Emily
Emily affiche

2022

Réalisé par : Frances O’Connor

Avec : Emma Mackey, Oliver Jackson-Cohen, Fionn Whitehead

Film fourni par Dark Star Presse pour Wild Side

Les Hauts de Hurlevent, d’Emily Brontë, fait partie des monuments de la littérature du XIXe siècle. Il fut reçu en son temps comme un livre captivant et puissant, mais aussi un choc vis-à-vis des mœurs et de la bien-pensance de l’époque. Comme le dit très tôt l’un des personnages du film : « c’est un livre vil, ignoble, peuplé de personnages égoïstes qui ne pensent qu’à eux-mêmes ». D’aucune manière une telle œuvre n’aurait pu être écrite par une fille de bonne famille éduquée pour tenir un foyer et élever des enfants, et pourtant…

Frances O’Connor avec son film nous emmène donc à travers le passé d’Emily pour nous raconter les origines de la création de cette histoire qui fascine encore aujourd’hui. Ou peut-être s’agit-il d’autre chose ?

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Ce que l’on peut souligner en premier lieu de l’expérience de visionnage c’est le poids de l’environnement au sein duquel ces personnages, réels, évoluent. La campagne anglaise s’impose à perte de vue, ses plaines luxuriantes sont  habilement rendues froides et sèches. Le vent souffle constamment et s’entend aussi fort qu’on le voit balayer les chevelures et tissus. Les manoirs anglais à la lumière rare compriment leurs hôtes dans un huis-clos étouffant. La seule échappatoire, s’il devait y en avoir une, est un ciel bas aux nuages annonciateurs de pluie. Cette pluie qui guette à tout instant et s’abat ostensiblement sur des corps qui l’accueilleront dans la joie et le rire, ou des corps qui la refuseront, des corps qui s’abriteront sous une bicoque qui sera la base de nouvelles sensations.  Sous ce havre contrefait, l’être humain n’échappe pas à la maladie et la mort frappe sans égard. Ni les sermons ni le respect des coutumes ne feront office de protection.

Ce cadre est utilisé pour raconter une histoire que nous avons déjà vue. Qui a été traitée de mille manières par les milles outils narratifs à notre disposition. Le film introduit à peine ses personnages que nous avons compris les péripéties auxquelles ils feront face et les rebondissements qui seront amenés. Mais, avec le brio d’un horloger, Frances O’Connor manipule des mécaniques scénaristiques éprouvées et les fait fonctionner à merveille. Emily parlera d’une fratrie, orpheline de leur mère, élevée par un père exigeant et tenant à sa position sociale. Chacun et chacune de ses membres aborde la réalité avec ses propres affects, qui entreront en synergie ou s’entrechoqueront, d’où naîtront douceurs et peines,  rivalités et amitiés,  bonheurs et  souffrances. L’histoire est focalisée sur la sœur la plus atypique du lot, celle qui est isolée et solitaire, la tête dans les nuages, celle qui est bizarre, mais qui est aussi dotée d’un talent baroque pour l’écriture. Et bien entendu la relative quiétude du foyer sera chamboulée par l’arrivée d’un individu attirant et éloquent, lequel n’échappe pas aux tourments de la condition humaine.

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Ce tableau dressé, on peut se demander où réside l’intérêt de voir un film qui ne nous surprendra pas.

Et bien justement la ruse ici, ou plutôt le tour de force, c’est d’avoir adopté une structure classique pour traiter avec assez de justesse et d’humilité un large répertoire de sujets. L’intention artistique est si pure que nous en ressentons physiquement les effets. La direction d’acteur aidant, difficile de ne pas éprouver de l’empathie pour une Emily égarée dans une société qui ne la comprend pas, de ne pas fondre devant sa relation fusionnelle avec son frère, de ne pas être enchanté lorsqu’elle ressent enfin l’amour le plus pur. Le traitement du jeu relationnel  transpire la bienveillance pour l’humain dans toute sa complexité et sans jugement. Et donc la narration est assez talentueuse pour lier entre eux des thèmes lourds, soit en arrière-plan, soit sur le devant lorsqu’il s’agit de faire avancer les cases de l’histoire. Emily est une preuve que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures.

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Maintenant passons au geste critique, Frances O’Connor qui a écrit et réalisé Emily a délibérément choisi d’omettre certains détails biographiques de la famille Brontë, voire de mentir. Oui Emily, n’est pas fidèle à l’histoire, c’est un mensonge, un beau mensonge. (La véracité historique n’a de toute manière que peu d’intérêt en tant que concept filmique.) Essayons de comprendre pourquoi le film gauchit certains faits. Sans en faire la liste exhaustive, les omissions sont nombreuses. Le film ne mettra en avant aucun ouvrage d’Anne et Charlotte Brontë ainsi ni Jane Eyre, ni la locataire de Wildfell Hall, ne seront cités. On note également que Frances O’Connor livre sa propre interprétation lointaine des témoignages de l’époque, du carré amoureux des sœurs Brontë avec William Weightman

En somme, l’ambition de ce film n’est pas la décortication méticuleuse et fidèle de la gestation d’un roman adulé, le propos vise  la relation confuse entre l’artiste et son œuvre. En effet, lors d’une de ses premières apparitions à l’écran, Emily récite un de ses textes et semble l’incarner. Divertissement qu’elle exécute jusqu’à braver le sacré lors d’un jeu de société qui tourne à la séance de spiritisme. Anne craint qu’Emily ait perdu le sens de la réalité. Et surtout, Emily se refuse d’écrire plus que d’éphémères poèmes jusqu’à ce qu’une détresse profonde la frappe. Ainsi la souffrance est consacrée en tant que catalyseur de la plume, et comme génitrice du Beau.  Un verdict létal, prononcé par une Emily impitoyable, condamne  avec le personnage de Branwell ceux qui ne souhaitent qu’écrire que pour « rendre extraordinaires les choses ordinaires de leur vie », ceux qui ne voient à travers l’écriture qu’un geste fugace sans sacrifice aucun, sans que leur âme y soit consumée.


Emily est disponible en VOD chez Wild Side.

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