Jumbo

2020

de:  Zoé Wittock

avec: Noémie MerlantEmmanuelle BercotBastien Bouillon

Le sentiment amoureux et le cinéma, c’est une longue histoire. Presque en même temps que les premières fictions filmiques, et à l’instar des autres formes d’art, c’est quasiment immédiatement que le septième art a tenté de théoriser autour de cette émotion plus forte que tout. Et des histoires bizarres, on en a connu un tas: avec une autre personne, une intelligence artificielle ou un extraterrestre, le monde du cinéma s’amuse en même temps qu’il réfléchit l’amour. Mais qu’en est-il des machines? Attention, on ne parle pas d’un cyborg évolué. Non non, une machine, en l’occurrence aujourd’hui un manège à sensation de fête foraine. C’est le pari de “Jumbo”, qu’on vous propose de découvrir dans ces quelques lignes.

Une histoire d’amour improbable (inspirée de faits réels aussi étrange que ce soit) entre Jeanne (Noémie Merlant), une jeune femme légèrement perchée mais surtout extrêmement introvertie, et le “Move It” rapidement rebaptisé “Jumbo” par l’héroïne de notre histoire. Elle va tenter de faire comprendre son affection hors-normes pour le manège aux gens qui l’entourent, et tout particulièrement sa mère (Emmanuelle Bercot) qui l’élève seule.

Immédiatement, un autre film vient en tête: “Her”. Les deux oeuvres partagent une réelle parenté, une façon de définir l’amour en y soustrayant le partenaire habituel pour le remplacer par une machine. À plus d’une encablure, on a reconnu chez Jeanne le spectre de Joaquin Phoenix et de la fantastique moustache qu’il arbore dans le film de Spike Jonze.

Mais “Jumbo” fait presque plus fort puisque là où “Her” affirmait une réelle personnalité chez l’intelligence artificielle, c’est ici une machine pure et dure, incapable de parler, que le film propose d’humaniser. C’est tout un travail pour rendre organique une structure de tôle et de câbles, avec notamment un joli travail autour de l’huile qui suinte de “Jumbo”.

Mais pour rendre plus humain le manège, c’est surtout l’éclairage qui prime. Avec un code couleur assez simple qui permet au manège de s’exprimer par de simples “oui” ou “non”, mais aussi à travers de très belles propositions sonores, l’inanimé devient créature à part entière.

« Séance UV. »

Renvoyée en plein dans la figure de Jeanne, toute la haine de la société pour les gens qui ne rentrent pas dans un moule. Certes, la jeune femme est simple d’esprit, mais la cruauté des autres se fait démesurée. En nous embarquant dans cette histoire hors-normes, la cinéaste Zoé Wittock nous implique émotionnellement et c’est comme une gifle que nous subissons nous aussi les plus basses remarques de ceux qui ne comprennent pas cette attirance.

Habilement, on va constater que le film nous invite à mettre en parallèle l’affection de Jeanne et les amours volages de sa mère. Tout naturellement, on finit par assimiler ce qui semblait saugrenu à mesure qu’on constate la fragilité du modèle qu’on propose en exemple à la jeune femme. Loin d’être la seule raison de sa fragilité, la mère de Jeanne n’en reste pas moins en partie responsable.

Mais en étirant autant son propos, “Jumbo” devient par endroit légèrement niais, tout particulièrement dans le dernier tiers. Sans avancer de nouvelles idées mais en poussant juste ses propositions à leur paroxysme, le film se fait redondant et parfois un peu ridicule. Dommage car on avançait à un rythme agréable jusqu’ici.

En partie grâce à Noémie Merlant, investie à 100% dans un rôle complexe. Imaginez-vous acteur, obligé de jouer l’amour avec un grand huit: un enfer! L’actrice s’en sort excellemment bien, et force l’admiration en même temps qu’elle invite à la compassion.

Par dessus tout, on aime le message du film: les amours modèles n’existent pas et les plus belles histoires sont celles qui se jouent dans le cœur des amoureux. Il y a autant de façon d’aimer qu’il y a de relations et aucune ne vaut mieux qu’une autre. “Jumbo” invite à savourer la différence.

Parfois redondant, “Jumbo” n’en est pas moins une histoire poignante qui invite le spectateur à bouleverser ses habitudes et à embarquer pour une romance différente.

Nicolas Marquis

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