Never Rarely Sometimes Always

2020

réalisé par: Eliza Hittman

avec: Sidney FlaniganTalia RyderThéodore Pellerin

On ne mesure pas toujours la chance d’être né dans une société plus tolérante que sous d’autres latitudes. Bien souvent, on s’offusque, parfois très légitimement certes, devant les inégalités qui apparaissent dans notre pays mais on perd en même temps de vue certains de nos acquis les plus fondamentaux. La liberté de disposer de son corps pour une femme et le choix de l’interruption volontaire de grossesse font partie de ces concepts relativement bien ancrés en France alors qu’ils sont chahutés dans d’autres contrées. Bien sûr, chez nous encore, c’est parfois une option que le cadre familial peut contrarier en faisant peser une pression énorme sur les épaules d’une femme mais globalement, la loi garantit le droit à l’avortement.

Aux USA, un pays beaucoup plus frileux sur la question et qui laisse souvent s’exprimer des courants de pensée particulièrement rétrogrades, l’avortement est un véritable tabou, parfois même un acte considéré comme criminel par des gens incapables de concevoir l’IVG comme la solution concrète la plus viable. Dans “Never Rarely Sometimes Always”, la cinéaste Eliza Hittman va théoriser autour de cette problématique pour proposer un récit pertinent et finement travaillé. Autumn (Sidney Flanigan) est une adolescente qui tombe enceinte sans le souhaiter. Prisonnière de sa Pennsylvanie rurale où les mentalités sont fermées et l’IVG très réglementée, elle va partir en voyage pour New York, accompagnée de sa cousine Skylar (Talia Ryder), pour concrétiser le choix qu’elle a fait: celui de mettre un terme à sa grossesse.

Le poids de la société

C’est avec énormément de retenue et d’à-propos qu’Eliza Hittman va restituer dans son œuvre le fardeau qui peut peser sur des adolescentes légèrement paumées dans cette Amérique aux multiples visages. La réalisatrice n’a pas besoin de trop en faire dans sa démonstration pour se montrer pertinente, simplement d’étaler des éléments de réflexions qui s’imposent immédiatement aux spectateurs comme des dilemmes moraux insoutenables. Dans l’attitude des adultes envers Autumn et Skylar, on s’imprègne tout de suite de la problématique du film sans être baladé, simplement en faisant un pas vers ces deux filles. Le périple intérieur que nous propose Eliza Hittman trouve écho dans l’errance géographique de ses héroïnes et c’est avec fluidité qu’apparaissent les disparités de nos voisins d’outre-Atlantique.

Avec une certaine maîtrise, la cinéaste va tout de même proposer des éléments de narration intelligents, des artifices plein de sobriété qui invitent à l’immersion. À la rue et sans le sou, Autumn et Skylar sont par exemple contraintes de déambuler dans les rues de New York. La privation de sommeil qui en découle nous rapproche un peu plus de ce duo mal embarqué, on souffre avec elles. De la même manière, “Never Rarely Sometimes Always” marque physiquement Autumn: des bleus que s’inflige l’adolescente aux saignements qu’elle subit, c’est autant le corps que l’âme que l’on va éprouver. La plongée dans son quotidien va se faire judicieusement éprouvante.

Avec légèrement moins de subtilité, Eliza Hittman va dépeindre une vision de la prédation masculine assez intense. Un père médisant, un employeur pervers, un flirt insistant dans un bus… Tous les hommes du film sans aucune exception apparaissent comme des menaces. On aurait sans doute aimé un contrepoids, un garçon plus compréhensif mais dans la logique du récit, on comprend toutefois que “Never Rarely Sometimes Always” joue la carte du plaidoyer féminin et qu’il nous confronte à nos propres attitudes mortifères.

« BFFL »

Dans l’intimité

L’un des aspects les plus séduisants du long-métrage reste le naturel avec lequel ce périple se déroule. Eliza Hittman n’a pas besoin de tout verbaliser dans son œuvre et peut se contenter de longues séquences muettes pour émouvoir. De cette atmosphère qui paraît suspendue va découler avec une fluidité à toute épreuve une poignée de scènes à l’émotion d’une pureté cristalline.  On ne fait pas attention, on s’imprègne d’un feeling fragile mais omniprésent, puis d’un coup la réalisatrice vient nous asséner un coup de poing totalement dévastateur en à peine quelques mots enfin posés. Maîtrise semble être le mot qui résume le mieux “Never Rarely Sometimes Always”.

Cette errance dans la vie d’Autumn peut paraître parfois répétitive aux spectateurs les moins émotifs et c’est pourtant de ce postulat que naît la beauté d’un film à fleur de peau. Eliza Hittman reste proche de ses héroïnes, sa caméra colle à la peau de ses actrices et invite le public à faire partie de la bulle du personnage de Sidney Flanigan tout en nous renvoyant à notre propre impuissance. Autumn est là, devant nous, on pourrait presque la toucher, avoir un mot de réconfort, et voilà que tout d’un coup on prend conscience que l’écran qui nous sépare d’elle est une barrière insurmontable comme l’est le tabou qui pèse au quotidien sur ces jeunes femmes qui font le choix de l’IVG.

Alors oui, certes, “Never Rarely Sometimes Always” n’est pas exempt de tous reproches et on pourrait évoquer par exemple son côté “cinéma indépendant américain” particulièrement marqué dans son montage et son ambiance sonore qui font du long-métrage une œuvre par moment balisée. Mais passons outre, ouvrons nos cœurs et laissons-nous habiter par autre chose, par un message militant aussi judicieux que nécessaire dans un monde qui doit encore évoluer sur ces thématiques trop souvent balayées sous le tapis.

L’émotion qui naît du film est réelle, touchante et puissante. “Never Rarely Sometimes Always” se perd par instants mais semble toujours invariablement retomber sur ses pattes pour accomplir sa mission: forcer une réflexion importante sur le statut des femmes et leurs libertés dans notre société.

Nicolas Marquis

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