La nuée

2021

Réalisé par: Just Philippot

Avec: Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne

“Il faut soutenir le cinéma de genre français”: c’est la phrase qui est sur de très nombreuses lèvres à chaque nouvelle incursion des productions hexagonales dans le champ des films un peu marginaux. Au-delà de la dénomination “Film de genre”, trop fluctuante suivant l’interlocuteur à qui on s’adresse pour s’y fier et souvent une excuse pour parler ouvertement de cinéma bis mais en des termes plus pompeux, comme si les mots “Horreur” ou encore “Science-Fiction” étaient sources de honte, Les Réfracteurs s’interrogent: y a t-il réellement un problème de reconnaissance pour ces longs métrages? Allez donc demander à Julia Ducournau si le cinéma d’horreur français est en mal de reconnaissance! Des pellicules angoissantes françaises, il y en a eue avant “La nuée”, et il y en aura d’autres après. Le simple genre d’un film ne devrait pas être une injonction à l’aimer aveuglément. Mais “La nuée” est elle réellement une œuvre horrifique? Si pour nous chaque film de ce registre porte en lui (parfois sans le vouloir) un message de société, on va rapidement constater que la réalisation de Just Philippot relève davantage du drame familial.

Un coup d’œil à son pitch suffit presque à s’en rendre compte: Virginie (Suliane Brahim) est une mère célibataire qui lutte au quotidien pour élever tant bien que mal ses deux enfants. Pour seule source de revenus, elle consacre sa vie à élever des sauterelles afin d’en faire de la nourriture. Mais l’exploitation se porte mal et la famille en souffre. Virginie va par hasard constater qu’en nourrissant les insectes avec du sang, leur taille et leur nombre se multiplient fortement. Mais cette pratique va se révéler hautement dangereuse alors que les sauterelles prennent goût à l’hémoglobine et se font de plus en plus effrayantes.

La nuée” va donc s’atteler à théoriser autour des dilemmes moraux de cette mère en plein naufrage. Le long métrage de Just Philippot prend des airs de chronique d’un quotidien éprouvant. Le spectre des problèmes liés au statu de parent célibataire se révèle assez complet. D’un coté on souffre avec cette femme qui doit redoubler d’effort au travail pour boucler les fins de mois et en même temps on éprouve une forme d’ingratitude de la part des enfants exigeants.  Just Philippot va souligner cet axe avec des visuels sans équivoque: Virginie se saigne littéralement pour sa famille. La notion de sacrifice est omniprésente même si la symbolique est un peu facile.

« Émotions et bâche en plastoc »

Plus discret est le spectre de la surproduction qui plane sur “La nuée”. Lorsque l’élevage devient prospère, Virginie s’enferme dans une logique du “toujours plus” déraisonnée, elle qui prônait jusqu’alors une consommation responsable. On voit clairement ce personnage dépasser les limites du strict nécessaire pour tenter d’acquérir toujours plus de confort pour les siens. C’est ce trait de caractère qui va clairement définir ce protagoniste principal, en perte de repères avec la réalité: contrainte par un quotidien éprouvant, elle finit par tomber dans les pires excès lorsque sa vie s’améliore.

La symbolique des sauterelles est séduisante. Utiliser l’une des sept plaies de l’Egypte convoque naturellement un imaginaire commun à tous. Lorsqu’en plus Just Philippot s’attarde sur des gros plans mettant en scène les petites bestioles, on éprouve une forme de dégoût incontrôlable et primaire. Des séquences où la caméra du cinéaste est peut être un peu trop traînante mais fonctionne. C’est l’aspect un peu contemplatif du film qui y est associé.

Il faut malheureusement reconnaître qu’en dehors de ces visuels, Just Philippot va être franchement trop académique, pour ne pas dire banal. Il insuffle très peu d’idées dans les échanges entre les personnages et ne semble pas réussir à diriger correctement ses acteurs. La fracture entre sa réalisation des scènes d’horreur et celles plus intimes se fait sentir en permanence: il y a deux en un film dans “La nuée”, mais aucun d’eux ne va suffisamment loin pour laisser une empreinte dans l’âme du spectateur.

Plus séduisant est l’assemblage des scènes, s’autorisant parfois des coupes assez sèches pour aller à l’essentiel. “La nuée” est un patchwork hétéroclite d’instantanés du quotidien de Virginie. Malheureusement, Just Philippot va tenter de jouer la carte du crescendo de tension sans parvenir à un résultat satisfaisant. Le scénario de Jérôme Genevray et Frank Victor tourne en fait en rond, change parfois d’idée au cours d’une scène de façon complètement incongrue et caricature les personnages. On a le sentiment que le film ne vit pas par lui-même, naturellement, mais qu’il a besoin du langage horrifique pour avancer. Dès lors, les éléments effrayants apparaissent comme de simples outils narratifs indispensables à la compréhension de l’œuvre mais presque artificiels en même temps.

Les faiblesses d’écriture de “La nuée” vont tout particulièrement se cristalliser autour de l’élaboration des personnages. Les incohérences et revirements de mentalités pullulent. Impossible de cerner correctement Virginie tant elle apparaît versatile à l’extrême. Une vraie barrière à l’affect qu’on devrait ressentir pour cette femme seule contre tous. Disons le tout net: les protagonistes de “La nuée” semblent particulièrement idiots. Lorsqu’en plus on impose deux enfants terriblement mal joués, toujours dans l’exagération totale, on se détache définitivement d’une œuvre inaboutie.

La nuée” ne sait pas sur quel pied danser et a bien du mal à faire cohabiter l’horreur et le drame. Un film très anecdotique qui ne fera pas date.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire