Tastr Time: Les innocents

(The Innocents)

1961

réalisé par: Jack Clayton

avec: Deborah KerrPeter WyngardeMegs Jenkins

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Les innocents” de Jack Clayton.

Une bâtisse qui sort de la brume comme un vaisseau fantôme, à l’intérieur un vaste hall à l’escalier de bois massif et un peu partout des chandeliers qui offrent quelques faibles lueurs au milieu d’une nuit opaque: aucun doute, plonger dans “Les innocents” aujourd’hui, c’est se retrouver au coeur d’un environnement connu des cinéphiles, le manoir hanté. Un endroit propice à la peur la plus viscérale comme l’a souvent montré le septième art et comme le long métrage qui nous intéresse aujourd’hui a aidé à codifier. Le récit que met en images Jack Clayton est connu, maintes fois convoqué au fil des années par différentes œuvres, avec plus ou moins de talent. Miss Giddens (Deborah Kerr) est une jeune gouvernante embauchée pour veiller à l’éducation de Flora et Miles, deux orphelins qui vivent reclus dans la campagne britannique avec pour seule compagnie les employés de maison. D’abord heureuse de son nouveau poste, la jeune femme va rapidement céder à la panique devant des manifestations surnaturelles de plus en plus affreuses. Le manoir serait-il hanté?

Avant de disséquer la pellicule avec notre style habituel, il convient de replacer “Les innocents” dans son contexte et de réfléchir à l’appréciation qu’on se fait aujourd’hui du film. Hautement original par son scénario et sa réalisation à l’époque de sa sortie, le long métrage a fini par influencer tant d’auteurs différents qu’on connaît son histoire malgré nous. Entrer aujourd’hui dans le domaine solitaire de cette famille anglaise, c’est évoluer dans un environnement qu’on reconnaît, où chaque virage de l’histoire est propice à un “Ha! Ça vient de là!” sorti à pleins poumons, avec notamment la dernière saison de “The Haunting Of…” en tête. Une vraie curiosité pour les cinéphiles accomplis mais qui pourrait lasser le reste du public: pour connaître ses codes, il faut connaître ses classiques, mais on ne peut pas exiger une telle ténacité de tout le monde.

C’est peut-être aussi pour cela, et c’est le principal regret qu’on formulera à l’encontre des “Innocents”, que le film semble rater son climax. On aura beau faire le plus spectaculaire des efforts de contextualisation et se mettre dans la peau du public de l’époque, soyons francs, il nous a semblé qu’il manquait quelque chose au script, surtout au moment du dénouement final. Un petit rien qui donnerait de l’ampleur à l’ensemble, un domino de plus qui tomberait, un ultime coup de fouet. Mais admettons ce léger outrage du temps également car “Les innocents” offre quantité de choses qui réjouiront les plus exigeants, et c’est surtout une histoire d’équilibre que cette proposition de Jack Clayton.

« PÉTOCHE »

Une balance qu’on retrouve déjà à l’image. Le travail de lumière impressionne: si on pense en premier lieu aux scènes qui font la part belle à l’éclairage naturel d’une bougie ou d’un feu de cheminée, c’est l’ensemble du film qui semble avoir été étudié avec minutie. Chaque niveau de gris donne un ressenti différent aux scènes du film, une atmosphère qui évolue en fonction des nuances visuelles. Un soin de l’image magnifié par un montage efficace et une photo brillante qui alterne plans sur les visages horrifiés des protagonistes et instantanés sur des objets usuels qui deviennent d’un coup presque iconiques.

De quoi offrir un délicieux sentiment de vertige, l’impression qu’on sombre dans la folie en même temps que Miss Giddens. Avec une certaine malice, Jack Clayton va venir parasiter le champ auditif au détour de quelques séquences où une voix-off nous restitue les pensées de l’héroïne. Superpositions, changements de localisation, effet spectral: la sphère sonore est elle aussi réfléchie.

L’équilibre, il est aussi dans l’interprétation de Deborah Kerr. Suffisamment légère d’esprit pour qu’on éprouve sa surprise en même temps qu’elle, mais suffisamment intelligente pour qu’on ne méprise pas son personnage, l’actrice va puiser dans ce script écrit autour de son rôle pour offrir une prestation remarquable. Il reste en mémoire le souvenir de sa démarche apeurée dans les couloirs sans fin du manoir Bly.

Cette bâtisse va elle aussi jouer sur le fil pour ôter nos repères. Impossible de se sentir en sécurité chez les Bly, les jardins paraissent d’abord enchanteurs, un refuge aux horreurs du manoir, puis tout d’un coup se font menaçants. L’intérieur du logis subit la même évolution et on alterne entre moment de stress intense et périodes plus calmes sans jamais être totalement serein. Un jeu vicieux dont Jack Clayton se fait maître.

L’équilibre qui permet aux “Innocents” de trouver toute sa magnificence est enfin dans la construction de son scénario. La quête de vérité apparaît périlleuse: plus Miss Giddens perce les secrets qui l’entoure, plus le danger la menace. C’est alors que le titre du film nous revient: “Les innocents” brillent par leur absence dans le film, personne n’est irréprochable, peu importe son apparence, et surtout nul n’est à l’abri.

Les innocents” est un classique de l’horreur qui a posé les codes du film de maison hantée. Le revoir aujourd’hui, c’est peut-être le vivre avec moins de surprise qu’à l’époque mais c’est surtout dépoussiérer un vrai jalon de l’Histoire du cinéma.

Nicolas Marquis

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