2022
Réalisé par: Joseph Kosinski
Avec: Tom Cruise, Miles Teller, Jennifer Connelly
Film vu par nos propres moyens
36 longues années après son premier épisode, Top Gun connait enfin une suite. Bien que chahuté dès sa sortie pour sa proximité affirmée avec l’armée américaine, que ce soit dans son scénario ou à travers son tournage, le film originel n’a jamais cessé de jouir d’une côte d’amour certaine auprès du public. Le souvenir inaltérable des ébats entre Tom Cruise et Kelly McGillis sur le Take My Breath Away de Berlin reste pour beaucoup un moment culte des années 1980, et même si le fond du long métrage est discutable, la maestria de Tony Scott pour offrir des affrontements d’avions de chasse aussi impressionnants que lisibles est relativement incontestable. Top Gun est pour toujours une étape importante du cinéma d’action, et son succès qui dépasse toutes les attentes lui offre une stature particulière. Néanmoins, plus de trois décennies plus tard, ceux qui avaient enfanté le premier film ont pris des routes différentes. Tom Cruise n’est assurément plus un jeune premier, et est resté une superstar durant ces presque 40 ans. Le producteur Jerry Bruckheimer, maître du box-office jusque dans les années 2000, peine quant à lui à retrouver le succès depuis le troisième volet de Pirates des Caraïbes. Plus triste encore, son acolyte Don Simpson est décédé tragiquement en 1996, et le réalisateur Tony Scott nous a quittés en 2012, alors qu’il planchait justement sur une suite à Top Gun. Ce nouveau film leur est d’ailleurs dédié.
Au moment de son annonce, Top Gun : Maverick joue donc sur le souvenir de son glorieux aïeul: le temps est passé, et la perspective de capter l’attention des plus nostalgiques est certaine, mais faire de ce nouvel épisode un spectacle universel peut sembler être un pari osé. Pourtant, depuis sa sortie le 27 mai dernier, le retour de Pete “Maverick” Mitchell ne cesse de pulvériser les records, faisant de lui l’un des plus gros succès de l’ère post-COVID, et fédérant un nouveau public. Un plébiscite qui ne saurait être dissocié de Tom Cruise lui-même, impliqué dans toutes les strates de l’élaboration du projet. Alors qu’il était encore débutant sur Top Gun, le comédien est depuis devenu un fou du contrôle: pour Top Gun : Maverick, il endosse la casquette de producteur du projet, il propulse également Joseph Kosinski à la réalisation, l’un de ses proches, et Christopher McQuarrie au scénario, son complice phare de ces dernières années. Attribuer la paternité de l’œuvre au comédien ne serait pas juste, mais force est de constater que sans Tom Cruise, Top Gun : Maverick n’existerait pas.
C’est d’ailleurs lui qui endosse à nouveau le rôle principal de ce nouveau long métrage: le pilote de génie Maverick est de retour, et les années qui se sont écoulées ne l’ont pas épargné. Refusant obstinément les promotions, il est resté simple capitaine dans l’armée, seul poste qui lui permet d’assouvir encore son rêve: être aux commandes d’avions de chasse. Néanmoins, le souvenir de l’école de Top Gun se rappelle à lui. Alors qu’une menace nucléaire est détectée par l’armée américaine, Maverick se voit confier la charge de former des jeunes diplomés à une mission qui confine au suicide, et qui les invite à repousser leurs limites. Parmi eux, Rooster (Miles Teller) n’est autre que le fils de Goose, le copilote de Maverick tragiquement disparu dans le premier film. Entre les deux hommes, une tension impossible à ignorer règne, et met en péril le bien de tout le groupe.
De toute évidence, Top Gun : Maverick est à nouveau marqué par le patriotisme, parfois profondément exagéré, qui caractérisait son ancêtre. Sans cesse, le spectateur est renvoyé au courage sans faille des pilotes, à leur adhésion totale à leur mission périlleuse, dans des élans très américains déroutants. Face à la mort, aucun des soldats ne doute, pire, ils cherchent à tout prix à participer à la mission, leur seul idéal. La collusion entre le monde militaire et celui du cinéma est encore agaçante: non seulement Top Gun : Maverick jouit à nouveau des largesses de la NAVY pour ses prises de vues, mais l’apparition régulière du logo Lockheed Martin, célèbre fabricant d’avion mais aussi d’armes en tout genre, et ce même sur des appareils imaginés pour le long métrage, laisse perplexe. Cependant, Top Gun : Maverick nuance son propos, et se pose parfois en témoin critique de son ère. Ainsi, le film trouve un peu de substance au moment de mettre en avant l’utilisation de drone, sujet de polémique vif aux USA: le long métrage évacue trop rapidement le problème, mais ne manque pas de souligner que les pilotes de Top Gun sont une espèce en voie d’extinction, vouée à être remplacée par des systèmes automatisés. Implicitement, une plus grande ouverture s’affiche également à l’écran: en 1986, il n’y avait aucune femme pilote dans l’œuvre de Tony Scott, en accord avec une représentation cohérente de la réalité, désormais la gente féminine est présente, signe d’une évolution bienvenue de la société.
Il apparaît dès lors bien curieux qu’en posant son regard sur le présent, Top Gun : Maverick ne puisse jamais s’empêcher de faire des clins d’œil, sans une once de subtilité, au premier long métrage. Cette nouvelle proposition sombrant régulièrement dans un fan service idiot. Ainsi, Joseph Kosinski n’épargne rien au spectateur: la moto emblématique de Top Gun et le plan iconique de Maverick à pleine vitesse le long d’une piste d’atterrissage, le panneau introductif presque similaire, les scènes de liesses sur les porte-avions, déjà de mauvais goût à l’époque… Top Gun : Maverick répond à un cahier des charges strict, et coche chaque case de la révérence à son aîné, parfois sans le moindre sens. Au moins, ce nouveau film réussit à émuler la tension délicieuse des affrontements aériens. En marchant dans la lignée de Tony Scott, Joseph Kosinski ne se trompe pas: Top Gun : Maverick porte avant tout la promesse de scènes musclées où les pilotes jouent leur vie, et tant que ce spectacle est assuré, le film offre sa dose d’action débridée qui peut se savourer. Le travail de photo, que ce soit à l’intérieur des cockpits, qui oblige parfois les acteurs à manipuler eux-mêmes l’équipement de tournage, ou en dehors, se révèle d’une parfaite lisibilité. Même si Top Gun : Maverick souffre parfois d’un montage trop frénétique, il reste une prouesse de réalisation, qui n’emploie les effets numériques que lorsque celà est absolument indispensable.
Cependant, Top Gun : Maverick n’assume que partiellement ce qu’il est, et le spectacle proposé en devient par moment ridicule. Alors que le premier volet concédait dans une certaine mesure n’être que grand spectacle, ce nouvel épisode tente de trouver du fond, parfois avec une maladresse énorme. Ce point est censé être le pivot du récit proposé, et pourtant, la relation presque filiale entre Maverick et Rooster est totalement grotesque. En faisant d’un trompe-la-mort une figure paternelle, défaillante mais active, le long métrage sombre dans des élans larmoyants loin d’offrir de la substance. Miles Teller est obligé de composer avec un rôle de gamin capricieux, parfaitement idiot, tandis que Tom Cruise campe lui un martyr de l’amour tout aussi consternant. La dose de tension disproportionnée entre les deux hommes est telle, que tout le dernier quart du film fait office de rajout maladroit. Les évocations de Goose et son fantôme omniprésent suffisent à caractériser la relation entre les deux hommes, mais le long métrage préfère opérer une réunion diablement attendue, écrite avec paresse. La récurrence permanente de la réplique “Talk to me Goose”, empruntée au premier film, mais ici énoncée sans arrêt, parachève ce défaut.
Néanmoins, si cette portion du récit semble friable, elle accentue la volonté de Top Gun : Maverick de se démarquer de son prédécesseur. Alors que Top Gun était le portrait de trompes-la-mort, dans une valse permanente avec la faucheuse, cette suite est une course pour la vie. Principalement dans les airs: l’un des rares points de différent entre le film et l’armée est intimement lié au destin des pilotes. Si la hiérarchie militaire ne semble pas faire grand cas de la vie de ses hommes, Maverick cherche à leur apprendre à exécuter leur mission, mais également à en revenir indemne. En endossant le rôle de vétéran de toutes les guerres, Tom Cruise dispense un savoir qui ne se résume pas qu’à l’acceptation des ordres, mais qui englobe aussi le retour sain et sauf. En écho au domaine aérien, la romance qui se noue entre Maverick et Penny (Jennifer Connelly) tranche grandement avec celle installée par Top Gun. À plus d’un égard, Maverick pouvait passer pour un séducteur insatiable dans le premier film, ici c’est la construction d’un futur qui est le moteur de l’intrigue amoureuse. Penny est par ailleurs mère, et succomber à ses charmes est régulièrement rapproché de la responsabilité esquissée qu’aura son partenaire envers sa fille. Le héros du film ne lutte plus pour être le meilleur, la réunion avec Iceman le souligne ouvertement, il bataille pour être en vie, tout simplement.
Par ailleurs, l’idéal que porte le film n’est plus individuel, mais collectif. Finie la course aux points inlassable du premier film, qui poussait les pilotes à rivaliser les uns contre les autres, en redoublant de prises de risques. Ici c’est la création d’un esprit d’équipe qui s’étale. Aucun des héros de Top Gun : Maverick ne saurait s’épanouir seul, le salut est dans la cohésion. Le long métrage le signifie sûrement trop ostensiblement, selon une courbe de progression sans cesse exagérée entre les rivalités du début et la fraternité de la fin, cependant, ce changement de dogmes offre davantage de nuances au message. Même si la séquence est une fois de plus proche du fan service et fait référence au premier film, la scène où les pilotes s’affrontent au football américain pour renforcer leurs liens en est le témoin. Il reste toutefois dommage que pour tendre vers cette idée, Top Gun : Maverick propose une galerie de personnages grossièrement écrits, tous profondément caricaturaux, et pour certains sans véritable évolution. Toute une partie des protagonistes du film ne séduit que partiellement, laissant un goût d’inachevé.
Top Gun : Maverick est un film parfaitement réalisé, et qui répond aux exigences de son aîné. Toutefois, il hérite une part significative de ses défauts, et confine parfois à la paresse et au patriotisme exacerbé.
Top Gun : Maverickest actuellement en salle.
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