Les neuf reines

(Nueve Reinas)

2000

réalisé par: Fabian Bielinsky

avec: Ricardo DarinGaston PaulsGraciela Tenenbaum

Arnaque et cinéma: un mélange toujours explosif. À travers une grammaire filmique commune et un esprit mutin propice aux retournements de situation et autres surprises, mettre en scène une escroquerie sur grand écran est souvent un moyen efficace de capter l’attention du spectateur. Des films au pacte clair: ne détournez pas vos yeux sous peine de manquer les détails essentiels. Mais loin du faste et des paillettes d’un “Ocean’s Eleven” auquel on pourrait rapidement penser, “Les neuf reines” de Fabian Bielinsky choisit de s’attacher à de petits combinards plus proches du peuple, voire un brin loosers. C’est une journée dans la vie de Juan et Marcos (respectivement Gaston Pauls et Ricardo Darin) que l’on suit, deux malfrats minables qui vont s’associer pour tenter de refourguer une planche de faux timbres rares, les fameuses neuf reines, à un riche collectionneur. Une affaire dont l’envergure va rapidement dépasser leurs capacités et qui va se transformer en course contre la montre pour empocher le magot.

Une grande partie de la saveur des “Neuf reines” repose donc sur la dynamique de ce duo de truands à la petite semaine, réunis en début de film derrière ce but commun. Une relation d’élève à maître s’instaure entre le débutant Juan et le supposé plus expérimenté Marcos. Si dans le cœur du long métrage ce rapport de force est un moteur efficace, on reste un brin dubitatif quant à l’installation de ces personnages qui semble un peu facile. Il faudra savoir digérer ce segment d’introduction avec ses défauts pour goûter pleinement cette proposition qui porte l’oeuvre généralement bien, soyons honnêtes.


Si on pinaille un peu, c’est sans doute car Juan semble plus creusé que Marcos, ou tout du moins plus habilement. La tension dramatique, ce qui va venir susciter un poil d’émotion, repose presque uniquement sur le personnage de Gaston Pauls, beaucoup plus nuancé et moins verbeux que Ricardo Darin. Certes, Marcos est un bonimenteur un peu ridicule, le scénario le propose volontairement ainsi, mais on finit par se lasser de ses logorrhées agaçantes à l’usure. On s’identifie finalement plus facilement au magouilleur en herbe qu’à son professeur qui n’impressionne pas réellement. De quoi se demander si le problème ne vient pas de la direction d’acteurs, d’autant plus lorsque certains d’entre eux semblent hors ton. On retiendra tout de même quelques saillies verbales piquantes même si le naturel manque parfois.

« Triel. »

Pour unir ce couple étrange à l’écran, Fabian Bielinsky va faire des choix de cadrage intéressants, cherchant à englober le plus souvent possible ses deux héros sur la même image. Même lorsque Juan est passif et silencieux, il semble toujours au contact de Marcos. Un processus qui aide à assimiler le status quo entre les deux hommes de manière plus subtile que ce que proposent les dialogues. L’un mène, l’autre suit, visuellement autant que dans le fond.

Pour le reste, on retrouve toute la mise en scène classique du thriller: plans en mouvement qui offrent une sensation de vertige, rythme soutenu dans l’enchaînement de péripéties et scènes relativement courtes pour garder du punch à chaque rebond du scénario. Bielinsky n’invente rien de concret dans “Les neuf reines” mais il sait faire preuve d’une réalisation sans écart majeur. Le cinéaste joue une symphonie connue mais sans trop de fausses notes, livrant un divertissement digeste. En ramassant son histoire sur environ une seule journée, il apporte même un brin de tension agréable, maintenant ses personnages sous un stress perpétuel.

Mais au-delà des effets plutôt habiles du réalisateur, il est venu le temps de jeter un pavé dans la marre et d’évoquer l’écueil principal du film. Vos Réfracteurs sont atteints de ce qu’on qualifie chez nous de “syndrome du cinéphile aigri »: à force de parcourir des centaines et des centaines de films, l’effet de surprise s’estompe dramatiquement pour les plus aguerris des amateurs de septième art. Ce souci va venir entacher “Les neuf reines”: pour qui a un tant soit peu d’expérience, les rebondissements du scénario semblent attendus, prémédités et par conséquent sans saveur. On devine clairement où va nous balader Bielinsky et le metteur en scène ne réussit pas à nous faire oublier nos habitudes d’analyse un peu idiotes. Concrètement, une partie du grand public se satisfera pleinement du film, mais nous on pinaille et on peste. C’est le prix à payer d’une passion dévorante et on envie les spectateurs plus facilement emportés que nous.

Dommage car avec une certaine forme d’élégance, Bielinsky, également scénariste, fait passer des concepts qui nous parlent. Il existe dans son œuvre une forme de charge politique lorsqu’on voit ces deux gagne-petit tenter de renverser des puissants. “Les neuf reines” propose une image assez acerbe de la société argentine où se déroule le film qu’on transpose volontiers à notre pays. On n’est pas en présence d’un film aussi engagé que “Parasite” par exemple, mais impossible d’affirmer que l’œuvre qui nous intéresse est neutre. Il se dégage un parfum de révolte parfois dur à déceler mais présent qui nous interpelle.

Les neuf reines” a tout du thriller classique mais plutôt efficace. On se désole tout de même de voir que Bielinsky se contente de ce postulat et manque de précision alors qu’il semblait vouloir élever son récit vers une réflexion plus haute.

Nicolas Marquis

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