Laura

1944

réalisé par: Otto Preminger

avec: Gene TierneyDana AndrewsClifton Webb

La fumée épaisse des cigarettes, les chapeaux vissés sur les têtes et le noir et blanc tranché de l’époque: aucun doute, “Laura” représente à lui seul une part de l’Histoire du cinéma et offre une plongée dans les polars des années 40. L’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui est un mariage parfait entre les codes de l’époque, fait de personnages souvent taciturnes aux réparties cinglantes, et le style unique du cinéaste Otto Preminger qui impose la patte de son originalité sur la pellicule. Dans son long-métrage, le génie nous restitue l’enquête autour de la mort de Laura (Gene Tierney) dans la plus pure tradition du genre, et esquisse progressivement la trajectoire de la séduisante jeune femme. Un cadre que les Réfracteurs adorent particulièrement et autour duquel nous allons tenter de poser quelques mots.

Brouiller les pistes

Maître du film-noir, Otto Preminger va avec “Laura” instaurer un jeu avec le spectateur en tentant régulierement de lui enlever tout repère. Un plaisir presque vicieux pour le réalisateur qui n’hésite pas à chambouler son récit. Les témoins deviennent des suspects, les victimes des accusateurs. Aussi tranchés soient les personnages du film, leur position n’est pas fixe, on change perpétuellement d’à priori jusqu’à se perdre et laisser Preminger nous balader.

Dans le même état d’esprit, le cinéaste va bouleverser sa narration pour accentuer cette impression de chaos organisé. Pendant une longue introduction, c’est la voix off d’un proche de Laura, le vieil orgueilleux Waldo Lydecker (Clifton Webb) qui nous accompagne, puis la pellicule délaisse ce protagoniste pour se centrer sur l’inspecteur McPherson (Dana Andrews) chargé d’élucider le crime. C’est ensuite une série de flashbacks qui nous aiguille et on change de fil conducteur encore et encore. “Laura” est une œuvre plus polymorphe qu’il n’y paraît.

Ultime preuve de cette envie de ne pas offrir de prises concrètes au spectateur: le fil même de l’enquête. Le travail de McPherson semble plus souvent s’appuyer sur les dires des autres personnages que sur des preuves tangibles. Il y a très peu d’éléments matériels dans “Laura”, forçant le public à remettre en cause tout ce qu’il assimile et accentuant l’impact des pièces à convictions palpables. Le verbe prime sur le concret.

« Un peu envahissant ce garçon. »

La marque de l’auteur

Otto Preminger va affirmer sa science du cinéma dans “Laura”, éclaboussant de sa superbe un film qui reste pourtant d’un bout à l’autre un pur polar. Aussi visible soit le talent du cinéaste, il reste au service de son histoire, ses élans créatifs ne contrarient pas l’intrigue mais la transcendent. Certes, certains rebondissements laissent un poil perplexe mais le style du réalisateur aide à faire passer la pilule et réussit à nous laisser sur une impression de film habilement construit.

C’est peut-être la direction d’acteurs qui est l’élément le plus visible de ce fait. Otto Preminger calcule chaque mouvement, chaque geste. On sent qu’il laisse une certaine liberté d’expression à ses acteurs mais dans un cadre délimité où le metteur en scène est maître de son royaume. Il peut à loisir construire un plan d’une manière plus sophistiquée ou laisser aller et venir les personnages.

Un véritable sens inné pour les lignes qui composent l’image émane de “Laura”. En insérant son histoire dans le milieu de la publicité et de la mode, le réalisateur réussit à utiliser cet élément pour penser son image. Le long-métrage se fait sec et anguleux, propice à une approche stylistique frisant le chef-d’œuvre. “Laura” respire bon un âge d’or lointain d’Hollywood.

En profondeur

Pour autant, on ne peut pas réduire “Laura” à un simple exercice de style. Même si on retient davantage la forme que le fond, Preminger va venir chatouiller la critique sociale dans son film. Le cinéaste dresse une caricature subtile de la petite bourgeoisie américaine de l’époque et n’hésite pas à tourner en ridicule ses protagonistes pour élever son propos. C’est franchement discret mais bel et bien présent.

Plus visiblement, il y a toute la dissertation autour de l’amour. Preminger oppose raison et passion dans “Laura”. Il met les héros dos au mur pour en tirer les attitudes les plus pures, qu’elles soient négatives ou positives. On pourrait presque voir dans le long-métrage une sorte de crescendo émotionnel qui réussit à faire mouche.

Tout dans “Laura” respire la grande époque des films noirs. Preminger en maître du genre signe son ouvrage avec éclat.

Nicolas Marquis

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