Stranger at the gate
Stranger at the gate affiche

2022

Réalisé par : Joshua Seftel

Avec : Richard « Mac » McKinney, Bibi Bahrami, Dr. Saber Bahrami

Film vu par nos propres moyens

Après des années d’enrôlement au Moyen Orient, le soldat Richard « Mac » McKinney rentre dans son Indiana natal en homme brisé. Son âme à jamais meurtrie par l’horreur des conflits qu’il a vécu et le sang qu’il a lui-même fait couler, il sombre dans les abîmes d’une haine aveugle et effroyable qu’il voue à la communauté musulmane de sa ville de Murcie. Pour Mac, la guerre n’est pas terminée et chaque adepte de l’Islam est un danger à la sécurité de sa famille. En 2009, l’ancien militaire envisage un abominable crime. Fabricant une bombe artisanale, il projette de faire exploser une mosquée proche de sa maison et espère tragiquement semer mort et désolation. Toutefois, une fois sur place, il fait la rencontre de fidèles à la bienveillance inattendue pour cet être en proie à un racisme absolu. Les musulmans qui ignorent tout du sinistre dessein de Mac l’accueillent chaleureusement, l’enlacent et lui témoignent une attention empreinte de bonté et d’affection. Celui qui ne percevait l’Islam que comme une péril découvre le message d’empathie et de tolérance de cette religion. Profondément bouleversé, Mac renonce non seulement à son acte terroriste, mais s’ouvre également à ceux qui deviennent ses nouveaux amis. Miraculeusement, après avoir frôlé le pire, l’amour a triomphé de la haine.

À travers son court métrage documentaire Stranger at the gate, nommé aux prochains Oscars, Joshua Seftel revient sur cette histoire vraie et inspirante, immortalisant ainsi à l’écran ce trait d’union inespéré entre deux populations souvent séparées dans le paysage culturel complexe américain. Sous l’œil de sa caméra se succèdent les différents protagonistes de cette leçon d’humanité, que ce soit les fidèles de la mosquée, Mac en personne ou la famille du soldat. Les confessions les plus intimes trouvent leur place dans un film dans lequel les intervenants se livrent à cœur ouvert.

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Avant que la réunion ne s’opère, Stranger at the gate offre une peinture au vitriol des divisions profondes qui frappent les USA de plein fouet. En montrant à l’écran les attentats du 11 septembre 2001 et en invitant ses intervenants à confier les tourments qu’on fait naître chez eux l’horreur de la chute des tours, Joshua Seftel donne des racines au mal raciste qui s’est emparé de Mac à la suite de l’infamie, mais tient également à lui opposer la douleur d’égale intensité de la communauté musulmane de Murcie. En s’engageant dans l’armée, le soldat pense obtenir une rétribution pour sa nation, mais ignore presque totalement que les adeptes américains de l’Islam ont souffert d’une même peine. Un cercle effroyable de haine s’esquisse à l’écran et réunit dans un même temps l’envie de vengeance du soldat et l’évocation des brimades qu’on subit les musulmans des États-Unis. Le terrorisme a brisé un milliers de destins et a tracé une frontière opaque dans la population américaine, encore présente aujourd’hui. 

Néanmoins, l’enrôlement de Mac trouve des racines plus intimes qui expliquent partiellement sa fragilité psychologique. Lui qui n’a jamais obtenu l’approbation de son propre père voit l’armée comme une famille de substitution, un microcosme au sein duquel il est admis et respecté. Stranger at the gate désacralise toutefois l’image souvent idéalisée des soldats américains et surtout de leur hiérarchie. La morale apparaît effroyablement défaillante lorsque Mac explique que ses supérieurs lui ont appris à ne jamais tenir compte du facteur humain et à percevoir les hommes qu’il abat comme des silhouettes de papier d’un stand de tir. Au moment d’évoquer ce qui semble fortement être un syndrome post-traumatique, le protagoniste confie d’abominables cauchemars au cours desquels il voyait du sang couler des cibles artificielles de ses exercices militaires, distillant ainsi l’idée que son mal refoulé est né de cette remise en cause de la valeur d’une vie. Tragiquement, Mac avoue également que pour lui, les conflits ne se sont pas arrêtés au Moyen Orient et que son retour au pays n’a pas marqué la fin de sa guerre personnelle. Ivre de colère, il perçoit chaque musulman comme un danger potentiel, employant même le mot “envahisseur”. Stranger at the gate amplifie cette idée en montrant l’élaboration de la tentative d’attentat contre la mosquée de Murcie à travers une succession de plans aériens, qui rappellent des cartes militaires. La grande force du documentaire réside cependant dans la sincérité avec laquelle Mac évoque sa haine passée. L’ancien soldat ne se dérobe jamais et même lorsque le souvenir est douloureux, il fait face à la caméra frontalement. Que ce soit à travers son passé complexe dans l’armée, son projet funeste, ou les quelques évocations de ses relations familiales perverties par sa fureur aveugle, l’ancien forcené se livre sans se défiler.

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Grâce à cette sincérité sur les maux qui s’emparent de l’Amérique profonde, le message profondément humaniste de Stranger at the gate est habilement décuplé. Pour combattre l’obscurantisme, l’altruisme est la meilleure des armes. Opposer à un homme sur le point de commettre une tuerie de masse les bons petits plats de Bibi, une musulmane de Murcie, peut prêter à sourire, pourtant c’est bien dans cette confrontation entre le mal absolu et la bienveillance désintéressée que le documentaire parvient à émouvoir. Le destin de Mac est peut être unique, alors que pour un repentis il existe des dizaines de drames, mais l’amour a gagné une bataille significative de la guerre contre la haine raciale, dans l’Indiana. La démarche cinématographique de Joshua Seftel devient un geste essentiel pour immortaliser la victoire. Une simple accolade a bel et bien suffit à ouvrir la voie de la rédemption à un être torturé, incapable de trouver la paix dans sa famille qu’il croyait menacée. En citant le Coran, le court métrage illustre magnifiquement cette idée : “Qui sauve une vie sauve l’humanité tout entière”. Après avoir été presque lobotomisé par une rhétorique guerrière néfaste, Mac fait l’expérience d’un Islam de la bonté et de la solicitude, au point d’être galvanisé par cette représentation de la religion musulmane qu’on devine habituellement absente de la pensée conservatrice américaine. Stranger at the gate n’est assurément pas un grand documentaire, mais son intention devient essentielle dans le parcours de rédemption d’un protagoniste bouleversé par la générosité. Au-delà du message religieux, relativement discret, le court métrage est une leçon d’humanité, la découverte d’un équilibre qu’on craignait impossible à trouver, mais qui s’est révélé à la faveur d’un mot ou d’un simple sourire. Les musulmans de Murcie ont compris l’essence des préceptes de l’Islam, et ont transcendé leur âme grâce à la tolérance et au pardon, jusqu’à accepter Mac parmi eux, même une fois son projet d’attentat découvert.

Sans être prosélytiste, Stranger at the gate commet cependant peut-être l’erreur de faire de la foi une nécessité. Peu importe la confession de chacun, il semble que le documentaire impose la parole d’un dieu hypothétique comme un élément essentiel à la sérénité de l’être, bien plus que ne l’est la famille. Mac est d’ailleurs destiné à se convertir et à devenir un leader religieux de sa ville. À l’évidence, sa trajectoire et son choix se respectent, s’admirent même dans une certaine mesure lorsqu’il évoque sa volonté de se racheter de ses crimes de guerre, mais faire de la religion une réponse à un mal de société ne semble qu’accentuer l’idée implicite d’une défaillance plus large de l’Amérique. Le court métrage donne une solution qui n’est finalement que celle de Mac, et se dédouane de mettre trop fortement en accusation le fonctionnement chaotique d’un pays. Ainsi, on comprend partiellement que l’armée a corrompu l’âme du soldat mais jamais l’absence de traitement à son syndrome de stress post-traumatique n’est dénoncé. L’Islam, comme aurait pû le faire une autre religion, occupe un espace laissé vide par les institutions politiques démissionnaires, ce que le film ne montre presque pas. Heureusement dans ce cas de figure, puisque le pire a été évité, mais le court métrage n’interroge pas suffisamment le spectateur sur l’absence de réponse aux troubles des militaires, à l’échelle nationale. Louer les vertus de l’Islam dans des USA où règne trop souvent le racisme est essentiel, mais se refuser au débat social est relativement dommage.

Stranger at the gate est une histoire poignante et importante à raconter. La vision bienveillante de l’Islam que porte le court métrage est indispensable à offrir. Néanmoins, le manque de réflexion profonde sur la société américaine rend le film un peu anecdotique.

Stranger at the gate est disponible légalement sur le site du New Yorker, et sur leur chaîne Youtube.

Nicolas Marquis

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