Le cygne

(The Swan)

1956

Réalisé par: Charles Vidor

Avec: Grace KellyAlec GuinnessLouis Jourdan

Le cinéma est un art facétieux, il aime nous prendre au dépourvu pour mieux nous marquer. Combien de fois le 7ème art nous a-t-il plongés dans un contexte historique passé pour mieux théoriser notre époque? Voilà longtemps qu’on a cessé de faire le décompte et pourtant, l’exercice de style ne perd rien de sa pertinence et de son ludisme. Utiliser un tel artifice est toujours l’occasion de s’appuyer sur des visuels grandioses à-même de nous faire voyager dans le temps, tout en rappelant les travers actuels de notre société. Nouvel exemple aujourd’hui avec “Le cygne” de Charles Vidor, qui en 1956 nous proposait de nous propulser au début du siècle dernier pour vivre l’histoire singulière de la princesse Alexandra (l’éternelle Grace Kelly) dans ce qui s’apparente à un anti conte de fées. Recluse chez elle sous l’œil de sa tante, Alexandra ne vit que pour la visite prochaine du prince Albert (Alec Guinness), dont l’union ferait le plaisir de sa famille désireuse de s’élever socialement.  Un projet contrarié par les sentiments naissants entre la princesse et l’enseignant Nicholas Agi (Louis Jourdan) qui vient chaque jour parfaire l’éducation des neveux d’Alexandra.

En prenant un peu de recul sur le scénario, on se rend compte qu’en 1956, Charles Vidor semblait féministe avant l’heure. Il y a dans les hésitations et les erreurs d’Alexandra le parcours d’une femme qui cherche sa place entre les traditions qui l’entravent et son envie de s’affirmer émotionnellement. On pourrait même dire qu’au cœur du film,  c’est le dilemme de toute femme assujettie à l’opinion des autres qui s’exprime. Bien sûr, il faut contextualiser l’œuvre, se replacer dans l’époque, mais il est bien difficile de lui contester cette idée qui sera le moteur de toute la narration.

Un récit qui apparaît à l’écran perturbé par le côté affreusement théâtral du “Cygne”. Charles Vidor se perd un peu en apartés et en portes qui claquent, donnant parfois à son film un aspect vaudeville crispant. Les élans humoristiques du film tombent souvent à plat et les respirations censées être apportées flirtent avec le hors sujet. Un souci criant dans la direction d’acteurs du cinéaste qui apparaît un peu bancale.

On a trouvé bien plus de substance dans tout ce que le réalisateur ne dit pas explicitement, préférant jouer la subtilité. La rutilante demeure de la famille d’Alexandra est ostensiblement ornée mais fourmille de serviteurs, cuisiniers et autres personnages invisibles aux yeux de la noblesse. Charles Vidor oppose assez clairement l’oisiveté des riches et les préoccupations des gens plus humbles dans le cœur de son œuvre et c’est en gardant ce dogme en tête que le film prend une dimension supplémentaire séduisante. Un phénomène criant dès l’introduction, alors qu’une miche de pain passe de main en main jusqu’à devenir le petit-déjeuner de la princesse.

« Envie d’une Guinness? »

Cette opposition est rendue possible par le jeu de perspective presque constant sur lequel évolue le cinéaste. Charles Vidor s’amuse de son décor, va chercher grandeur et démesure dans l’enchevêtrement de couloirs, étale ses personnages au premier plan mais impose tout de même du mouvement au second. Alors oui, Vidor reste discret et préfère les plans fixes à la réalisation tapageuse mais il n’est pas non plus maladroit dans certains cadrages travaillés.

Mais malgré ces idées, un constat indéniable plane sur le film: “Le cygne” ne serait rien sans le talent époustouflant de  Grace Kelly, sa performance est indissociable de l’appréciation générale du film. Élégante, nuancée dans son jeu, et porteuse d’une forme de pudeur qui donne corps à son personnage, l’actrice émerveille. De quoi se réjouir d’être tombé sur le long métrage en épluchant justement la filmographie d’une femme faite pour le 7ème art. Grace Kelly est le cygne et inversement.

Son personnage principal, Charles Vidor va intelligemment l’entourer de figures d’autorité, ce qui confère au “Cygne” une forme de grandeur philosophique naturelle dans les idées qu’il développe. Le frère d’Alexandra est un homme d’église, sa grande tante possède la sagesse de l’âge, Nicholas est enseignant et bien sûr, Albert est prince. Le thème central du film se développe probablement dans le dilemme qui se dessine dans les échanges verbaux: où se trouve la vraie vertu et la paix du cœur? Vidor offre plusieurs axes, souligne leur opposition puis laisse le spectateur tracer sa propre voie.

Un cheminement personnel qui reste malgré tout encombré par un côté dirigiste de l’œuvre. Aussi multiples soient les options pour ceux qui cherchent à se nourrir du film, on sait perpétuellement où Charles Vidor va nous emmener. Un film n’est pas fondamentalement obligé de jouer la carte de la surprise, mais c’est ici comme si on devinait les scènes par avance. Un défaut relativement gênant qui ne trouvera finalement de nuance qu’à la toute fin, trop tard.

Derrière une immense Grace Kelly, “Le cygne” développe une critique intéressante de la société, malheureusement un peu surfaite.

Nicolas Marquis

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