Invasion Los Angeles

(They Live)

1988

réalisé par: John Carpenter

avec: Roddy PiperKeith DavidMeg Foster

Ils sont partout! Ils sont là, à la vue de tous sous leurs déguisements d’êtres humains, des extraterrestres à la tête horriblement décharnée. Ils vous observent, vous manipulent, vous poussent à toujours plus obéir et consommer dans un monde qu’ils dirigent. L’illusion les protège, vous ne pouvez pas voir leur vraie apparence ou les messages subliminaux qu’ils cachent dans les panneaux publicitaires et les spots de TV mais pourtant, ils sont omniprésents. Seule une poignée d’êtres humains, dont Nada (Roddy Piper), sont au courant de leur machination diabolique et peuvent entrevoir la vérité à travers des lunettes de soleil spécialement conçues. Résistez tant que vous le pouvez encore!

Voilà en quelques lignes un résumé qui vous propulse dans l’univers de “Invasion Los Angeles” du maître de l’horreur John Carpenter. Un principe ludique, immersif, qui permet au réalisateur de s’amuser derrière la caméra. Comme souvent, le metteur en scène est malicieux, presque enfantin et son plaisir est communicatif. Mais comme régulièrement, il pourrait apparaître un certain manque de maturité dans la construction du film pour les plus tatillons. Pas pour nous! “Invasion Los Angeles” est un plaisir qu’on ne qualifierait même pas de coupable, une œuvre qu’on revendique, qu’on défend, qu’on aime.

Un parti pris d’autant plus assumé que le réalisateur va faire étalage de son talent: jeu de perspective, couleurs acides et cadre fantastique, le cinéaste signe son œuvre. Un film de Carpenter ne ressemble à aucun autre et “Invasion Los Angeles” est emblématique de son style. La plus belle preuve de ce ludisme total réside sans doute dans le jeu des panneaux d’affichage qui pullulent pendant tout le film, même passé la découverte des messages cachés. Carpenter harcèle, impose, prend à la gorge et s’en amuse.

L’autre aspect du film qui atteste de toute cette folie douce prend racine dans les dialogues. Punchline sur punchline, “Invasion Los Angeles” est une collection de répliques devenues cultes et désormais solidement ancrées dans la pop culture. Notre préférée? Nada qui clame haut et fort en rentrant dans une banque: “Je suis là pour mâcher du chewing-gum et botter des culs, et j’ai plus de chewing-gum!”. Mythique.

« Trop de sauna. »

Mais aussi léger soit le film, on peut voir au-delà de ses apparences de divertissement pour disséquer un peu plus profondément son concept et tout ce qu’il a de séduisant. Il y a d’abord l’immersion dans un univers alternatif: en faisant de nous des élus, conscient du complot qui se trame à l’inverse du reste du monde, Carpenter nous propulse en témoins privilégiés. Il force l’implication dans le récit en nous offrant une vérité taboue. C’est presque comme si nous étions à côté de Nada, nous aussi lunettes de soleil sur le nez.

Vient ensuite le second niveau de lecture. En affirmant notre réalité comme factice, le cinéaste invite le spectateur à s’interroger sur le monde qui l’entoure. Bien sûr, nous ne sommes pas entourés d’extraterrestres au quotidien, mais derrière le concept de “publicité”, il y a bien l’ordre implicite de consommer. Comme Nada dans le film, il faut voir au-delà des apparences et réflechir à notre condition de consomateur parfois un peu idiot.

C’est d’autant plus concret que la limite entre les gens normaux et les E.T. est presque politique: à plus d’un tournant, “Invasion Los Angeles” devient presque anarchiste. Les classes les plus modestes sont esclaves de ces êtres venus d’ailleurs qui occupent les places de dirigeants. Pour qui se donne la peine de le voir, le long-métrage est un pavé lancé dans la vitrine de notre société, un brûlot.

Sentiment conforté par le personnage de Nada: un peu frimeur et charismatique, certes, mais néanmoins un héros issu du peuple, un travailleur manuel qui lutte pour terminer les fins de mois. Avec lui, c’est toute une population opprimée par le capitalisme qui se soulève. Un super-héros de l’ordinaire qui est la manifestation surréaliste d’un ras-le-bol général.

Petit monument de la pop-culture, “Invasion Los Angeles” n’en oublie pas moins d’être pertinent, porteur d’un message de rébellion caché sous ses airs de divertissement facile.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire