The Woman King
The Woman King affiche

2022

Réalisé par : Gina Prince-Bythewood

Avec : Viola Davis, Thuso Mbedu, John Boyega

Film vu par nos propres moyens

Diplômée de l’université californienne de UCLA en 1991, Gina Prince-Bythewood a fait de l’affirmation de l’identité afro-américaine le moteur de son cinéma. Dès ses premiers courts métrages, une conscience politique engagée émerge, et la réalisatrice emploie l’humour comme un outil de dénonciation contre les inégalités qui gangrènent les USA. Ainsi, en 1997, son œuvre Bowl of Pork revenait en cinq minutes seulement sur les conséquences de l’affaire Rodney King, faisant de son protagoniste l’instigateur involontaire des émeutes qui ont suivi le scandale. La reconnaissance publique s’obtient en 2000 pour la metteuse en scène, à l’occasion de son premier long métrage : en signant le scénario et la réalisation de Love & Basketball, produit par Spike Lee, Gina Prince-Bythewood séduit les spectateurs et la critique, allant jusqu’à glaner un Independent Spirit Award récompensant son script. La cinéaste se fait néanmoins discrète, et ne revient sur grand écran que huit ans plus tard, à l’occasion de l’adaptation attendue du best-seller Le Secret de Lily Owens. Outre l’engouement que soulève ce nouveau film, les relations de confiance entre la réalisatrice et ses acteurs octroient à Gina Prince-Bythewood la réputation de femme proche de ses comédiens : Dakota Fanning, Queen Latifah ou encore Alicia Keys louent ouvertement le talent et l’écoute de celle qui les dirige. Toutefois, la réalisatrice peine à convaincre depuis 2008. Avec peu de films à son actif, elle ne se distingue réellement qu’à l’occasion de la production Netflix The Old Guard, succès d’audience pour la firme mais échec artistique total selon la plupart des observateurs. De retour sur le devant de la scène avec The Woman King, Gina Prince-Bythewood espère une renaissance cinématographique dans cette fresque africaine, notamment aidée par quelques bonnes critiques, et accompagnée d’un casting prestigieux accueillant Viola Davis dans le rôle principal.

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Au XIXème siècle, les royaumes de Dahomey et d’Oyo s’affrontent dans une lutte sans merci. Alors que les colons occidentaux font commerce de l’esclavage, les dirigeants des deux peuples africains mènent des raids sanglants sur les populations civiles rivales, afin de vendre les captifs aux européens. Le roi de Dahomey, Ghezo (John Boyega), s’enrichit de ce sinistre marchandage des corps et résiste aux assauts ennemis en employant la force des Agojies, une troupe de soldats d’élite composée exclusivement de femmes obéissant à un code de conduite strict. Cependant, Nanisca (Viola Davis), la meneuse de ces combattantes, s’oppose à son monarque et l’implore de ne plus collaborer à la traite des noirs, pour se tourner plutôt vers l’agriculture. Lorsque les Agojies accueillent en leur sein de nouvelles recrues, Nanisca semble reconnaître chez la jeune Nawi (Thuso Mbedu) la fille qu’elle a été contrainte d’abandonner à la naissance, et le parcours initiatique de l’adolescente s’entremêle avec le passé trouble de sa mentor.

The Woman King fait de l’affirmation de la conscience féminine le moteur de son scénario. Sur des terres où les femmes sont usuellement opprimées et reléguées au rang de citoyennes de seconde zone, les Agojies constituent un idéal implicite, qui impose la révérence chez les civils. Même si leurs règles les contraignent à renoncer à une partie de leur identité, leur intimant notamment l’ordre de ne pas prendre d’époux, de ne pas enfanter et de vivre dans l’espace clos du palais royal, ces amazones africaines sont néanmoins situées au plus proche du monarque, leur conférant ainsi visuellement le statut d’interlocutrices privilégiées. La voix de Nanisca est décrite comme plus précieuse que celle des nombreuses épouses de Ghezo, justement car elle apporte un contrepoint dans le pouvoir unique que représente le suzerain. La cheffe des Agojies conteste sans cesse les décisions de son roi, jusqu’à s’émanciper de son joug, mais est respectée pour les idées différentes qu’elle incarne. Nanisca est la personnification de la femme Dahomey, inscrite dans un collectif fait de solidarité. Car avant d’être des combattantes féroces des champs de bataille, les Agojies sont des sœurs d’armes, toutes éprouvées par la vie, toutes réunies dans une forme de sororité notoire. À la chaleur des feux de camp, l’intimité se dévoile, et l’entraide devient une vertue, en totale opposition aux diktats guerriers des puissants. Les personnalités multiples, allant de celle qui se rit de tout à celle qui révère les dieux, se réunissent dans des séquences de danses traditionnelles qui rassemblent les femmes, et que Nanisca, pourtant distante auparavant, est invitée à rejoindre symboliquement à la fin.

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Dès lors, le film incite à une transgression des règles en vigueur lorsqu’elles sont injustes. The Woman King prend des allures de geste de révolte légitime mais souvent grossièrement écrit. Ainsi, alors que la maternité est interdite aux Agojies par pur obscurantisme, le lien entre Nanisca et Nawi devient l’enjeu majeur du récit. Si l’opportunisme scénaristique navrant de facilité invite à une certaine retenue, et s’il aurait été sûrement préférable d’entretenir le doute sur la filiation des deux personnages, Gina Prince-Bythewood offre une démonstration visuelle qui trouve parfois de la substance dans des fulgurances trop peu nombreuses. The Woman King unit une fois de plus les femmes, en faisant de la mise à mort de la figure paternelle antagonisée avec une once de lourdeur un acte fondateur et le but de l’histoire. Mais avant l’accomplissement de cet élan presque oedipien, mère et fille sont liées par une succession de scènes, accentuant parfois la complicité, parfois l’opposition. Sur le champ de bataille, dans l’intimité de la caserne, ou plus ostensiblement dans des séquences de bain où Nanisca et Nawi sont seules, les deux femmes sont côte à côte. La maternité reste néanmoins une blessure, illustrée par la cicatrice qu’a imposée la cheffe de Agojies à son enfant, dès sa naissance, pour la reconnaître si le destin les vouait à se rencontrer, mais également symbole de la douleur liée au viol qui a engendré la grossesse. Toutefois, les liens du sang s’expriment avant tout dans le caractère rebelle propre aux deux protagonistes : Nanisca veut mettre fin à l’esclavage, Nawi veut briser le cloisonement social des Agojies. Une même flamme de révolte les habite.

The Woman King oppose le collectif féminin à l’unité masculine. Alors que les femmes sont nombreuses et leurs personnalités variées, l’homme est presque exclusivement réduit à la figure autoritaire du roi Ghezo. Le monarque est corrompu par l’occident esclavagiste, prisonnier d’un commerce effroyable, et Nanisca incarne la voix d’une discorde nécessaire, insufflant l’idée qu’un pouvoir sain se doit d’être partagé et de laisser s’épanouir la liberté d’expression des idées contraires, dans un débat utile. Avant d’être une guerrière féroce, Nanisca est presque une leadeuse politique, qui fédère autour de ses opinions différentes. Néanmoins, le film semble passer complètement à côté de son sujet dans ce domaine, notamment en privant Ghezo de toute nuance, et en le rendant incompréhensiblement versatile. Alors qu’il est un tyran qui réduit des vies en esclavage, The Woman King conserve une distance malheureuse avec lui, et ne cesse de le représenter comme bienfaisant. Pire, alors que l’émancipation féminine est le cœur du film, c’est suite à l’approbation du roi que Nanisca devient enfin la reine évoquée dans le titre, comme si l’aval des pères restait nécessaire. Heureusement, le film réussit à porter l’idée qu’un pouvoir juste ne se gagne pas par l’hérédité, mais par l’honneur et la droiture morale. Les symboles divins du panthéon Dahomey sont la source du couronnement de Nanisca, mais elle est appelée à régner parce qu’elle a prouvé sa valeur au fil de ses faits d’armes, et ainsi gagné l’admiration du peuple. L’opinion publique influence malgré tout le choix du suzerain, même si on reste effroyablement loin de la démocratie. 

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La représentation étrange offerte de Ghezo constitue l’illustration parfaite du problème majeur du film : ses grandes libertés prises avec l’Histoire, alors qu’il se vante justement d’être inspiré de faits réels. À la vue du long métrage, le spectateur éprouve le sentiment que le monarque était nuancé, torturé, voire favorable à la fin de l’esclavage. En réalité, à cette époque, les Dahomey n’ont jamais cessé de s’adonner à l’infâme, et de commercer les êtres. Alors que cette composante de leur société est strictement invisible dans le The Woman King, l’horreur ne se résumait d’ailleurs pas à la vente des hommes, femmes, et enfants, aux occidentaux, mais gangrènait également le quotidien du peuple, devenant un pilier de l’économie locale. Le jour de la mort de Ghezo, plus de huit-cent détenus ont ainsi été décapités en offrandes aux dieux. Lors de l’abolition de l’esclavage dans les sociétés occidentales, les Dahomey se sont même battus pour le maintien de la traite des noirs. Le film élude complètement cette réalité, pour le bien de la fiction. Toutefois, même en concédant ce flou scénaristique pour permettre au long métrage de délivrer son message d’émancipation, la représentation des européens est elle d’un goût extrêmement douteux, qui n’est pas admissible. Jamais on ne sent vraiment l’emprise néfaste de l’occident sur l’Afrique, les quelques personnages à la peau blanche sont presque complètement détachés du scénario, spectateurs et non corrupteurs. Ils sont bien confrontés à Ghezo, mais succinctement, et le seul moment où ils se rendent coupables du pire intervient beaucoup trop tard, après que le long métrage ait humanisé ces protagonistes pour des raisons inexplicables. Pourtant Gina Prince-Bythewood semble bien signifier visuellement le sens de son combat personnel, notamment en mettant en parallèle entraînement des Agojies et agriculture pour distiller l’idée que ses héroïnes veulent se défaire de l’esclavagisme, ou en faisant en sorte que les combats se déplacent progressivement de la campagne africaine aux villes des colons, mais le script entrave ses ambitions.

The Woman King opère même une réunion affective incongrue entre européens et Dahomey, en livrant l’histoire d’amour aux accents de Pocahontas risibles entre Nawi et Malik (Jordan Bolger), un jeune métisse portugais. Alors que l’émancipation féminine est l’axe de lecture principal du film, Gina Prince-Bythewood offre une symbolique particulièrement étrange en empruntant le chemin d’une romance tout à fait improbable. Nawi s’affirme, et sa construction personnelle la pousse pourtant dans les bras d’un colon qui reste responsable partiellement de l’esclavagisme, bien qu’il expose ses turpitudes morales et finisse par se rebeller. Le scénario tente de justifier cette idée en faisant des deux protagonistes des orphelins, la réalisatrice essaie également de se défaire d’un script friable en les réunissant dans la nature sacrée de l’Afrique, mais le mélange proposé est compliqué à admettre. Par ailleurs, l’équilibre entre les deux amants est loin d’être égal. Une succession de symboles forts est adjointe à Nawi, comme lorsqu’elle s’adresse à Malik à travers la palissade du camp de Agojies, brisant ainsi le mur du silence, mais le jeune portugais est quant à lui effroyablement lisse et candide, résumant son rôle à celui de prétexte à une romance opportuniste grossière.

The Woman King semble porteur de bonnes intentions, mais rate complètement son sujet en se réfugiant dans une paresse d’écriture, cachée derrière une direction artistique satisfaisante.


The Woman King est actuellement en salle.

Nicolas Marquis

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