La rivière rouge

(Red River)

1948

réalisé par: Howard Hawks

avec: John WayneMontgomery CliftJoanne Dru

Un Réfracteur doit toujours être prêt, alors quand on nous dit “Howard Hawks, John Wayne et les plaines du Texas”, on enfile nos bottes de cowboy et on part à la ferme du Vallon enfourcher le plus beau destrier pour partir dans le soleil couchant, clope au bec. Mais rassurez-vous, avant de chevaucher vers l’horizon, on vous offre votre réfraction quotidienne autour de “La rivière rouge”, un western qui sent bon le cuir de vache. L’histoire de Thomas Dunson (John Wayne), un homme qui décide de tout plaquer pour aller élever des vaches au fin fond de la cambrousse (alors oui, dit comme ça c’est étrange, mais à l’époque de la conquête de l’Ouest, c’était le rêve). Malheureusement, les années passent, et avec elles la guerre de sécession, et le vaste cheptel de Dunson ne vaut plus grand chose. Il décide donc, aidé de Matt Garth (Montgomery Clift), son fils spirituel, et d’une multitude d’autres hommes, d’emmener tous les bovidés vers le Mississippi où le prix du bétail est plus attrayant.

Les vastes étendues arides que traverse une maigre rivière, les réunions autour d’un bon feu de camp et d’une bouteille de whisky, et les fusillades contre voyous et indiens: “La rivière rouge” s’inscrit dans la grande tradition du western en épousant presque tous ses codes. Rien d’anormal pour le cinéaste Howard Hawks qui a contribué à instaurer ses éléments récurrents du genre. Visuellement, le long-métrage se fait grandiose, démesuré même: il y a quelque chose de presque hypnotisant dans la longue procession des vaches menée au claquement des fouets. Pour autant, Howard Hawks n’idéalise pas l’Histoire américaine. Son décor est synonyme de danger pouvant survenir à tout instant. Les intempéries, les voleurs, les indiens (sans les diaboliser) sont autant d’embuches sur le parcours dément de Dunson.

Sous couvert de western, “La rivière rouge” va en fait dérouler toute une thèse sur la notion de tyrannie. Dunson, poussé dans ses derniers retranchements par les événements, va s’affirmer de plus en plus en leader totalitaire. Avec un certain talent, Howard Hawks fait de l’ascension de son personnage principal un itinéraire de la dictature. Un protagoniste cohérent qui interpelle dans un film américain tant il peut parfois paraître à contre-courant des idées reçues sur les légendes de chez l’oncle Sam.

« Bienvenue au Buffalo Grill. »

En réaction, “La rivière rouge” va également dessiner la place de “l’homme juste”. Quand courber l’échine et quand résister? Comment faire entendre raison à celui qui a perdu la tête? Comment renverser son pouvoir? Howard Hawks oppose les mentalités dans ce qu’elles ont de plus profondément ancrées et réussit à placer intelligemment le compas moral dans un pur film d’aventure.

Un poil irritant dans ce contexte que le réalisateur ne réussisse pas totalement à tenir sa ligne conductrice. Alors que le basculement entre ambition et obsession est réussi, les résolutions des péripéties apparaissent un peu naïves, voire forcées. Elles donnent l’impression d’être incongrues dans le déroulé du long-métrage, comme s’il avait fallu conclure et que Hawks ne savait pas comment complètement fermer sa parenthèse. Rien de tellement rédhibitoire mais un sentiment d’inachevé.

À l’opposé des rôles qu’on lui connaît d’ordinaire, John Wayne endosse ici avec talent le costume de l’anti-héros, celui auquel on s’attache bien qu’on condamne ses actions. Soyons francs, Les Réfracteurs ne vouent pas d’admiration particulière pour un acteur souvent limite politiquement, mais il y a quelque chose de diablement intéressant à le voir assumer toute la noirceur de son personnage. On est loin du justicier caricatural, le comédien se met presque en danger, lui et son image.

En parfait symétrique apparaît Montgomery Clift, juste ce qu’il faut dans l’ombre de John Wayne pour laisser le film respirer, mais également suffisamment dans la lumière pour prendre par moments l’œuvre à son compte. Certes, c’est lui qui apporte cette part de candeur qui nous a un peu laissés froids, mais dans le même mouvement s’esquisse une notion de succession et de filiation spirituelle qui réussit à viser juste et à toucher sa cible.

La rivière rouge” n’est pas qu’un pur western: s’il en épouse efficacement les codes, il réussit également à s’en affranchir naturellement lorsque le récit tente d’élever son propos, malgré quelques facilités.

Nicolas Marquis

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