(L’uomo in più)
2001
Réalisé par: Paolo Sorrentino
Avec: Toni Servillo, Andrea Renzi, Nello Mascia
Film vu par nos propres moyens
La sortie du dernier film de Paolo Sorrentino sur Netflix, La main de dieu, est l’occasion de célébrer les 20 ans de carrière d’un cinéaste devenu l’un des porte-étendards du septième art italien. Souvent sélectionné en festival, notamment à Cannes, le réalisateur pose sa patte caractéristique et son sens de l’image léchée sur les œuvres magnifiques qu’il nous offre depuis ces débuts, théorisant avec une minutie toute particulière les contradictions de l’être humain. Mais comment tout à commencé? D’où est né ce style inimitable ? Avant de se pencher sur son long métrage le plus récent, il nous a semblé judicieux de revenir à cette genèse et de vous offrir quelques lignes sur son premier film, malheureusement tombé dans l’oubli et auquel on voue un amour profond, L’homme en plus.
Grand pont
Dès le début de sa carrière, Paolo Sorrentino ne fait pas le choix de la facilité, et propose une structure narrative qui a tout de l’exercice de style culotté. Dans L’homme en plus, l’artiste expose le destin de deux personnages partageant le même nom, Antonio Pisapia, et dont les trajectoires mises en parallèle se ressemblent étrangement. Le premier, incarné par Andrea Renzi, est un footballeur cherchant désespérément à se reconvertir en entraîneur à la suite d’une blessure qui a mis un terme à sa carrière. L’autre, campé par Toni Servillo, l’acteur fétiche de Paolo Sorrentino, est un chanteur de variété adepte du monde de la nuit et de la cocaïne, qui connait une véritable traversée du désert après une affaire de détournement de mineur. Tous deux sont pied au mur et tentent de revenir sur le devant de la scène.
Ces deux Antonio Pisapia, malgré des environnements différents, partagent donc un même point de départ: une gloire révolue qui les laisse seuls lorsqu’elle s’évanouit. Paolo Sorrentino, comme il le fera pendant tout le reste de sa filmographie, choisit de mettre à nue ses personnages, de les dépouiller de tous artifices extravagants pour chercher leur nature profonde. C’est dans l’intimité que se niche le drame, alors que l’entourage des deux héros les abandonne peu à peu. Il règne dans L’homme en plus une notion de fatalité mais toujours accompagné par un espoir d’avenir, certes parfois très vague.
Les batons qui se mettent dans les roues des deux protagonistes principaux ne sont d’ailleurs pas toujours le fruit du contexte extérieur mais parfois le résultat du caractère obstiné de ces deux héros: le footballeur, une des passions affirmée du cinéaste, se refuse à tout autre métier qu’entraîneur. Le chanteur semble lui incapable d’ouvrir son coeur. Des fantômes planent sur eux, celui d’un avenir impossible pour le premier, celui d’un passé traumatique pour le second. L’homme en plus, c’est un portrait de l’être humain face à ses démons intérieurs, sans conteste.
Match à l’extérieur
On ne peut toutefois pas décemment imputer le calvaire que vivent ces deux héros uniquement à leurs défauts: leurs proches qui les laissent progressivement tomber appuient le regard désabusé de Paolo Sorrentino sur la vie de ses personnages. Pour le chanteur, c’est une deuxième chance qu’on lui refuse qui convoque ce sentiment, mais c’est peut être chez le sportif que cet axe est le plus prononcé. Ses alliés d’hier deviennent les ennemis du présent, lui ferment inlassablement les portes d’un futur fantasmé pour des raisons fallacieuses. Les deux Antonio apparaissent réunis face à l’impossible qui s’impose à eux.
Ça n’est peut être pas encore aussi appuyé que dans les futurs oeuvres du cinéaste, mais la place de la femme, objet de fascination perpétuel pour Paolo Sorrentino, interpelle. Durant toute sa carrière, le metteur en scène magnifie ses personnages féminins, les érige en véritables symboles, comme en atteste entre autres sa série télévisée The Young Pope. On sent les prémices de cette démarche dans L’homme en plus. Outre le fait que c’est une adolescente qui sonne la déchéance du chanteur, son rapport à sa propre fille et à sa mère apparaît comme un axe réflectif profond. Encore plus parlant semblent être l’histoire d’amour qui s’initie chez le footballeur: un avenir possible s’ouvre à lui, la passion même est suggérée, et pourtant Antonio va s’y refuser, enfermé dans son obsession
Dribbles virtuoses
Quelle est la forme de narration que Paolo Sorrentino propose dès sa première incursion cinématographique? Quel est son manifeste artistique initial? Au plus évident, il convient de souligner le sens du dialogue de l’auteur. Le réalisateur à un don inné pour mettre en valeur les saillies verbales, pour les installer et leur donner une aura particulière à travers sa mise en scène. La parole sera perpétuellement le premier vecteur de l’histoire, avec une musicalité propre à la langue italienne qui emporte les cœurs.
Il règne également dans L’homme en plus un léger aspect contemplatif qui sera accentué dans le reste de la carrière du cinéaste. On ne sent pas encore la maestria de Paolo Sorrentino pour étaler ses décors avec ampleur, mais dans plusieurs élans de sa caméra, la fluidité est de mise. Alors que le chanteur pénètre dans une boîte de nuit, un long plan séquence l’accompagne, sur une musique de Santa Esmeralda puis du groupe Imagination. De sa voiture à la piste de danse, on colle au protagoniste, au plus proche, on devient bientôt cet être brisé nous aussi. Paolo Sorrentino invite à l’identification.
Mais la qualité principale de L’homme en plus tient peut-être à la force de sa narration. C’est un pari fou pour un premier essai que fait le réalisateur, et qui va s’avérer totalement gagnant. Nos héros sont proches idéologiquement mais ne se croisent pas initialement. Ils auraient pu être amis, ils auraient pu s’entraider, mais la vie est cruelle et refuse leur union. Du rire aux larmes dans des intentions très ancrées dans le cinéma transalpin, Paolo Sorrentino expose deux destins parfois semblables, parfois opposés, mais réussit à les mettre en perspective avec une pertinence dans une construction scénaristique marquée par l’émotion plutôt que par l’événement. Si proches et si loin à la fois sont ces deux Antonio.
L’homme en plus ne semble plus distribué, il faudra donc vous tourner vers le marché de l’occasion.
Un premier film, c’est toujours une rencontre, et celle avec Paolo Sorrentino se révèle profonde scénaristiquement et séduisante dans la forme.
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