La chair et le sang
La chair et le sang affiche

(Flesh and Blood)
1985
Réalisé par: Paul Verhoeven
Avec: Rutger Hauer, Jennifer Jason Leigh, Jack Thompson 

Film fourni par Carlotta

En 1501, en Europe de l’Ouest, le seigneur Arnolfini utilise une bande de mercenaires pour reconquérir ses terres. Mais en les voyant saccager et piller la cité qu’ils viennent de regagner, il trahit son engagement et chasse les mercenaires sous une pluie battante. Martin et ses amis, vexés et épuisés décident de se venger, ils se déguisent en moines et frappent le seigneur en pleine partie de chasse. Malheureusement pour ce dernier, cette chasse était une fausse excuse afin de permettre la rencontre entre son fils et sa fiancée, la belle Agnès. Cette dernière est ravie avec le butin laissant le jeune fiancé désemparé. Mais le jeune Steven n’est pas abattu pour autant, retournant voir le vieux capitaine qui, depuis le siège, a pris sa retraite, il le force à reprendre le combat et à poursuivre avec lui cette bande de brigands.

L’atmosphère médiévale est bien retranscrite, dans toute sa cruauté, mais aussi dans son caractère festif ou encore sa politique et son fonctionnement militaire basé sur l’embauche de mercenaires. La Chair et le Sang se veut moins glamour que les films hollywoodiens de l’époque. Du moins, c’est ce que recherchait Paul Verhoeven quand il a commencé à travailler sur le projet avec le scénariste Gerard Soeteman. Il a rencontré ce dernier sur la série moyenâgeuse Floris, l’un comme l’autre voulait faire un film plus sérieux, plus dramatique. 

Ainsi, Paul Verhoeven en quête de réalisme, s’est penché sur un journal tenu par le meneur de la révolte de Münster en Hollande, mais aussi le livre de l’historien Johan Huizinga, L’Automne du Moyen Âge pour situer son histoire à la fin de moyen-âge et début de la renaissance. Ce qui lui permet d’introduire des inventions de l’époque, notamment celle de Da Vinci. Ce n’était pas une précision totale qu’il recherchait, mais que son récit puisse être suffisamment crédible pour le spectateur.

Cependant, pour le scénariste, Soeteman, il fallait d’autres sources d’inspirations et il a pioché dans les nazis pour mieux caractériser ses anti-héros. Ainsi pour lui, Martin est Hitler et le cardinal est Goebbels. Hawkwood, le vieux capitaine représente l’Angleterre, Steven est l’Amérique avec son industrie et ses inventions, quant au chien infecté et découpé dont les morceaux sont jetés dans la cour du château, il représente les bombardements des cités européennes. L’homme qui est transpercé par les piques est comme un pilote de bombardier qui ne se rend compte de la violence qu’une fois qu’il y est confronté, au sol. Finalement, avec cette histoire, le scénariste voulait dire que le fascisme sera toujours là.

La chair et le sang illu 1

La mise en scène pour Paul Verhoeven est plus concentrée sur le mouvement que la composition contrairement à la peinture dont pourtant il s’inspire. En effet, il cite volontiers Hitchcock qui disait qu’un film c’est le mouvement. Ainsi Paul Verhoeven se base sur la peinture plutôt en préproduction, pour les couleurs, les costumes et l’atmosphère. Les gravures et peintures du peintre hollandais Lucas Van Leyden ont notamment servi de base pour offrir tous les détails des costumes de l’époque. Bruegel et Bosch ont également fait partie des inspirations picturales pour l’élaboration du film.

Le cinéma aussi l’inspire, ainsi Paul Verhoeven dit avoir visionné Alexandre Nevski et Ivan le Terrible d’Eisenstein, mais également Conan de Milius. D’autres inspirations peuvent se faire sentir comme Le seigneur de la guerre de Franklin J. Schaffner, autre tentative hollywoodienne de retranscrire une image plus crédible du Moyen-Age, Le corsaire rouge de Robert Siodmak ou encore Les contrebandiers de Moonflet de Fritz Lang. Mais les films historiques ne sont pas ses seules références, il cite volontiers Les rapaces de Erich Von Stroheim

Enfin, il est impossible de ne pas voir l’ombre du Septième Sceau d’Ingmar Bergman planer sur le long métrage même s’il se veut avant tout du divertissement à la différence de son homologue suédois. Et puis, une autre inspiration, plus assumée celle-ci, est La Horde Sauvage de Sam Peckinpah qui embrasse elle aussi le destin de hors-la-loi ayant conscience d’être sur un fil prêt à se rompre.

La production de La Chair et le sang est hollandaise, mais aussi américaine, étant le point de départ du mouvement du réalisateur vers les États-Unis dans le but d’obtenir des budgets plus confortables. C’est son premier film en anglais et le casting est plus international. Ainsi on retrouve son acteur fétiche : Rutger Hauer dans le rôle de Martin qui ne ploie le genou devant rien ni personne. La très jeune Jennifer Jason Leigh incarne l’ingénue Agnès. Tom Burlinson qui incarne Steven est quant à lui australien. Ce rôle a failli revenir à Tom Cruise, mais ce dernier n’était pas disponible.

La chair et le sang illu 2

Cependant le tournage est compliqué. Paul Verhoeven n’ayant l’habitude des productions américaines et surtout de leur censure a eu des difficultés avec Orion pendant et après le tournage. Ainsi la version américaine a été pas mal coupée contrairement à celle européenne. Ce n’était pas les seuls à craindre la violence et le sexe du film, Rutger Hauer ne voulait pas que son image soit ternie par le film et a tenté de lutter durant le tournage afin d’adoucir les scènes de violences notamment sexuelles, rendant le tournage en Espagne d’autant plus complexe.

Ces violences sexuelles sont nombreuses et d’autant plus difficilement supportables que le film adopte autant le point de vue des femmes que celui des hommes. Dans ce contexte historique, les femmes n’ont alors comme choix que d’être la prostituée, la sorcière ou l’épouse. Au début du film, c’est le point de vue des prostituées faisant partie du groupe de Martin qu’on adopte avant de basculer sur celui d’Agnès qui doit épouser le fils du seigneur. Cette dernière a son caractère et l’affirme. Au début, elle se montre capricieuse et cruelle, avant de devenir manipulatrice pour survivre.

En effet, pour tenter de s’en sortir elle va user des mêmes méthodes que Daenerys dans Game of Thrones (qui s’inspire de ce film). Ainsi elle use du sexe pour séduire son ravisseur et violeur. Le jeu de séduction entre eux se fait sous l’impulsion d’Agnès qui joue sur les points faibles de Martin pour le séduire. Pourtant, ce dernier n’est pas stupide. Il sait user de son intelligence pour manipuler ses troupes via la religion entre autres. Mais face à Agnès, il succombe assez rapidement à ses charmes et à ses manières inhabituelles pour une femme de son rang.

Sous l’impulsion de ce jeu de séduction et de l’introduction de cette lady dans un groupe de brigand: les pauvres tentent d’imiter les manières des riches et de s’affranchir des barrières sociales entre leurs classes. Un sujet qu’on retrouve dans les autres films de Paul Verhoeven. Dans La Chair et le Sang, on suit une bande de mercenaires sans scrupule envers leurs ennemis, mais au caractère fraternel très marqué, vivants entre eux, baisant entre eux. Mais en parallèle, on observe la noblesse et son égocentrisme, son avidité, son mépris et son immoralité. Véritable lutte des classes à travers la revanche menée par Martin, l’opposition va se faire durant le film à travers Agnès et Martin et leur jeu de séduction, mais aussi entre Martin et Steven.

Le film fait se mêler le gore et la romance, le trash et les sentiments les plus innocents, la magie et la science, la peste et les célébrations de joie. Paul Verhoeven voulait que le film soit crédible, mais l’on retrouve le même ton provocateur qui caractérise tous ses films. Ayant également le sens du drame qui fait s’enchaîner les événements les plus terribles. Le sexe enfin est utilisé pour exprimer les relations entre les personnages, les rapports de dominations entre l’homme et la femme, mais aussi les manipulations qui semblent être la seule arme dont dispose Agnès, celle de la séduction et du sexe.

La chair et le sang illu 3

Au même titre que le film oppose les classes sociales, les genres, les formes d’audaces et d’intelligence, il oppose également la science à la barbarie et aux superstitions de l’époque. Martin utilise la superstition comme une arme, le jeune seigneur quant à lui utilise la science et ses connaissances en celle-ci pour combattre Martin. Ce dernier impulsif parvient à retourner les inventions contre son créateur. Ainsi la balance pourrait pencher du côté de Martin cependant, Steven a inculqué sa science à d’autres qui sauront l’utiliser.

Et puis, l’opportunisme de Martin finit par le desservir et pousser sa troupe à le trahir. Agnès de son côté est prisonnière de sa manipulation. Elle ne peut pas dévoiler ses sentiments sans se trahir. Elle doit rester avec cet homme qu’elle déteste, avec une bande de vauriens qui l’ont violée. Même si, au final, elle finira par souffrir d’un certain syndrome de Stockholm vis-à-vis de Martin au point de lui sauver par deux fois la vie. 

Comme dans Robocop on retrouve le même attachement à des scènes de cruauté et d’agonie anormalement longues (pour le cinéma américain) ou encore d’humiliation pour le héros. Mais il fait aussi de ses personnages des figures chrétiennes : Agnès est un ange et Martin associé à un saint. L’on pourrait croire que c’est parce que la religion est importante pour Paul Verhoeven, mais c’est tout l’inverse, il cherche au contraire à la tourner en dérision  et à dénoncer ses mensonges.

Enfin, petit détail, mais pas des moindres pour l’époque : on notera un couple gay qui est plutôt bien traité dans le film, dans le sens où leur amour semble pur, ils sont réunis dans la mort, et eux ne cèdent pas aux violences sexuelles auxquelles semblent rompus les hétéros du film. 
Tous ces détails et bien plus encore sont à retrouver dans l’édition Blu-ray chez Carlotta à travers les bonus, mais également le livre “Comment survivre” par Olivier Père qui non seulement analyse plus longuement le film, mais évoque également sa réception. Le public n’a pas forcément adhéré à ce film ni vraiment américain ni vraiment européen. En revanche, les critiques ont tout de suite perçu le potentiel de ce réalisateur. Et le magazine Starfix notamment a mis en œuvre de présenter ce jeune réalisateur au public français, participant indéniablement au succès qu’il aura par la suite. N’hésitez donc pas à acquérir ce coffret qui vous permettra de découvrir ou redécouvrir le film dans une très belle restauration.

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