Deux

2019

réalisé par: Filippo Meneghetti

avec: Barbara SukowaMartine ChevalierLéa Drucker

Alors que les Césars 2021 viennent de rendre leur verdict, l’heure est au bilan. Si cette année ne ressemblait à aucune autre, contexte sanitaire oblige, le cinéma français pouvait afficher un beau visage grâce à une poignée de films franchement réussis. De quoi être alléché, en bon cinéphiles obsessionnels que nous sommes, et alimenter notre curiosité. Comme chaque année, c’est avec intérêt qu’on a observé la catégorie “Meilleur premier film”, souvent gage de fraîcheur, et son lauréat “Deux” de Filippo Meneghetti. Une oeuvre singulière qui suit le périple de Nina (Barbara Sukowa) et de sa voisine de palier Madeleine (Martine Chevalier), deux femme unies par une relation amoureuse de longue date, gardée secrète par peur de la réaction des enfants de Madeleine. Le jour où celle-ci se retrouve handicapée des suites d’un AVC, Nina va tout faire pour rester proche de sa moitié sans trahir le tabou de leur union.

Se pencher sur un premier film, c’est souvent faire preuve d’une certaine complaisance: on est fatalement attendri par un cinéaste au maigre passif, prêt à lui pardonner certaines errances. Filippo Meneghetti n’a absolument pas besoin de cet avantage. Son récit est solidement construit, sa structure narrative efficace et son enchaînement maîtrisé. Il se dégage de “Deux” un parfum de maturité impressionnant pour un “débutant”.

Même son de cloche si on s’attarde de manière plus formelle sur la réalisation de Meneghetti. On va jouer le contraste dans l’œuvre qui nous intéresse: d’une part, il y a la photo du film qui affirme une certaine sobriété qui rime avec élégance. Meneghetti choisit des cadres proches de ses héroïnes, à fleur de peau, dans lesquels on ressent toutes les nuances du jeu des deux comédiennes. D’autre part, le réalisateur propose un montage savamment rythmé, toujours prompt à fouetter le spectateur de ses accents dramatiques sans tomber dans la facilité.

« Devine qui c’est! »

Cette fameuse facilité, on sent bien que c’est le danger majeur qui plane sur “Deux”. On est toujours attendri par la maladie et encore plus par le handicap, c’est normal, on reste des êtres humains. Pour ne pas sombrer dans le larmoyant, les prestations de Barbara Sukowa et Martine Chevalier se doivent d’être parfaites. Mission accomplie pour les deux actrices qui donnent de l’équilibre au film en se l’appropriant. On reste beaucoup plus nuancé pour le reste du casting qui impose un surjeu latent mais le duo formé par les héroïnes du film est lui impeccable.

C’est une romance sans parole qui s’étale, un amour de regards lorsque les gestes viennent même à manquer. Une pureté dans les sentiments resplendit sur l’œuvre, même lorsque le désespoir se fait oppressant. Il y a quelque chose de très difficile à digérer et révélateur sur notre société à voir autant d’émotions sincères se confronter au regard des autres et choisir l’isolement plutôt que l’épanouissement. Cette notion de silence est accentuée par la bande sonore particulièrement discrète et qui ne perturbe jamais le visionnage.

Cette opposition marque la problématique centrale de “Deux”. En jouant sur les derniers tabous de notre société, Meneghetti dessine une barrière évidente entre ses personnages et le monde qui les entoure. Avec une grande force d’évocation, le cinéaste nous fait ressentir le mal-être de Madeleine et Nina, on vit le long métrage littéralement la peur au ventre, dans l’angoisse de voir l’amour ne pas triompher. Ces frissons, cette chair de poule, pour un premier film, c’est totalement admirable. L’auteur interroge également: que reste-t-il au conjoint une fois son amour disparu ou diminué, lorsque la famille fait barrage? Une réelle question de société.

Alors oui, il faudra passer outre la certaine candeur avec laquelle le créateur met en parallèle le handicap et le non-dit. L’amour comme moyen de guérison semble être un artifice un peu niais mais on finit par l’assimiler par affection pour ce couple à la dérive. Sans s’en rendre compte, Meneghetti nous a unis derrière la même bannière et le combat de Nina et Madeleine devient un peu le nôtre.

Deux” n’est pas exempt de tout reproche et ne s’adresse pas à tout le monde, mais les Césars ne s’y sont pas trompés: le talent de Meneghetti apparaît évident dans ce premier film.

Nicolas Marquis

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