remake

Le Village des damnés c’est au départ un livre, Les coucous de Midwitch, ainsi qu’une première adaptation en 1960 par Wolf Rilla. Une adaptation qui avait quelque peu déçu les producteurs surtout en ce qui concerne la censure. C’est donc tout naturellement qu’un projet de nouvelle adaptation fit son apparition dès les années 80, une période de plus grandes libertés. Finalement au début des années 90, Universal propose le projet à John Carpenter. Celui-ci, plutôt fan du film de Wolf Rilla accepte la proposition en espérant y apporter quelque chose . Il dira cependant dans des interviews plus récentes qu’il a accepté le projet parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. C’est donc un John Carpenter pas en grande forme physique (il souffre de cancers de la peau depuis le tournage de The Thing) qui s’attaque au projet avec un budget plutôt confortable et un casting solide: Christopher Reeve, Mark Hamill

et Kirstie Alley Malheureusement, c’est un échec critique et public pour le réalisateur qui le conduira à pousser un grand cri de colère et formuler :de vive critique de ce système dans  Los Angeles 2013.

Ce mal aimé Village des damnés est-il aussi détestable que sa légende le dit ? Pour ma part je ne suis pas d’accord, certe ce n’est pas le Carpenter que l’on retiendra, mais même un film mineur cache des trésors en son sein.

La science de la peur

La ville de Midwich semble atteinte d’un mal mystérieux: tout le monde, humain et animal,semble plongé dans un profond sommeil. L’armée et des scientifiques sont envoyés par le gouvernement pour enquêter au côté du docteur Chaffee (Christopher Reeve),le  médecin de la ville ayant échappé à ce mal. Finalement, des heures plus tard, la ville se réveille comme si rien ne s’était passé, mais quelque chose est arrivé. Les femmes de Midwich en âge de procréer tombent enceintes. Elles donnent naissances à des enfants étranges aux cheveux blanc et dotés de  pouvoirs terrifiants.

Si on pouvait voir la première adaptation comme une référence à la guerre froide, celle de Carpenter est une représentation des angoisses de son époque. En 93 est apparu sur nos écrans de télévision la série X-Files. Parmi ses thèmes forts, il y a le complot  extraterrestre mais aussi le gouvernement qui ferait des expériences sur le peuple ou encore les monstres issus de la science et de ses dérives. L’épisode Eve ou bien évidemment Tooms en sont les bons représentants.

On retrouve la même chose dans ce Village des damnés, cet événement n’a pas d’explication. Certes le film nous parle d’invasion extraterrestre, mais lorsque nous regardons les faits, nous voyons que Carpenter nous en dit bien plus. On peut quand même douter de la thèse extraterrestre lorsque nous voyons la façon d’agir des militaires ainsi que de la scientifique jouée par Kristie Alley.  Le gouvernement va passer la ville au microscope, il paye les femmes enceintes pour pouvoir les étudier et faire de leurs enfants des cobayes. On peut aussi penser à l’incident de Tchernobyl, ayant causé des maladies et des difformités semblables à ce que l’on peut voir dans les films, sur le fœtus de l’enfant mort né. Il y a une certaine paranoïa qui habite le film: Peut-on avoir confiance dans le Docteur Verner ? Veut-elle le bien de ces enfants ou simplement les transformer en armes au service du gouvernement ? Si la venue de ses enfants était un phénomène connu pourquoi n’a t’il pas été arrêté? 

Et si ces enfants n’étaient que le produit des dérives de notre société, plutôt qu’un mal extérieur?

Cette paranoïa se traduit sous nos yeux par la façon dont Carpenter insiste sur les regards, le jeu des acteurs très tendu ou bien encore une musique plutôt simple mais oppressante . Beaucoup d’éléments nous sont également cachés, comme l’autopsie du bébé que l’on ne nous montera  que rapidement pour susciter l’effroi.

Il ya ensuite les enfants qui sont dés le départ très dérangeants avec leur cheveux blanc et leur calme apparent. Ils n’agissent pas immédiatement mais tout comme les personnages, nous sentons que quelque chose ne va pas. Le regard des enfants est tout aussi important, ils étudient dans un premier temps leurs parents et leur environnement. Une fois les informations enregistrées et analysées, ils passent alors à l’attaque et jugent la ville de Midwich.

 C’est un monde en mutation qui nous est présenté ici, un monde qui file vers sa destruction. L’invasion se fait finalement comme un virus qui étudie et qui multiplie son environnement pour mieux en faire tomber ses défenses, le détruire pour le remodeler ensuite . Il est dommage cependant que Carpenter ne soit pas aller plus loin dans le développement de cette idée. Montrer que nous étions responsables de notre propre destruction par notre soif avide de progrès ou bien encore par notre faculté à ne pas vouloir voir les problèmes aurait été une analyse pertinente et aurait pu conduire à une ambiance un peu plus science fiction ainsi qu’horrifique.

Une société à problème.

Si le metteur en scène choisit de parler de mutation et d’évolution, ce n’est pas pour nous faire peur, mais pour nous faire réfléchir. Pour cela, il utilise cette histoire pour nous proposer une nouvelle fois une critique de la société et surtout de son évolution. Tout commence par un geste : celui de la perte du libre arbitre et du droit de disposer de son corps comme on le veux.

Une scène illustre parfaitement ce propos. Les gens de Midwich sont tous réunis, complémentent affolés par ce mystérieux événement et les grossesses qui en découlent. Tout le monde semble vouloir se débarrasser des fœtus , surtout les femmes. Le Docteur Werner fait alors un discours apportant soutien mais surtout informant que l’État prendrait en charge tous les frais médicaux en plus d’une allocation pour toutes les personnes qui poursuivront jusqu’au terme leurs grossesses. A ce moment-là, les hommes intéressés par l’argent obligent leurs épouses et leurs filles à garder ces étranges fœtus. Pire, les foetus eux même semblent également priver chaque femme de leurs droits lors d’une scène onirique, les montrant charmer leurs mères.

Pour le réalisateur, ce moment est ce qui conduit à l’arrivée d’éléments perturbateurs qui sèment le chaos dans la paisible ville de Midwich. Dès lors qu’on cesse de se battre pour ses droits et que l’argent devient plus important, c’est le début du chaos.

Lorsque les enfants font leur apparition, c’est une ville totalitaire qui naît. Chaque acte non conforme aux lois strictes imposées par ces blondinets est puni de mort . Il ne faut pas sortir du rang, ne pas avoir de pensées personnelles et obéir à ce nouveau pouvoir. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Dans Invasion Los Angeles, le héros trouve une paire de lunettes et lorsqu’il les portes il découvre alors la vérité cachée, des ordres et règles à suivre pour ne pas être un paria . Une fois de plus, Carpenter nous propose une critique de cette société de consommation qui n’aime pas ceux qui ont des désirs différents du reste de la population.L’uniformité est le but ultime du système. ces enfants ajoutent une autre variante en cherchant à supprimer les sentiments.  C’est alors que nous arrivons au dernier thème de cette histoire, celui qui représente le plus le parcours de son créateur.

L’amour plus fort que tout

Pour Carpenter, ce qui est le plus important dans ses films , ce sont les émotions. Il ne veut pas qu’on réfléchisse sur ses long métrages, mais que nous les ressentions. 

Tout doit être dans les sentiments. Ce désir, s’est de plus en plus opposé à ceux de l’industrie dont le but est de vendre ses films au plus grand public possible. C’est ce que représente le personnage du docteur Chaffee merveilleusement incarné par un excellent Christopher Reeve. Quelle bonne idée de l’avoir choisi pour ce rôle , qui d’autre que l’interprète d’un Superman empli d’espoir pour lutter contre une entité voulant supprimer nos émotions. Le cinéma nous fait rêver, nous fait frissonner, nous fait aimer. 

L’amour est le sentiment le plus important du film. Celui du docteur Chaffe pour sa femme qui le pousse à tenir tête aux enfants jusqu’au sacrifice ultime. Il y a aussi le lien fort unissant une mère et son fils, David, l’un des enfants qui mène vers un acte de rébellion et d’espoir. L’amour nous pousse à nous dépasser, à créer et à lutter pour protéger ce en quoi nous tenons. Le parcours du petit David est intéressant. Chaque enfant fonctionne en binôme, malheureusement lui est seul, sa moitié étant morte à la naissance. C’est par ce sentiment de perte et de manque que le petit garçon commence à découvrir les bons côtés de l’humanité, son rôle et pourquoi nous en avons besoin même lorsqu’il nous fait souffrir. La scène au cimetière entre David et le docteur Chaffe est très belle, aussi bien dans son écriture que dans son visuel. Il a un très bel effet de soleil voilé qui réapparaît, qui apporte de la poésie, de la beauté mais surtout qui illustre bien ce propos sur les sentiments entre les deux personnages.

Un monde privé de sentiment où tout le monde doit être et penser pareil peut-il fonctionner? Pour Carpenter la réponse est non. Il suffit de voir le personnage du prêtre incarné par un Mark Hamill hystérique: C’est un personnage qui devient fou, face à ce régime de terreur instauré par les enfants. Il sombre dans un grand extrémisme au point d’utiliser sa religion et de trahir ses valeurs pacifistes pour s’attaquer tel un Van Helsing à ces monstres. C’est un regard plutôt pessimiste que nous propose Carpenter, même si la fin du film peut apporter une lueur d’espoir grâce à David qui remet en cause le système  et le fuit. Il y a un peu du cinéaste dans ce personnage finalement aussi. La question se pose: Sera t’il suffisant ? Peut-on vraiment changer cette société sans âme qui est en train de naître ?

La maladie

Le Village des damnés est un film malade. On ressent un sentiment de faiblesse et de dépression. La photo est plutôt terne, avec une dominance de vert et une lumière donnant une impression onirique comme si on regardait quelque chose en ayant de la fièvre. C’est une sensation vraiment bizarre, on sent le style de Carpenter mais c’est comme si on avait touché un bouton pour le rendre moins fort. La mort de Mme Chaffe est à la fois belle mais également triste. Nous la voyons au bord de la falaise dans son jardin, la caméra s’éloigne pour arriver sur un gros plan de profil de son mari, la surveillant par la fenêtre, à la fois inquiet et empli d’amour. Il détourne le regard puis intervient un plan sur leur fille qui utilise son pouvoir tandis que ses yeux deviennent rouges. Puis d’un coup, Carpent revient sur la mère dont le visage laisse transparaître la souffrance. Nous comprenons ce qui va arriver. Son mari revient alors à la fenêtre et là il ne voit plus sa femme. Il se précipite à l’extérieur, l’appelant dans un cri déchirant. 

Le Village des damnés c’est aussi ça , un film dépressif, le combat de Carpenter entre l’amour du cinéma et les sentiments sombres qui l’habitent. Ce ressenti apparaît par petites touches, mais ce n’est jamais vraiment exploité. C’est le film d’un artiste qui fait son travail comme un robot mais qui n’en a pas vraiment le goût. C’est un Carpenter, oui, mais un Carpenter fatigué.

Le Village des damnés est une bonne adaptation qui respecte l’essence de l’œuvre de base et rend hommage à la précédente tout en réussissant à l’ancrer dans les années 90 et ses problématiques. Carpenter nous propose une réflexion sur la société et ses angoisses sur ses transformations. Il nous parle aussi de l’importance des sentiments dans la création mais surtout dans notre libre arbitre. 

Le film ne va cependant pas au bout de ses réflexions. Il reste assez classique. C’est un Carpenter triste et fatigué qui nous livre une mise en scène faisant le minimum syndical malgré quelques fulgurances poétiques ainsi que tragiques. C’est une œuvre mineure dans sa filmographie mais un  film qui reste plaisant et divertissant grâce à son casting, avec en tête un Christopher Reeve touchant. Malgré ses défauts, Le Village des damnés est un film touchant et attachant.

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