Rebecca

1940

réalisé par: Alfred Hitchcock

avec: Laurence OlivierJoan FontaineGeorge Sanders

Il suffit parfois d’une bonne ouverture pour donner le ton d’un film: dehors, il fait nuit, une pénombre opaque et insondable règne. Alors que la caméra remonte un sentier tortueux, la voix-off de Joan Fontaine nous guide sur ce chemin chaotique. Comme dans un rêve, elle nous accompagne jusqu’aux vestiges d’une vieille bâtisse délabrée, le manoir Manderley où va se jouer une immense partie de l’intrigue. Hitchcock, le réalisateur de “Rebecca”, a encore frappé: en quelques secondes, il nous a plongé dans son récit pour ne jamais nous lâcher jusqu’au dénouement final. Cette histoire, c’est celle d’une jeune femme d’origine modeste (Joan Fontaine donc) qui va s’éprendre pour Maxim De Winter (Laurence Olivier), un riche héritier récemment veuf. Après un mariage expéditif, notre héroïne va s’installer dans la demeure de son prince charmant mais rapidement, le souvenir de l’ancienne épouse, la fameuse Rebecca, va se faire oppressant alors que Joan Fontaine tente de prendre ses marques dans cette nouvelle vie.

Il était une nouvelle fois

Derrière ce résumé succinct, Hitchcock va construire petit à petit ce qu’on pourrait qualifier “d’anti-conte de fées”. La romance qui unit Laurence Olivier et Joan Fontaine apparaît presque immédiatement pourrie, rongée par le deuil de Maxim. L’héroïne de “Rebecca” semble comme une intruse dans le manoir Manderley, une incohérence entre ses murs froids et pour les employés de maison. Ce constat va être particulièrement appuyé dans une scène où Maxim et sa nouvelle femme visionnent un film de vacances: le projecteur se met à dérailler et écourte ce moment. Impossible de construire une histoire d’amour sincère dans un lieu encore occupé par le souvenir de Rebecca.

Une demeure qu’Hitchcock apparente assez ostensiblement à une maison hantée de films d’horreur. Il règne dans le manoir une atmosphère lugubre et fantomatique sur laquelle le maître du suspense va perpétuellement s’appuyer. Du brouillard qui l’encercle jusque dans ses murs épais qui enferment les habitants avec lourdeur, tout dans le film aide à faire de Manderley le témoin silencieux et impassible d’un drame humain.

On peut d’ailleurs constater assez rapidement que “Rebecca” ne repose pas totalement sur un mystère à élucider comme Hitchcock en a coutume. On est dans ce long-métrage davantage sur une histoire d’hommes et de femmes dans la tourmente, happés par les vestiges de leurs anciennes vies. Pas forcément une incongruité dans la filmographie du cinéaste, mais tout de même une démarche notable.

« Bisous bisous. »

Crise existentielle

Ce que fait peut-être de mieux Hitchcock dans son œuvre, c’est construire cette rivalité entre l’ancienne et la nouvelle madame De Winter. Il les oppose, les compare et dessine leurs différences au fil du long-métrage. Le procédé le plus parlant de cette mise en parallèle est sans aucun doute le choix de ne jamais nommer le personnage de Joan Fontaine. En rendant son héroïne anonyme mais en rappelant sans cesse le prénom de Rebecca (jusqu’à en faire le titre du film), le cinéaste construit un rapport de force direct entre les deux épouses.

C’est une véritable remise en cause permanente de son attitude que vit le personnage principal, ne se sentant jamais à sa place dans un lieu qui abrite encore le souvenir de Rebecca. Joan Fontaine est écrasée par un passé que tout le monde sauf elle a vécu de près. Impossible pour elle de se défaire de cette comparaison qu’on lui inflige. On pourrait presque y voir une amorce de critique sociale: l’héroïne a honte de ses origines modestes mais tente tout pour s’intégrer. Ce sont les circonstances et surtout les protagonistes secondaires qui lui refusent cette nouvelle place, redoublant de défiance.

Au plus profond de l’histoire s’invite également une interrogation pertinente sur la place de la femme à l’époque. Joan Fontaine, triomphante de talent dans son rôle, oscille en permanence entre la dévotion pour son mari et l’affirmation de soi. Une place totalement intenable qui ne fait que mettre en évidence les privations de liberté inhérentes à l’époque du film (1940).

Tout est affaire d’ambiance

L’histoire est prenante, l’enrobage est magistral: Hitchcock joue de tous les leviers visuels et auditifs possibles pour donner à “Rebecca” une stature particulière. Dans le manoir oppressant, son jeu autour de la pénombre et de la lumière réussit à teinter chaque scène d’une nuance différente. Il existe indéniablement du brio dans ces séquences où Joan Fontaine et Laurence Olivier s’étreignent, projetant leurs ombres sur les murs de pierre.

Lorsque le cinéaste ne se satisfait pas uniquement de ce postulat, il va chercher avec malice à brouiller les pistes à travers le jeu de ses acteurs. Les émotions changent sans cesse dans “Rebecca”, on passe du rire à la terreur, de la joie à la colère, en une fraction de seconde. Hitchcock enlève tout repère au spectateur, forçant son public à rester sur ses gardes.

Toutefois, pour ne pas perdre son audience, le réalisateur va s’appuyer sur une bande sonore qui donne beaucoup de liant à son histoire. La musique de Franz Waxman est presque toujours présente dans “Rebecca”, comme un accompagnement indispensable pour structurer le scénario. On pourrait presque parler de narrateur musical dans la démarche, ce qui confère par ailleurs une tension dramatique ultime aux rares moments de silence total.

Puis il y a cette notion de péril récurrent dans le long-métrage, des images rapides qui évoquent le danger d’une façon très ouverte. Une falaise escarpée, les vagues qui se brisent contre les rochers ou le vide que laisse entrevoir une fenêtre ouverte: “Rebecca” n’est pas le plus grand film à suspense d’Hitchcock et sa mission n’est pas là, mais le maître réussit simplement par la suggestion à nous laisser perpétuellement aux aguets de la prochaine menace.

Sans oublier le fond, c’est avant tout la forme qui ébahit dans “Rebecca”. Un mélange de parti pris de réalisation et de mode opératoire scénaristique qui invite à la plus grande attention sans jamais vraiment nous lâcher. Un long-métrage qui colle à la peau comme de la mélasse.

Nicolas Marquis

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