2020
Réalisé par: Emmanuel Mouret
Avec: Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne
Vous ne le saurez jamais, mais vous avez eu très chaud. Si on s’était décidé à écrire notre papier autour des “Choses qu’on dit, les choses qu’on fait” un peu plus tôt, il y a fort à parier que notre critique aurait viré au pugilat tant le film d’Emmanuel Mouret, pourtant accompagné d’une bonne presse, nous a crispé et consterné. Durant 2h de temps, celui qui signe la réalisation et le scénario va complètement plonger la tête la première dans tout ce qui fait les clichés et les absurdités d’une portion du cinéma français. Puis on a réfléchi: ne serait-ce pas faire trop d’honneur au long métrage que de le caractériser comme symptomatique de la production française? Assurément! Contrairement aux idées reçues, notre pays est capable d’accoucher de drames et de romances merveilleux et c’est à nous qui aimons poser des mots sur le 7ème art de les mettre en lumière. Mais la réciproque existe, à nous aussi de mettre en garde et de dénoncer ceux qui voudraient s’ériger en porte étendard. Il y a des œuvres qui ont le melon, d’autres la pastèque, puis il y a notre exemple du jour qui a un ballon dirigeable à la place de la tête: une masse gigantesque et pourtant remplie d’air. “Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait” est un film affreux, Emmanuel Mouret ne montre aucun talent, mais tentons de comprendre pourquoi.
“Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait” c’est l’histoire désespérément mielleuse des amours croisés de Maxime (Niels Schneider) et Daphné (Camélia Jordana). Deux êtres qui se connaissent à peine mais qui vont se découvrir à la lumière de leurs déboires sentimentaux, jusqu’à nouer un lien fort entre deux flashbacks sur leur passif douloureux.
D’entrée on va établir un point qui a bien failli nous faire arrêter le film en plein visionnage, en très précisément 10 minutes: la qualité d’interprétation désastreuse du film. Un naufrage collectif tel qu’on aurait du mal à tirer sur quelqu’un en particulier tant l’échec tutoie le travail d’équipe. Le rythme d’élocution voulu par Mouret est calamiteux et agaçant, sa façon d’imposer la moindre négation ou formulation alambiquée pour se donner un air livresque horripile et les acteurs n’ont tout simplement pas la place de faire leur travail: interpréter. On est ici en proie au démon lointain des récitations de poésie de l’école primaire: aucun naturel, aucune émotion, juste un texte vomi à la syllabe près.
Les Réfracteurs vont au bout de chaque œuvre qu’ils consultent, c’est un principe pour bien juger de la qualité ou non de ce qu’on visionne, et pourtant “Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait” a réussi l’exploit de cumuler une deuxième erreur d’entrée également qui nous a aussi sérieusement fait douter de notre capacité à tenir pendant tout le long métrage: un aveux de faiblesse pur et simple. En art, un auteur peut instaurer un pacte avec son audience: un narrateur vous confie en début de film que l’histoire que vous allez vivre va être empreinte de fantastique et immédiatement votre cerveau s’adapte pour voir des choses extraordinaires. “Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait” va utiliser ce pacte pour nous dire clairement: “je vais être mauvais, attention”. Maxime est un jeune auteur qui se cherche (et là l’originalité est décédée, paix à son âme), et qui confie à Daphné qu’il ne pense pas que ce qu’il écrit est intéressant. Transfert immédiat, on comprend qu’Emmanuel Mouret à lui même des doutes sur le bien fondé de sa démarche et ça ne va pas rater, le film va s’effondrer sous le poids de l’ennui.
« Subtile mise en scène pour restituer la solitude. Incroyable! »
Conséquence directe, la vision étrange de l’amour que le cinéaste voudrait nous faire ingurgiter. À partir du moment où Mouret admet que le socle de son récit est bancal, on ne peut plus adhérer à ce qu’on voit. Le long métrage construit sur du rien et on a l’impression que n’importe qui peut coucher avec le premier venu pour la raison la plus tirée par les cheveux possible, sans jamais que le réalisateur ne tienne fermement son histoire. On se confronte à une petite bourgeoisie oisive, obnubilée par le cul, et qui n’a rien de mieux à faire que se masturber la cervelle, ou ce qui la remplace. On ne demande pas à Emmanuel Mouret de s’inscrire dans le quotidien des petites gens et de faire un film sur une ménagère qui range ses courses, et d’ailleurs on ne demande rien du tout à l’auteur! Son ambition est de théoriser l’amour, allons y, c’est un thème qui ne cessera jamais d’être à l’origine de chefs-d’œuvre intemporels. Mais jugeons le alors sur pièce: son histoire, personne ne s’y identifie décemment.
Ce récit, Mouret voudrait d’ailleurs nous le proposer sous la forme d’une grande fresque chorale où l’on passerait du rire aux larmes suivant le protagoniste et le moment. On touche là à un autre problème du film: on comprend les inspirations du cinéaste, on pense simplement que Mouret aime des choses sans savoir vraiment pourquoi. On voit dans “Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait” le spectre des comédies romantiques italiennes de la grande époque, façon “Nous nous sommes tant aimés”, mais sans jamais que Mouret ne frôle le génial équilibre qu’offrait Ettore Scola. Deuxième exemple, la mise en image. Mouret voudrait se faire subtil, accentuer l’émotion par des mouvements presque imperceptibles de la caméra et des instants plus musicaux. On se dit alors que le jeune réalisateur peut continuer de saliver encore longtemps devant Wong Kar Wai avant d’en arriver à la cheville. Puis pour clore le chapitre des inspirations, comment passer le ton prétentieux et pédant de la pellicule? Mouret voudrait convoquer l’âme de la nouvelle vague mais il ne fait que ressusciter les plus belles productions AB dans sa démarche.
Même la patte visuelle de l’œuvre, l’une de ses forces si on s’en tient à une appréciation formelle, tombe complètement à l’eau alors que les longues minutes s’égrènent. D’abord séduisant, ce style s’essouffle à mesure qu’on comprend que Mouret n’a rien à proposer de plus. Ses décors apparaissent alors interchangeables (et certains accessoires déménagent d’ailleurs mystérieusement de lieux) et son identité esthétique ne s’imprime plus, elle se noie, tout comme sa bande son too much. Le cinéma, c’est parfois bien pour rêver, mais pas pour avaler n’importe quoi: on peut se moquer tant qu’on veut, sûrement à raison, de “Seize printemps”, mais quand dans le même temps on fait les gorges chaudes sur un tel torchon, y a quelque chose de pourrie au royaume de France
Notre article est agressif mais espérons qu’il ne soit pas vain. Si on démonte ce film, c’est pour bien comprendre qu’un cinéma français de qualité existe dans le même registre. Il suffit de fouiner un peu et de ne pas s’arrêter à de tels monstres marketings sans âme.