(长津湖)
2022
Réalisé par: Dante Lam, Chen Kaige, Tsui Hark
Avec: Wu Jing, Jackson Yee, Duan Yihong
Film fourni par Wild Side
En 2021, un séisme filmique frappe la Chine. Alors que le monde du 7ème art, et particulièrement celui de l’empire du milieu, se relève à peine des affres de la crise sanitaire, une production toute particulière marque la renaissance des salles locales. Fort de 200 millions de dollars de budget, autrement dit le projet le plus cher de l’histoire du cinéma chinois, Heroes: Battle at Lake Changjin affiche clairement son appétit démesuré. Pour accentuer encore un peu plus ses ambitions folles, le long métrage s’appuie sur un trio de réalisateurs émérites, dont la renommée traverse les frontières: le maitre du cinéma d’action Tsui Hark qu’on ne présente plus; Chen Kaige, l’homme derrière le splendide Adieu ma concubine; et Dante Lam, récemment revenu sur le devant de la scène avec un énorme succès du box-office de son pays, Operation Red Sea. Au final, Heroes: Battle at Lake Changjin est un plébiscite total sur ses terres, réalisant un nombre d’entrées record. Il aura tout de même fallu attendre de longs mois pour le voir débarquer en France, ce qui est désormais chose faite grâce à sa sortie chez Wild Side.
Heroes: Battle at Lake Changjin a d’ailleurs tout pour séduire le public chinois: outre son action débridée, le film relate un épisode inspiré de faits réels des débuts de la guerre de Corée. Alors que les troupes américaines du général MacArthur progressent sur la péninsule qu’ils entendent pacifier par la force, le pouvoir chinois perçoit cette invasion comme une menace à court terme pour son peuple, et décide lui aussi de prendre les armes. Dès lors, l’armée est mobilisée, et notamment une escouade d’assaut téméraire, qui tient tête à ses adversaires au cours d’une bataille devenue légendaire dans l’Histoire chinoise et qui allait changer le cours du conflit, la résistance héroïque du lac Changjin.
Tout aussi inspiré de faits réels soit Heroes: Battle at Lake Changjin, le film n’en reste pas moins une vision particulièrement biaisée et une réécriture totale de l’Histoire. Le long métrage largement financé par le pouvoir chinois, pour célébrer le centenaire du parti communiste, glace profondément le spectateur occidental au moment de représenter des grandes figures politiques et militaires. L’opposition de style, entre un Mao Zedong honteusement affiché comme un humaniste convaincu, père bienfaisant de la patrie, et MacArthur exposé tel un va-t-en-guerre belligérant et sanguinaire, répond finalement davantage à une propagande claire, qu’à une étude profonde des problématiques du conflit coréen. La vérité est en réalité beaucoup plus nuancée, dans une lutte de pouvoir internationale qui font de la péninsule asiatique un des théâtres d’une Guerre Froide naissante. Ici, Heroes: Battle at Lake Changjin tente de nous faire admettre que la réponse chinoise est légitime et uniquement motivée par un esprit de défense, alors que la sauvegarde du régime communiste en Corée était le moteur de l’intervention de l’empire du milieu. De quoi rendre le film politiquement révulsant.
Plus problématique encore, évoquer la guerre de Corée en ne montrant jamais à l’écran un seul ressortissant du pays peut paraître absurde. Heroes: Battle at Lake Changjin se dédouane presque totalement des conséquences politiques du conflit, désastreuses pour les habitants de la péninsule, qui ont vu leur pays coupé en deux et des familles séparées par l’appétit militaire de deux grandes puissances internationales. Pire, le film ment ouvertement sur l’origine du conflit, et tait l’invasion du Sud par le Nord, laissant percevoir l’intervention américaine comme l’élément déclencheur. À ce jour, et même si désormais les combats ont cessé, la guerre de Corée n’est d’ailleurs pas officiellement terminée, et les conséquences affreuses, essentiellement pour les ressortissants nord-coréens qui vivent sous le joug d’un régime totalitaire, ne sont jamais dénoncées dans le long métrage. On navigue en fait dans une héroïsation totale de l’armée chinoise qui ne souffre d’aucune nuance et dont tous les membres sont d’une bravoure infaillible. Un seul personnage américain semble apporter un contre poids à l’antagonisation froide des USA, mais il est clairement isolé. Heroes: Battle at Lake Changjin convoque l’Histoire, mais la déforme, et s’en retrouve presque révélateur de l’état actuel des relations avec l’occident. Un manque de recul flagrant ponctue l’œuvre, bien étrange venu de Chen Kaige qui avait par le passé dénoncé le régime de Mao. À plus forte raison, cautionner un film de propagande alors que les instances politiques suppriment cette année dans le même temps des dizaines d’œuvres qui les dérangent, et qu’elles vont même jusqu’à emprisonner des journalistes dénonçant le parti pris du long métrage, est intellectuellement impossible.
Dès lors, une fois le deuil de toute véracité fait, vers où se réfugier ? Si l’honnêteté n’est pas de mise, la décomplexion totale des scènes d’action assouvit un plaisir primaire chez le spectateur. Dante Lam et surtout Tsui Hark sont des virtuoses du genre, et leur savoir-faire impressionne une fois de plus à l’écran. Dans une avalanche d’explosions, Heroes: Battle at Lake Changjin fait la part belle à de franches empoignades, flirtant constamment avec la surenchère sans jamais en franchir la limite. Le long métrage reste indéniablement un film survitaminés, tourné avec une certaine grâce dans ses batailles à travers un jaillissement de sang jouissif. Les chorégraphies sont réglées au millimètres et la générosité de chaque instant. Si le montage est plutôt sec, certains plans séquence virtuoses traduisent une certaine réalité du front, un univers où la vie humaine peut se perdre en un instant, dans une cohue d’hommes face à leur devoir. Mais peut on segmenter un film comme il nous plait, et se repaitre des séquences musclées lorsqu’elles sont initiées, ponctuées, et conclues par des élans politiques ? Le cinéma porte des messages, et aussi jouissifs soit les affrontements, ils servent une cause ignoble proche du lavage de cerveaux.
Toutefois, la guerre ne se joue pas que sur la ligne de front dans Heroes: Battle at Lake Changjin, mais également dans les bureaux et QG de fortune où se développe la stratégie militaire. Très régulièrement, le film opte pour une vision plus globale du conflit, à travers un amoncellement de cartes, voire d’animations en 3D traduisant l’avancée des troupes. Le long métrage accumule par ailleurs les décisionnaires militaires, rapidement montrés et dont le grade est affiché froidement à travers un sous titre. Malheureusement, on se perd un peu dans cette accumulation de personnages, au point de ne plus savoir qui est qui dans ce dédale de protagonistes. En passant par de larges ellipses pour ne pas freiner son rythme, Heroes: Battle at Lake Changjin se pose toutefois en témoin d’un véritable jeu d’échecs qui court sur de longues semaines, et où chaque hésitation du haut de la hiérarchie à des répercussions tragiques pour les soldats.
Le cœur du récit n’est cependant pas dans une vision globale, mais bien intime de la condition de combattant. Heroes: Battle at Lake Changjin fait autant de place aux batailles qu’au quotidien éprouvant de ses personnages. Le froid et la faim sont tout aussi mortifères que les coups de feu, et la bravoure idéalisée de ces hommes en ressort bouleversante. Leurs motivations apparaissent fantasmées, à l’instar de ce protagoniste qui “se bat pour le futur”, mais elles n’en restent pas moins inspirantes. Le long métrage joue par ailleurs constamment la carte du collectif face à l’individualisme: au delà de la trajectoire de deux véritables frères qui naviguent ensemble dans le chaos, l’escouade mise en scène est constamment assimilée à une véritable famille, notamment à travers la figure paternaliste d’un vieux soldat bienveillant. Là encore, l’interrogation soucieuse est de mise. En fantasmant totalement le quotidien des soldats, Heroes: Battle at Lake Changjin s’aventure sur un terrain qui n’a presque plus rien d’artistique, mais sert la soupe au pouvoir en place. L’idéalisation profonde de la psyché des victimes de la guerre de Corée participe à la réécriture d’un grand roman nationale, à une époque où la Chine entend pacifier par la force les émeutes à Hong Kong et Taiwan. Les morts sont manipulés sur l’autel de l’instrumentalisation politique.
Heroes: Battle at Lake Changjin est un pur film de propagande et se révèle hautement dangereux idéologiquement. L’action assouvira un plaisir primaire, mais à quel prix ? Peut on cautionner une large réécriture de l’Histoire par simple envie d’explosions décomplexées ? Assurément, non.
Heroes: The Battle at Lake Changjin est disponible chez Wild Side.