2022
réalisé par : Carlo Vogele
Avec les voix de : Camille Cottin, Niels Schneider, Féodor Atkine
Film fourni par Dark Star pour M6 Vidéo
Du mythe d’Icare, on ne connaît que la fin tragique, qui donne son sous-titre au film. Carlo Vogele, dont c’est le premier long-métrage, choisit de raconter le début de l’histoire, en inventant l’enfance et la jeunesse du héros crétois. Ainsi, Icare, jeune fils de Dédale, assiste son père dans la fabrication de ses extraordinaires inventions et s’amuse au pied du palais du roi Minos. Il y découvre un jour un prisonnier monstrueux, Astérion, un être mi-homme mi taureau, fils des amours de la reine Pasiphaé avec un taureau blanc. Furieux et craignant que sa honte fut découverte, Minos a fait enfermer l’enfant dans une pièce du palais où il demeure désormais seul. Une relation fraternelle naît entre Astérion et Icare. Mais la vengeance de Minos n’est pas assouvie et les vies de ceux qui l’entourent s’en trouvent bouleversées.
Si le film est une réécriture et une lecture personnelle du mythe d’Icare, le réalisateur et sa scénariste Isabelle Andrivet font le choix remarquable de garder les éléments essentiels du récit et de ne pas les édulcorer. C’est donc une tragédie que Vogele raconte et met en scène.
Dédale est un inventeur génial totalement consacré à son art et à ses recherches. Fasciné par celui-ci, Icare suit son père, aimant mais peu démonstratif. L’autre père du film, Minos, est un homme brutal et colérique et lors d’une scène de danse exécutée par sa fille Ariane, il pose sur elle un regard d’une satisfaction ambiguë. Ariane et Icare recherchent l’approbation de leurs pères, mais chacun d’eux est enfermé par les lubies de ces derniers. Ainsi Ariane est réellement prisonnière d’un palais contaminé par l’hostilité qui y règne. Icare quant à lui n’est qu’une création de Dédale parmi tant d’autres, une création que l’inventeur modèle à coup de leçons mais qu’il rechigne à affranchir. Icare habite littéralement dans la tête de son père, puisque la maison dans laquelle ils vivent est une immense sculpture du crâne de Dédale, symbole d’un lien principalement intellectuel.
La question des relations est centrale : les personnages parcourent des paysages déserts, les couloirs du palais sont vides, lors des quelques scènes de foule, les personnages en arrière-plan apparaissent comme des silhouettes aux visages esquissés. Les scénaristes ont d’ailleurs laissé de côté les nombreux enfants de Minos et Pasiphaé, à l’exception d’Ariane, renforçant ce vide. Chacun des personnages est abandonné, esseulé, cherche un compagnon ou pleure un amour perdu. Lorsqu’il rencontre Astérion, Icare fait l’expérience d’un attachement à double sens, où les deux parties se portent une affection égale.
Avant de conduire Thésée hors du labyrinthe, un écheveau de fil d’or roule jusqu’à la prison d’Astérion, menant Icare à son futur ami. Au doré du fil succède l’éclat du soleil, au milieu duquel apparaît Astérion, la « petite étoile ». Le cercle, le rond, l’enchevêtrement sont des motifs du film qui s’opposent à la rectitude et aux angles du palais de Minos. On les retrouve dans la forme d’un nautile, celle du labyrinthe, les cheveux d’Ariane, le crâne de Dédale, et bien entendu le soleil. Au cours du récit, il est question pour Icare de trouver son étoile, de tisser sa vérité. Dans sa prison, Astérion estime que « tout ce dont [il a] besoin est là ». Quelques instants plus tard, après des journées passées à jouer ensemble, Icare déclare la même chose à son tour. Astérion encourage d’un geste son ami à le quitter, à littéralement prendre son envol. Ce à quoi doit parvenir Icare c’est la liberté, l’indépendance de corps et d’esprit. Autour de lui, d’autres personnages cherchent à gagner cette liberté, comme Ariane qui désire tant être enlevée par un héros. De son côté, Dédale reste longtemps figé dans une vision amorale de ce qu’il accomplit pour Minos, tant que son génie est satisfait. « Ton père ne fait que suivre la ligne que le destin a choisie » dit Pasiphaé à Icare. Lorsqu’il s’aperçoit que son génie ne résoudra pas la tragédie qui se noue sous ses yeux, Dédale écarte l’intellect pour privilégier l’affect. C’est alors qu’il peut venir en aide à son fils.
Le mythe d’Icare est bien cette histoire d’émancipation, de désobéissance vis-à-vis des parents, mais ici, Carlo Vogele choisit de ne pas formuler l’avertissement de Dédale à Icare de ne pas voler près du soleil. Or ici, le soleil, l’astre, c’est bien Astérion, l’objet de l’amour total d’Icare. Dans la dernière leçon du père à son fils, il explique qu’il faut se perdre pour mieux se retrouver. C’est donc avec la bénédiction de l’inventeur, qui fabrique des ailes en ayant conscience cette fois que son invention aboutira à la perte de son fils, qu’Icare prend son dernier envol. Le film reste fidèle au mythe sans se contenter de n’être qu’une illustration. À l’image de son héros, Carlo Vogele se détache lui-même des récits fondateurs et les transforme pour raconter son histoire distincte.
Il faut toutefois mentionner que si les spectateurs ne connaissent pas l’histoire tragique du mythe du Minotaure, le film paraîtra confus par moment. Il nécessite donc un accompagnement culturel. De même, Carlo Vogele fait disparaître l’influence des dieux antiques, ce qui peut créer une incompréhension vis-à-vis des réactions des personnages, comme la folie de Pasiphaé éprise d’un taureau (en fait ensorcelée par Poséidon), ou l’idée de fatalité à laquelle les mortels soumis aux humeurs des dieux ne peuvent échapper. Ils sont en fait remplacés par les caprices de Minos et l’ambition obsessionnelle de Dédale. Icare incarne un être singulier, qui déjoue le destin, échappe à la volonté des pères, et choisit sa propre voie.
Icare est disponible chez M6 Vidéo, avec en bonus :
- La bande-annonce
- Les secrets de fabrication
Un dossier pédagogique est également disponible via la page du film sur BAC Films