L’émeraude tragique

(Green Fire)

1954

Réalisé par: Andrew Marton

Avec: Stewart Granger, Grace Kelly, Paul Douglas

C’est désormais officiel et on vous l’a annoncé d’ores et déjà sur les réseaux sociaux: vous pourrez retrouver votre bien-aimé Spike le 8 juin prochain à 21h15 sur Twitch dans l’émission de notre pote Antoine Cassé, “L’apéro ciné” (par ici), pour évoquer la carrière de la divine Grace Kelly. Afin d’être parfaitement au point et pour que les interventions de votre rédacteur préféré soit à la hauteur de l’événement, on continue de balayer la filmographie de cette comédienne si envoutante. La liste des critiques disponibles ne sera pas exhaustive, même si on vous assure que tout sera vu, certaines de ces œuvres méritant probablement un long format plus posé. C’est donc davantage sur l’une de ses performances les moins connues qu’on s’attarde aujourd’hui avec “L’émeraude tragique”, un film devenu relativement confidentiel et considéré comme mineur dans sa carrière. Pourtant, si le long métrage ne va pas révolutionner le monde du septième art et s’il va accuser le coup sur certains aspects, il nous semble bon de s’y attarder quelques lignes durant pour constater que l’œuvre d’Andrew Marton réussit à convoquer un parfum d’aventure relativement séduisant dans un registre de divertissement plutôt efficace.

Dans “L’émeraude tragique”, on suit le périple de deux aventuriers perdus dans la jungle colombienne à la recherche d’un légendaire filon d’émeraude qui les rendra riches. D’un côté le jeune et séduisant Rian Mitchell (Stewart Granger), de l’autre l’ancien Vic Leonard (Paul Douglas), plus réfléchi. Ensemble et avec l’aide des locaux, ils vont éventrer une montagne à la recherche des pierres précieuses malgré la menace des bandits qui sillonnent la contrée. Tout près de leur campement vit la belle Catherine Knowland (Grace Kelly), patronne d’une exploitation de café, avec laquelle ils vont tisser des liens forts que divers événements tragiques vont mettre à l’épreuve. 

Le sentiment qui prédomine au moment de se pencher sur “L’émeraude tragique » est sans conteste une forme de dépaysement totalement décomplexé visuellement. On s’extasie devant les panoramas de la jungle colombienne, on s’imprègne du folklore local et c’est presque naturellement que le long métrage nous emporte dès sa phase initiale vers des latitudes propices aux grands récits épiques. Andrew Marton a conscience de cette force, s’appuie peut-être parfois trop dessus, mais sa promesse de voyage est parfaitement tenue.

« On montre pas du doigt, gros vilain »

C’est donc naturellement que le réalisateur peut dérouler un récit propice à l’aventure comme on l’a vu souvent au cinéma, mais sans nécessairement se reposer sur une débauche d’action incongrue. Ici, les péripéties sont avant tout humaines et pourtant le cinéaste trouve une ampleur naturelle dans sa proposition, s’inscrit dans la continuité du genre. Sa rythmique apparaît convaincante et permet au film de traverser les âges sans perdre totalement ce qui fait son sel: cette notion d’épopée grandiose à l’autre bout du monde.

Le cinéma de divertissement que propose Andrew Marton n’est pourtant pas totalement synonyme de légèreté, bien au contraire. Par touches de plus en plus prononcées, le réalisateur va tisser un propos gravitant autour de la notion de cupidité. Rian est complètement obnubilé par la fortune espérée alors que Vic fait preuve de recul. Leur opposition délimite une critique prononcée de l’appât du gain sans partir dans des thèses pompeuses. Le souci qu’on va rapidement rencontrer avec “L’émeraude tragique”, c’est sa grande proximité avec un autre film qu’on a déjà évoqué ici: “Le trésor de la Sierra Madre”. Andrew Marton emprunte énormément d’idées au long métrage de John Huston, parfois jusqu’à tutoyer le plagiat. Voyons y plutôt un hommage, mais reconnaissons dans le même temps que l’ancêtre de “L’émeraude tragique” faisait mieux dans ce registre des années auparavant.

Passé ce sentiment de pâle copie qui entache la première moitié de l’histoire, on peut toutefois voir quelques nuances plus originales, notamment dans un dernier tiers où les traits de caractère des protagonistes sont poussés à leur paroxysme, jusqu’à la rupture, tout au bout de leurs trajectoires personnelles. Andrew Marton n’hésite pas à torturer moralement ses héros pour accentuer leurs travers et les opposer. On voit d’ailleurs assez nettement deux visions radicalement différentes du travail et de son bénéfice dans la confrontations entre l’exploitation de café qui demande du temps et de l’investissement, et la mine de Rian qui apparait comme une promesse de richesse immédiate. Un message universel entaché par un semi-Happy End inutile: le chemin est plus intéressant que la destination.

Dommage que cette thèse relativement pertinente même si convenue soit servie par un Stewart Granger peu convainquant. Le comédien manque de charisme pour endosser le rôle de l’aventurier téméraire face au danger. Sa carrure ne correspond pas au rôle qui est le sien et on aurait préféré voir un acteur avec un poil plus de virilité. Malgré tout, les personnages secondaires restent eux plutôt intéressants et séduisants, même s’ils sont parfois au bord de la caricature. Vic est paternaliste mais sympathique, Catherine n’a elle rien d’une femme faible, bien au contraire: une fois de plus Grace Kelly transcende son rôle, lui offre du volume et de la nuance. La dynamique du trio fonctionne efficacement notamment grâce à de bons dialogues, suffisamment tranchants et on sent presque dans “L’émeraude tragique” une inspiration pour la saga vidéoludique “Uncharted”.

On déplore tout de même la place des autochtones relativement grossière. Le long métrage porte en lui un côté colonisateur qui ne s’excuse même pas d’exploiter les colombiens alors qu’il semblait que le scénario offrait une opportunité de réfléchir de manière plus poussée à cette problématique. Comme pour “Les ponts de Toko-Ri”, l’œuvre reste terriblement occidentale et s’interdit de s’aventurer sur un terrain politique dangereux, à tort.

L’émeraude tragique” réussit à convoquer un cinéma d’aventure efficace même s’il ne faudra pas attendre une grande originalité et malgré un rôle principal parfois grotesque dans l’interprétation.

Nicolas Marquis

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