L’ombre rouge

1981

de: Jean-Louis Comolli

avec: Claude BrasseurJacques DutroncNathalie Baye

Il y a sans aucun doute une certaine tradition française qui révèle une porosité assumée entre le monde de la chanson et celui du cinéma. Les exemples passés (Johnny Hallyday), ou bien présent (Louane) pleuvent, et plus fort encore, ce sont parfois les comédiens qui deviennent de grands chanteur (Reggiani pour citer un exemple bien plus reluisant que les deux précédents!). Ayant sans aucun doute une certaine sympathie pour Jacques Dutronc, vos Réfracteurs s’étaient mis de côté l’un des films ayant accueilli l’artiste: “L’ombre Rouge”. Banco ou banqueroute?

On résume d’abord l’intrigue du film. Le film prend place en 1937. Alors que la guerre d’Espagne bat son plein, Anton (Claude Brasseur), un communiste de la première heure, est capturé par les nazis déjà bien en place en Allemagne. Pour effectuer un échange de prisonniers et délivrer le camarade, le parti va faire appel à Léo (Jacques Dutronc), lui aussi un militant secret mais actif. Une fois réunis, les deux compères vont mettre en place un réseau clandestin dans les ports de Marseille pour approvisionner en armes ceux qui luttent contre la dictature du Général Franco dans la péninsule ibérique. Mais les divisions au sein du parti communiste et l’ombre du fascisme vont mettre à mal leur entreprise.

Ce film, on va clairement le découper en deux parties bien distinctes. D’un côté cet échange de prisonniers donc, relativement prenant et maîtrisé, presque un thriller d’espionnage. D’un autre toute cette construction d’un réseau dans le sud-est de la France, et là on va pas vous cacher que c’est presque immédiatement que l’oeuvre devient bien plus chiante, alors que cela constitue le coeur du long-métrage. Un véritable acte manqué, car le contexte était franchement intéressant: les luttes entre communistes, fascistes et français pris entre deux feux étaient sans aucun doute mieux exploitables, avec toutefois une volonté plus réussie de restituer également les luttes internes au sein du parti communiste.

Cette dualité entre idéologie et Stalinisme qui commence à devenir dictatoriale est d’ailleurs ce que le film fait de mieux. Toute la désillusion de ces hommes convaincus par leurs principes de partage, mais déjà emmerdés par les dérives totalitaires venant de Russie, “L’ombre rouge” la dépeint assez bien.

« Claude Brasseur qui tient la chandelle »

Enfin assez bien c’est vite dit quand même, le film va tomber sur un cactus (vous l’avez?). Alors que Léo est le héros de ce film, c’est pourtant le personnage de Claude Brasseur qui va lui voler la plupart des scènes. Bien mieux écrit, et surtout mieux servi par de savoureuses tirades, il laisse peu de place à Jacques Dutronc et une toute jeune Nathalie Baye presque uniquement potiche dans ce long-métrage. Ce n’est pas comme ça qu’on aime regarder les filles (et là?). Dans ce trio, Anton est clairement le mieux interprété.

Autre occasion manquée: celle de faire un vrai parallèle efficace entre deux extrémismes: Stalinisme et nazisme. Alors que “L’ombre rouge” semble vouloir tendre vers cette idée, il fait constamment un pas en avant puis deux en arrière. Le scénario en lui même n’aide pas: trop politique pour être un pur divertissement et trop léger pour être pertinent. Jamais à l’équilibre, on a une impression franchement zarb’ de demi-mesure. Au point que la dictature allemande naissante finit par être presque négligée, tout comme la guerre d’Espagne qui devient à peine plus qu’un moteur à l’intrigue. Alors franchement, on va pas parler d’injure à l’Histoire, mais amorcer autant de thèmes pour finir par s’en affranchir, c’est clairement couillon.

Niveau réal, le film ne va pas rehausser le niveau les potes. Alors que le premier tiers entretenait quelques maigres espoirs grâce à sa tension, la deuxième partie va accuser terriblement le coup. Aucune prise de risque, des décors à la limite du feuilleton télévisé et une impression de brouillon permanente, on est là dans un gloubiboulga franchement lourdingue. Toute la tension liée à l’espionnage et son danger inévitable passe à côté de la plaque. Banal, creux et sans relief, le film se paye même le luxe d’être parfois à la limite de l’incompréhensible: une scène posée n’explique pas le fouillis qui la précède, le cinéma ce n’est pas aussi simple.

On a beau affirmer une fois de plus notre sympathie pour Jacques Dutronc, on est forcé de constater que “L’ombre rouge” ne décolle jamais. Perpétuellement sur le point d’amorcer un récit plus ample, le film passe complètement à côté de ses élans potentiellement sympathiques mais mal exécutés.

Nicolas Marquis

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