La valise rouge
La valise rouge affiche

2022

Réalisé par : Cyrus Neshvad

Avec : Nawelle Evad, Sarkaw Gorani, Céline Camara

Film vu par nos propres moyens

Une adolescente iranienne voilée de 16 ans arrive à l’aéroport du Luxembourg, n’ose pas poser sa valise rouge sur le tapis et est tétanisée à l’idée de passer la porte d’arrivée, derrière laquelle l’attend un homme avec un bouquet de fleurs.

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Auteur de plusieurs courts-métrages comme Portraitist ou Antoine, le réalisateur luxembourgeois Cyrus Neshvad, né en Iran et arrivé au Grand-Duché à l’âge de cinq ans, signe ici une œuvre touchante. Nommé aux prochains Oscars en tant que “Meilleur court-métrage en prises de vues réelles”, son sixième court réussit le défi de nous transporter dans son univers en seulement dix-huit minutes, mêlant sensibilité, angoisse et révolte.

Dans La valise rouge, peu de dialogues, et lorsque les personnages échangent, plusieurs langues sont parlées, pas toujours comprises, symbole de la solitude et de l’isolement que vit Ariane débarquant en territoire inconnu pour elle. La jeune femme ne s’exprime qu’à travers son regard et sa gestuelle car elle ne peut se faire comprendre dans un pays dont elle ne parle pas la langue. Peut-être ne veut-elle même pas être comprise et exprimer son mal-être. Elle a peur et se résigne à errer seule dans cet aéroport dans l’espoir de trouver une issue sans se faire repérer, à la recherche d’une sortie à cette vie dont elle ne veut pas. Son père l’a lâchement laissé dans un avion, l’échangeant sans scrupules contre de l’argent à un homme qui doit devenir son mari, la livrant à une existence non consentie à l’autre bout du monde et de sa famille. 

En Iran, comme dans beaucoup d’autres pays, les femmes sont soumises à la loi des hommes, n’écoutent que ce qu’on leur dicte et ne peuvent s’affranchir afin de vivre leur propre destinée. D’ailleurs, le moment où elle doit apposer sa signature lorsqu’elle échange son argent au guichet ou le moment où elle achète un ticket de voyage résonnent comme un affront quand on sait que la loi en Iran ne permet quasiment rien aux femmes sans l’aval de leur époux. 

Ici, la protagoniste essaie de se cacher et de fuir son futur mari, à qui elle a été promise par sa propre famille. Son père en Iran la harcèle de messages et d’appels afin de savoir où elle est, pendant que l’homme qu’elle est censée épouser est au téléphone avec le père, rageant de ne pas retrouver sa promise alors qu’il a déjà payé et que le mariage est prêt. Elle n’a que 16 ans, il est beaucoup plus âgé qu’elle, une cinquantaine d’années vraisemblablement, et elle ne veut surtout pas être mariée de force mais vivre sa vie comme une jeune femme normale.

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Le réalisateur joue avec le rouge tout au long du court-métrage, comme un symbole de liberté, mais aussi de danger. Il est également synonyme de puissance, et représente la volonté de la protagoniste de s’émanciper. La valise représente elle aussi ce changement, ce nouveau voyage, la volonté de changer de vie. Dans sa valise rouge, son passé, qu’elle embarque avec elle, mais aussi son avenir. Elle contient sa vie, et la jeune femme débarque sur le sol européen avec peu, juste ses papiers et son matériel artistique. Lorsqu’Ariane perd sa valise et qu’elle voit son art dérobé, c’est sa vie d’avant qui disparaît, et elle devra se reconstruire, mais elle peut enfin aspirer à un meilleur avenir. Car la jeune femme est une artiste et ses peintures représentent également cette liberté à laquelle elle aspire, ce qui lui permet de s’exprimer pleinement, l’art étant très conversé dans les pays moyen-orientaux. De nombreux artistes sont d’ailleurs souvent ciblés à cause de leurs œuvres en Iran ou de leurs engagements, comme les cinéastes Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof ou encore l’actrice Taraneh Alidousti, le domaine de l’art étant un moyen d’expression essentiel de la contestation contre le régime. 

Des affiches publicitaires sont disposées le long du chemin de la jeune femme, montrant des femmes libres, pouvant être vues de tous. Ce n’est pas le cas en Iran où la publicité est très contrôlée et souvent censurée car jugée obscène ou provocatrice. Pourtant, les femmes occidentales sont tout de même en proie à une sexualisation venant des hommes, car même ici, les droits des femmes ne sont jamais acquis et elles souffrent d’un monde en manque de féminisme. Le rouge que porte l’une des femmes sur l’une des affiches n’est pas du tout anodin, montrant l’une d’entre elles libre mais sujette à la tentation. On n’y voit d’ailleurs que ses jambes élancées dénudées et ses pieds parés d’escarpins. Cette tenue n’est absolument pas tolérée au Moyen-Orient et le rouge, notamment de nuance vive, serait même une couleur interdite dans l’islam, à moins de la porter avec d’autres teintes. La dernière affiche publicitaire montre une femme tout sourire, mais lorsque la caméra s’approche de son regard, celui-ci est changé et semble traduire une certaine détresse.

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Simple, efficace, émouvant, le court métrage fait bien sûr écho à l’actualité iranienne de ces derniers temps. La scène dans les toilettes où la jeune femme retire son voile et dévoile sa longue chevelure, comme un changement d’identité, nous ramène au combat récent des femmes iraniennes militant suite aux meurtres perpétrés sur leurs semblables qui se battent pour leurs droits. Porter le voile doit être un choix, respecté, et se marier avec qui on le souhaite doit aussi en être un. Ariane représente le courage, le refus de l’oppression et qu’on lui dicte sa vie. Le 16 septembre 2022, Masha Amini a été assassinée pour avoir mal porté son voile, dévoilant ses cheveux, et La valise rouge est un cri du cœur pour la liberté des iraniennes, des femmes, en soutien aux protestations qui ont lieu dans le pays, durement réprimées par le régime islamique, dans un pays où la vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme.

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