2014
de: Alex Garland
avec: Alicia Vikander, Domhnall Gleeson, Oscar Isaac
C’est presque naturel. Arrive un moment où à force de trainer dans les bureaux des studios hollywoodiens, quelqu’un finit par vous remarquer, et vous propose de passer à la réalisation. À force de scénarios et de productions, et en amenant avec lui une part significative du boulot, Alex Garland, notre cible de ce mois de juin, devient donc réalisateur avec “Ex Machina”. Presque normal certes, mais embrasser sa chance à tel point pour un premier film n’a rien de normal, c’est du génie.
Vainqueur d’une loterie lui offrant le droit de passer une semaine dans la luxueuse demeure de son employeur Nathan (Oscar Isaac), un inventeur de génie, Caleb (Domhnall Gleeson) va rapidement découvrir ce pourquoi on l’a fait venir: pratiquer un “test de Turing”, un exercice de contrôle pour savoir si une IA est véritablement intelligente ou non, sur Ava (Alicia Vikander), une androïde avec laquelle Caleb va tisser un lien fort.
Déja, posé comme ça, on voit que quelques noms sympathiques se sont joints à l’aventure menée par Alex Garland. On évitera la blague sur Star Wars, alors qu’on évoque un film qui réunit Oscar Isaac et Domhnall Gleeson presque en même temps que l’épisode VII, en réaffirmant notre amour pour les deux comédiens mais aussi pour Alicia Vikander. Immédiatement, on impose un socle solide pour développer un propos réfléchi.
Car c’est peut-être ça qu’on aime le plus dans “Ex Machina”, la façon dont il flatte notre intelligence insidieusement pour nous manipuler et surtout pour pousser la réflexion encore plus loin. Réfléchissez aux injonctions récurrentes de Nathan qui félicite Caleb pour des choses à priori anodines pour deux développeurs: elles vous sont adressés à vous spectateurs, pour récompenser votre assiduité. Une pratique connue que Garland va adopter pour porter encore plus loin son message, d’une voix forte et claire.
« Rentre chez toi Inspecteur Gadget! »
En jouant sur un seul paramètre, celui d’une IA réussie ou non, Garland interpelle la société sur une foule de questions qui se poseront un jour. À partir de quel stade une IA devient une forme de vie, quel traitement est possible ou non de lui faire subir, ou jouit-elle des mêmes droits que nous, peut-on s’y lier émotionnellement… On en passe et des meilleurs. Garland est dans un raffinement le plus total de l’écriture pour alimenter ce foyer de réflexion.
Mais celui qui a été longtemps scénariste n’oublie pas de ponctuer son récit de nombreux rebondissements, mais toujours dans le ton du film: celui d’une tragédie au sens le plus littéral du terme. Sans cesse, un élément nouveau vient redonner du pep’s à l’ensemble.
Un sentiment de claustrophobie progressive alimente également bien le crescendo de tension. Cloisonné, enfermé, prisonnier: on partage chacun des sentiments de Caleb et Ava. Garland en profite pour en tirer un message encore plus profond. Quel besoin de Dieu? Existe-t-il ou est-ce qu’on le crée nous-même? Est-il vicieux ou son dessein imperceptible? Tout cela, le cinéaste va réussir à l’évoquer avec énormément de pertinence, inédit pour un premier film.
Mais Garland ne travaille pas que le fond, la forme est elle aussi flattée. Un sens des lignes, épurées à l’extrême, habite le film. Que ce soit les traits de l’immense demeure, ou son opposition à la nature qui l’environne, le réalisateur est pleinement conscient de ses cadrages et magnifie idéalement la symétrie de ses plans. Une masterclass de réflexion et d’esthétisme.
Sa réputation de perle de la SF moderne, “Ex Machina” ne l’a pas volée. Parfois, rarement mais de temps en temps, la hype se vérifie. Le premier film d’Alex Garland est de ceux qui ne déçoivent pas.
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