
1968
de: Georges Lautner
avec: Jean Gabin, Dany Carrel, Jean Gaven
Dès les premières secondes, on donne le ton: le rythme entêtant d’une batterie, sec et précis. Puis la voix de Serge Gainsbourg, excusez du peu, pour interpréter le “Requiem pour un con”. Pas un seul signe de vieillissement pour ce morceau mythique, qui va être à l’image du film: une oeuvre qui transcende les époques pour être toujours percutante aujourd’hui.
L’histoire est simple, un affrontement entre voyous et flics, avec une frontière peu hermétique entre les deux mondes. À la suite de la mort d’un de ces plus anciens collaborateurs et amis, le divisionnaire Joss (Jean Gabin) va se lancer dans une vendetta totale, aux trousses de l’assassin, “Quinquin” (André Pousse) comme on le surnomme. Un truand froid, sans principe, et qui a tendance à raccourcir l’espérance de vie de ses partenaires à grands coups de revolver.
Posons l’une des principales forces du film d’entrée: Gainsbourg à la musique, on vous l’a dit, Lautner à la réal’, pas mal non plus n’est ce pas? Et puis une fois encore, ce duo mythique: Gabin devant la caméra, Audiard derrière la machine à écrire. Et bang, bang !
L’accord parfait d’un staff rendu incroyablement complet avec les années. Ils se connaissent parfaitement ces deux-là, et une fois de plus Audiard offre un rôle en or à Gabin, qui magnifie sa partition avec son phrasé. Comment ne pas tomber amoureux à chaque réplique, toutes rendues cultes avec les années.
Mais dans sa structure narrative, le film est également intéressant. En imposant un personnage principal qui n’en a plus rien à foutre de tout le protocole et qui veut juste refroidir l’assassin de son ami, le cinéma français réussit à trouver un style. Un mélange de polar pour le cadre et de Western pour la construction. Chaque scène prépare un peu plus pour le duel entre ces deux bonhommes, deux vraies gueules de cinéma comme on en trouve plus en France.

« Soirée disco! »
« Le pacha” c’est aussi une opposition de valeur, rythmée par cette batterie qui fait écho aux coups de flingue ponctuant le film. Gabin, c’est l’ami, celui qui même quand vous serez mort viendra laver votre honneur, peu importe vos travers: c’est ça un pote! Et diamétralement opposé, Quinquin c’est la fripouille de bas étages, tout pour l’argent et rien pour ses gens. Deux principes de vie opposés qui s’affrontent l’un contre l’autre pour voir qui c’est le plus balèze.
L’aspect d’ailleurs “sans valeurs” du personnage d’André Pousse c’est l’une des choses qui appuie encore un peu plus le côté Western du film qu’on évoquait. Foutre un orteil dans son monde, c’est se condamner. Pas d’honneur entre voleurs avec lui mais plutôt une distribution gratuite de plomb. Ses plans sont grandioses, élaborés avec du génie dans son domaine, et c’est vraiment un antagoniste qui nous parle, un de ceux qu’on adore détester.
Servi par un cadrage de l’essentiel, allant droit vers les gueules de cinoche qui peuplent le film, ou les armes à feu et leur détonation mortifère, on est là dans une forme de polar qu’on semble avoir complètement oublié en France. Bordel, comment on a pu avoir autant de savoir-faire pendant si longtemps, pour finir par ne pondre plus que des oeuvres aseptisées?
Alors attention, on ne dit pas que “Le pacha” est exempt de tout reproche, loin de là. On adore “Le requiem pour un con” par exemple, mais il est probablement un peu sur-employé. En allant aussi directement à l’essentiel, le film ne s’embarrasse pas des personnages secondaires qu’il creuse franchement peu. Mais merde! C’est vivant, c’est poignant, c’est musclé! Où est passée cette école du polar français?
Son rythme soutenu condamne le film à peu de profondeur? Tant pis les mômes! “Dans le fond y’a pas d’quoi pleurer” dit Gabin au début, et il a raison l’ancien. “Le pacha” est un film de divertissement, pour adultes, avec pour principale mission d’affirmer des figures marquées et des philosophies tout aussi tranchées, et ça il le fait magnifiquement bien.

Ça swing, ça flingue, ça cause! Voilà ce qu’on voulait et on s’en est régalé. On accrochera pas au panthéon de nos films “Le pacha”, mais son idée principale, celle d’un divertissement accrocheur, on y adhère volontiers pour cette petite heure et demie de voyage dans le temps.