Bluebird

2020

de: Jérémie Guez

avec: Roland MøllerLola Le LannVeerle Baetens

Qu’est-ce qui rend le cinéma si particulier? Beaucoup d’entre vous s’empresseraient de répondre l’émerveillement, et on partage en partie votre opinion. Voyager aux confins de la galaxie ou simplement à l’autre bout de la terre. Plonger dans le Moyen-âge et ses combats de chevaliers ou s’immerger dans un futur où les voitures s’envolent. Mais franchement, ce serait réducteur pour le 7ème art: il existe aussi des films simples, qui pourraient avoir lieu à deux pas de chez vous, aux personnages terriblement réalistes qu’on confronte pour accoucher d’histoires cohérentes. Ça, c’est pas du dépaysement et pourtant quand c’est bien fait, ça vous prend aux tripes avec férocité. Peut-être que c’est davantage cette idée qui rend le cinéma si intense: la façon dont cet agréable coup de poing laisse une empreinte en chacun de nous.

« Bluebird” est bien plus de cette famille des films cohérents, ceux qui exposent les travers de la vie réelle à l’aide de personnages simples mais efficaces. Son histoire, elle pourrait être vécue chaque jour: celle de Danny (Roland Moller), un ancien détenu tout juste sorti de prison mais avec un bracelet électronique à la cheville. Il s’installe dans un hôtel un peu crade et fait la plonge dans un restaurant proche pour survivre. Mais dans le même temps, il va se lier d’amitié avec Clara (Laura Le Lann), une adolescente élevée seule par Laurence (Veerle Baetens), la gérante de l’hôtel. Lorsqu’un soir, la jeune fille est victime de ses mauvaises fréquentations, Danny va la défendre bec et ongles.

Un scénario un peu déjà-vu, qui ne verse pas dans l’originalité mais bien plus dans la cohérence. Une histoire d’apparence banale aux premiers instants mais bien réinterprétée, qu’on aborde avec un angle nouveau. En somme, une vieille recette que l’on connaît presque mais savoureusement remise au goût du jour. Une impression que confirme la réalisation de Jérémie Guez: sans jamais être tape-à-l’oeil, mais en faisant plutôt le choix de l’intime, restituant des scènes du quotidien tout en longueur pour nous immerger un peu plus, le cinéaste voit juste. D’autant plus que ça ne l’empêche pas d’accélérer le montage dans les moments où la tension est plus intense. Une rythmique plutôt agréable et maîtrisée.

« Et voilà la mariée! »

Les personnages sont eux aussi dans une optique de cinéma-vérité: Danny galère tout en bas de l’échelle sociale, mis au ban de la société par son cruel passé. Rugueux et solitaire, il n’est pas le héros ordinaire mais le héros DE l’ordinaire. Clara passe par le même procédé: paumée, en manque de repère et fragilisée par l’absence de son père, Jérémie Guez lui permet de s’épanouir sans clichés. Pas de personnages lisses et hors du commun, ici c’est la vérité du caniveau qu’on expose, pas celle des projecteurs hollywoodiens.

Dit comme ça, on sent bien que la plupart d’entre vous redoute une histoire resucée, déjà vécue mille fois. Et franchement les gars, on ne peut pas vous donner totalement tort, le long-métrage manque un peu de souffle, d’ampleur. À plus d’un moment on a eu aussi ce sentiment, surtout dans cette alchimie entre le héros et l’adolescente proche du cinéma de Jacques Audiard. Mais la justesse du récit permet de donner au film des airs de piqûres de rappel intéressantes à vivre, loin d’un plagiat facile.

Et surtout, il reste une recherche psychologique pertinente: en gardant sa cohérence dans la trajectoire des personnages, et en faisant le choix de taire le passé du héros, le film réussit à amener des idées profondes sans forcer. Les valeurs de la société, “Bluebird” en fait un triste constat, voire en impose le deuil. Danny est un homme froid et solitaire certes, mais peu à peu, on découvre un personnage droit moralement. Son honneur, il le montre probablement mal mais il est loin d’en être dépourvu, et on comprend sa psyché.

Pourtant, le système le renie totalement alors que les humains qui font son quotidien l’acceptent. C’est l’un des messages les plus importants du film selon nous: l’hypocrisie de la réinsertion. Une fois purgé sa peine de prison, une deuxième peine sociétale s’installe. En le relâchant dans la nature sans réelle politique lui permettant de revenir à une vie normale, on condamne cet homme à la misère et à refaire les erreurs du passé. Un cercle vicieux que Jérémie Guez semble avoir totalement assimilé et dont il dresse un portrait aussi juste que navrant. Il est là le coup de poing qu’on évoquait en introduction!

Pour certains, le film apparaîtra convenu et un peu déjà-vu. C’est qu’il faut gratter un peu la surface du long-métrage pour totalement saisir son propos. “Bluebird” voit juste, et son absence de compassion amplifie son message.

Nicolas Marquis

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