Mélodie en sous-sol

1963

de: Henri Verneuil

avec: Jean GabinAlain DelonClaude Cerval

En cinéma, il existe des instants où les étoiles s’alignent. Des oeuvres sur lesquelles se retrouvent acteurs, réalisateurs, scénaristes ou encore dialoguistes, au sommet de leur art. Des moments fantastiques où tous les petits artisans méticuleux d’un film se rejoignent à l’unisson pour offrir une performance collective hors du commun, comme un orchestre qui jouerait une somptueuse symphonie. Jugez plutôt pour “Mélodie en sous-sol”: à l’écran, Jean Gabin et Alain Delon (avant qu’il ne devienne le personnage détestable d’aujourd’hui). Derrière la caméra, Henri Verneuil. À l’écriture, Michel Audiard et Albert Simonin. Ha là, tout de suite, ça cause !

« Mélodie en sous-sol”, c’est l’histoire d’un braquage audacieux: fraîchement sorti de prison, Charles (Jean Gabin) élabore un plan périlleux pour dévaliser le casino d’été de Cannes. Pour l’aider dans la tâche, il va faire appel à Francis (Alain Delon), un jeunot un peu roublard. Ensemble, ils vont redoubler d’intelligence pour s’en mettre plein les poches.

Un pur divertissement donc: toutes proportions gardées, on pourrait croire à un “Ocean’s Eleven” français des années 60. La relation entre Jean Gabin et Alain Delon rappelle d’ailleurs par moments le film américain qui a sans doute puisé quelques influences dans “Mélodie en sous-sol”. Des bases pour un genre à part en somme que ce long-métrage. Mais c’est surtout le témoignage d’une époque où le cinéma français regorgeait de talents et pouvait offrir du grand spectacle avec panache. Un savoir-faire qu’on a parfois du mal à retrouver aujourd’hui.

Divertissement certes, mais pas seulement. Le scénario offre l’opportunité également d’exprimer quelques très légères réflexions, mais bien présentes. Dès l’entame d’ailleurs, alors que Jean Gabin sort de plusieurs années d’emprisonnement et qu’il regagne sa petite maison de Sarcelles, le film propose une critique de l’urbanisation démentielle de la ville, où les immeubles sans âme se multiplient. Pour rappel, le film date de 1963 ! Fort et visionnaire. On pense également à celui qui va servir de chauffeur aux deux protagonistes principaux, et qui refuse de toucher au magot car selon lui, l’argent corrompt: une tirade magnifique que seul Michel Audiard pouvait écrire. Omniprésent aussi, une critique de la vie futile des gens fortunés en opposition à la misère des moins riches. On pourrait même voir dans la fin du film (qu’on ne dévoilera pas, rassurez-vous) une vrai morale pertinente et intelligente.

« Quand tu rates ton permis de conduire »

Mais ne vous trompez pas: si le film se permet de très légères critiques de la société, c’est avant tout un film haletant. L’un de ces long-métrages rythmés où le jeu du cambriolage et de la préparation d’un plan offre un ludisme tellement séduisant au film. Cette recette, elle est connue. Mais comme un grand chef qui préparerait un plat simple, elle reste incroyablement savoureuse.

D’autant plus que Henri Verneuil va apporter beaucoup de liant à son film: des fondus astucieux pour passer d’une scène à l’autre, ou encore la voix-off de Jean Gabin qui détaille le plan qui s’exécute déjà devant nos yeux. En plus de cela, le jeu musical, cette fameuse mélodie: un thème auditif récurrent mais toujours interprété de manière différente selon la situation. De quoi éviter l’overdose, tout en donnant une véritable identité à la bande sonore du film.

Et puis il y a ces deux acteurs. D’un côté Delon, jeune, avant qu’il ne prenne la grosse tête. En face Jean Gabin, vieillissant mais toujours au sommet de l’art délicat de l’actorat. À l’instar du film “Un singe en hiver” dans lequel Gabin transmettait presque le relais de “l’acteur à la française” à Jean-Paul Belmondo, on peut voir la même symbolique dans “Mélodie en sous-sol” avec Alain Delon. Les deux acteurs se répondent parfaitement. Le contraste de l’âge donnerait même presque un air paternel à Jean Gabin.

Mais soyons honnêtes, si l’alchimie marche si bien, et encore une fois comme elle fonctionnait également avec Belmondo dans “Un singe en hiver”, c’est avant tout parce que les deux acteurs sont servis par des dialogues absolument géniaux. Audiard éclabousse le film de tout son talent, de son phrasé tellement génialissime. Il était et reste encore aujourd’hui, 35 ans après sa disparition, le plus grand de tous les dialoguistes français. Souvent imité et jamais égalé, il donne une dimension affective supplémentaire à l’œuvre. Chacune des tirades qu’il offre aux acteurs est réfléchie à la virgule près et on se délecte de chaque saillie verbale.

Non seulement “Mélodie en sous-sol” est toujours divertissant aujourd’hui, digeste et ludique, mais le film semble même avoir pris de la valeur avec les années. Un véritable attachement sentimental pour tous les spectateurs heureux de replonger dans l’âge d’or du cinéma français.

Nicolas Marquis

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