La terre et le sang

2020

de: Julien Leclercq

avec: Sami BouajilaEriq EbouaneySamy Seghir

Ha, on aimerait tellement voir ça: un bon film d’action français, pas trop idiot, et qui fait un peu plus que le service minimum! Une bonne dose de testostérone, servie par des acteurs qu’on affectionne. Du coup, quand on a entendu parler de “La terre et le sang”, sorti sur Netflix, nos oreilles se sont dressées et on a même commencé à espérer. Puis on l’a regardé…

Un film qui nous raconte les déboires de Saïd (Sami Bouajila), le propriétaire d’une scierie perdue dans les bois, qui apprend dès le début du long-métrage que son corps est rongé par la maladie et qu’une mort imminente l’attend. Dans le secret de son état de santé, il entreprend de vendre son entreprise pour offrir à sa fille sourde et muette (Sofia Lesaffre) une chance de poursuivre son rêve de devenir dessinatrice à Paris. Mais il va se retrouver mêler à une histoire de drogue lorsque débarquent des bandits lourdement armés après que l’un des employés de notre héros (Samy Seghir) ait caché une importante quantité de drogue dans la scierie pour rendre service à son frère.

Une histoire somme toute relativement simple, ce qui dans ce genre cinématographique n’est pas forcément très important. Des ramifications complexes n’apportent que rarement de l’épaisseur aux films d’actions, et on a tendance à préférer ceux qui s’assument comme tels. Ici en l’occurrence, on passe environ une moitié du film à tenter de construire des personnages pour ensuite les confronter: un rythme qui donnerait presque à “La terre et le sang”, lieu des affrontements aidant, des airs de western moderne. Les Réfracteurs ont toujours de la tendresse pour ces films de genre français, qui essayent d’adopter un style relativement rare dans notre pays.

Le premier problème pourtant, il est bien dans cette mise en place des protagonistes: on collectionne une avalanche de clichés totalement idiots. Tout d’abord Saïd: émuler un genre, d’accord, mais le faire en imposant le sempiternel héros au crépuscule de sa vie, qui n’a plus rien à perdre, c’est une vraie paresse d’écriture. Vu mille fois au cinéma, ce personnage serait barbant à souhait s’il ne bénéficiait pas de la qualité d’interprétation de Sami Bouajila. Un acteur pour lequel on a une affection particulière étant donné son talent, mais qui mériterait mille fois mieux. Passer de “Indigènes” à ça, c’est loin de lui faire honneur.

« Quand on regarde le film »

D’autant plus que l’installation des antagonistes est franchement douteuse. Bien évidemment venus de cités, bien évidemment tous à la peau noire, on retrouve à nouveau une écriture rincée mais qui en plus confinerait presque à l’injure raciale. Le film participe à cet espèce de fantasme de la banlieue devenue zone de non-droit, où règne forcément la violence. Alors qu’on pensait avoir fait un pas en avant constructif dans la représentation des cités avec “Les misérables”, on impose ici un bond en arrière. Un sentiment affirmé dès les premières secondes, lorsque les bandits dévalisent un commissariat de police. Avalanche de clichés encore une fois, et qui ne sera pas contrariée par un antagoniste principal aux ras des pâquerettes de l’originalité.

Évidemment, on n’attendait pas de ce genre de film d’immenses réflexions: il n’est pas là pour ça. Mais si en 2020 on pouvait éviter de stigmatiser des populations déjà confrontées au racisme ordinaire chaque jour, ce serait salvateur. Ce manque d’originalité dans la mise en place, elle ne s’efface pas lorsque l’action tant attendue prend place: le film va là aussi collectionner les lieux communs du genre. “La terre et le sang” n’invente absolument rien, il émule et il le fait avec aucune notion du rythme. Chaque personnage mort, blessé ou simplement filmé, on n’y ressent aucune attache, aucune émotion, que ce soit en mal ou en bien. Le film se contente d’appuyer un tempo très rapide. Ça ne peut pas marcher: un bon film d’action se doit d’alterner moments survoltés et instants plus posés, pour impliquer le spectateur, sinon il s’expose au problème du film qu’on aborde aujourd’hui: le désintérêt total.

Le plus pathétique, c’est lorsqu’on se rend rapidement compte que le film, censé arriver à son point culminant, va continuer dans sa narration fainéante couplée avec une réalisation tout aussi déjà vue: le méchant qui débarque au ralenti sur une (mauvaise) musique, et on comprend que le metteur en scène Julien Leclercq ne va rien apporter de nouveau. Mais le pire, et cela on vous laisse le découvrir par vous-même si vous l’osez, ce sont tous ces moments illogiques où le film ne s’embarrasse même plus du réalisme et se contente d’aller vers une surenchère gore sans aucun sens.

Point d’orgue d’un long-métrage qui rate sa démonstration: ce que l’on nommera l’effet “Maman, j’ai raté l’avion” que le film ne réussit absolument pas, malgré des tentatives. En proposant la scierie comme lieu d’affrontement, on espère que Julien Leclercq va se servir de ce décor, et il essaye bel et bien à la manière de “The Equalizer” d’offrir ce ludisme…pour complètement se rater. Rien n’est surprenant, rien n’est spécialement utilisé brillamment: toute cette démarche pourtant voulue est aussi ratée que le reste.

Avec “La terre et le sang”, on touche un peu le fond scénaristiquement, mais aussi au niveau de la réalisation. Netflix est certes l’un des meilleurs moyens du moment pour avoir sa dose de cinéma, mais on ne peut pas pardonner autant de paresse. Seule consolation, le film a au moins la décence d’être court.

Nicolas Marquis

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