(کشتارگاه)
2021
Réalisé par: Abbas Amini
Avec: Amirhossein Fathi, Mani Haghighi, Baran Kosari
Film vu en avant-première grâce à l’Atelier Distribution
Classique dans sa facture, moins par son approche sociologique, Marché Noir est un polar dans lequel on connaît déjà les coupables. Le réalisateur Abbas Amini s’intéresse plutôt à la façon dont chacun fait face à une situation atroce.
Amir vient de rentrer de France d’où il a été expulsé. Un soir, il est appelé à l’aide par son père, gardien d’une exploitation de viande. Trois hommes sont morts dans une des salles de l’abattoir et il faut se débarrasser des corps. Le patron, M. Motevalli, est là aussi, et semble irrité par la situation, mais n’explique pas ce qu’il s’est passé. Miné par la culpabilité et désœuvré, Amir se rapproche peu à peu du flamboyant Motevalli qui l’emploie pour ses trafics de dollars. La situation se complique lorsqu’Asra et Hamed, les enfants de l’une des victimes, harcèlent Amir et son père pour obtenir la vérité.
Marché Noir est un film où l’injustice domine, les employés assument les crimes des patrons, et les enfants subissent les manquements de leurs pères.
Lorsque son père l’embarque dans une besogne louche, Amir porte la culpabilité pour deux. Abed, son père, est comme engourdi par le poids de la vie qui lui est imposée. Il a envoyé son fils en France afin qu’il envoie de l’argent pour faire vivre sa famille restée en Iran, mais celui-ci a déçu ses espoirs.
De leur côté, Asra et Hamed sont les enfants d’un homme qui s’est engagé dans des affaires illégales pour lesquelles lui et sa famille payent un lourd tribut.
Sans porter de jugement sur ses personnages, Amini décrit en arrière-plan, la situation économique iranienne où chacun doit trouver un moyen de subsister. Les disputes entre Amir et son père Abed se déclenchent lorsqu’ils parlent d’argent. Le sujet obsède.
M. Motevalli lui-même est soumis à cette lutte, lors d’une négociation où l’on ne voit jamais le visage du banquier, comme si les forces de l’argent étaient si diffuses qu’il était impossible de les personnifier. Les liasses de billets passent de main en main, par un nombre d’intermédiaires qui ne sont pas toujours identifiés clairement.
Filmé caméra à l’épaule, Marché Noir communique un sentiment d’instabilité constante chez le spectateur. Tout dans l’univers d’Amir est bancal et mis à mal : ses relations avec son père, ses choix de vie, la vérité qu’on lui cache, ce qu’il sait ou croit savoir de ceux qui l’entourent. L’image, bleutée et grise, instille une froideur métallique au film, renforcée par les objets qui habillent le décor : voiture, portail, barrière, et pour commencer, les crochets métalliques de l’abattoir, où le travail s’effectue selon un système rodé. Une vache glisse malgré elle vers l’endroit où elle sera abattue : comme dans les tragédies classiques, les personnages sont happés par un destin auquel ils n’échapperont pas.
Amir a été emprisonné en France pendant 2 ans pour avoir voulu se défendre contre un policier dans la jungle de Calais. Or, de retour dans son pays natal, le garçon est enfermé dans une nouvelle prison, mentale cette fois-ci. Abbas Amini le filme enserré dans le décor, toujours entre des murs ou entouré de gens. Les plans sont quadrillés de lignes horizontales et verticales comme pour signifier les barreaux auxquels Amir ne peut se soustraire. La maison de son père est entourée de grands murs, même en extérieur, Amir est en prison.
Ainsi, la figure de l’enfermement parcourt le récit : le film s’ouvre sur des personnages piégés dans une pièce et il s’achèvera de la même manière.
Il règne donc une atmosphère oppressante dans Marché Noir, et peu de respiration. Amini filme la violence avec retenue, elle se manifeste moins dans les actes que dans les relations et les attitudes. S’ajoute à cela une bande son qui instille un malaise constant.
Pourtant, Abbas Amini ouvre le film à un versant poétique lors d’une séquence de voyage. La lumière du film change, l’image s’éclaire, les couleurs sont plus chaudes, les mouvements de caméra deviennent fluides, en particulier par l’utilisation de travellings. Cette parenthèse est décisive pour un récit dont le cours semble irrémédiable. Si Abbas Amini ne dit rien de la destinée des personnages, une issue se dessine néanmoins grâce à Asra. Sa présence insistante est un rappel constant de l’implication d’Amir et de son père. Dans une scène de conclusion déchirante, c’est elle qui endosse la responsabilité du jugement. Tandis qu’elle est à son tour encadrée à l’image, les mouvements de caméra sont plus amples et l’horizon s’ouvre pour Amir qui peut se déplacer librement.
Marché noir est distribué par L’Atelier Distribution et sortira le 5 janvier prochain.