Les invasions barbares

2003

de: Denys Arcand

avec: Rémy GirardDorothée BerrymanStéphane Rousseau

“La valeur n’attend pas le nombre des années” disait Pierre Corneil. “Ouais bof” sont tentés de lui répondre Les Réfracteurs dans un style littéraire qui n’appartient qu’à nous. Si vous êtes un fidèle lecteur de notre site, il ne vous a pas échappé qu’il y a peu, nous nous étions penchés sur “Le déclin de l’empire américain”, qui nous avait laissés dubitatifs. Toutefois, promesse fut tenue de continuer à disséquer le triptyque filmographique de Denys Arcand, et on se penche donc aujourd’hui sur “Les invasions barbares”.

C’est un peu à reculons que nous avons abordé le film. L’appréhension était forte, et la crainte de voir Denys Arcand continuer à nous délivrer sa vérité plus que discutable palpable. Pourtant, et bien que hautement imparfait, “Les invasions barbares” constitue une avancée qualitative certaine, d’une part parce que le cinéaste nuance son propos, d’une autre parce qu’il casse le format de base, pour étendre le spectre de sa réflexion.

On retrouve Rémy, l’un des héros du “Déclin de l’empire américain” bien des années plus tard. Au crépuscule de sa vie, il va remettre en cause ses choix, et réunir autour de lui la bande d’amis qui avait peuplé le premier film. Il va aussi essayer de renouer le lien avec ses enfants, plus particulièrement son fils avec qui la relation a toujours été tendue.

Denys Arcand va donc quitter le film chorale du premier long métrage pour centrer un peu plus son propos sur cet homme en bout de course. Un choix salutaire, car même si on retrouve les conversations entre amis qui nous avait un peu ennuyé auparavant, le fait de se focaliser sur un seul personnage permet aux spectateurs de faire plus facilement le tri entre ce qu’il partagent avec le personnage, et ce qu’il lui reprochent. Ce qui passait pour de la condescendance dans le premier opus est ici plus nuancé, mais surtout, Denys Arcand n’assène plus son propos comme vérité absolue. Ici, on peut à loisir compatir ou condamner Rémy, cet homme imparfait.

Preuve de ce nuançage, la volonté d’étendre le propos du film aux enfants de notre héros. En s’ouvrant à une nouvelle génération, le cinéaste réussit à s’auto-critiquer, lui qui semblait si convaincu pendant “Le déclin de l’empire américain”. Le fils de Rémy, incarné par Stéphane Rousseau, bien plus convaincant dans ce registre dramatique que dans ses stand-ups, est complexe: alors que de façade les deux hommes semblent se haïr, le fils va tout mettre en oeuvre pour offrir à son père un dernier tour de piste dans les meilleurs conditions possibles, quitte à transgresser la légalité, lui pourtant si propre sur lui, et permettre à son paternel d’oublier un peu la douleur grâce à la drogue, en l’occurrence l’héroïne. Ce qui peut sembler être un devoir aux allures de corvées pour Stéphane Rousseau, on comprend en fait que c’est de l’amour pour son père, malgré les épreuves. Un amour caché, non-dit, qu’il faut savoir deviner dans les actes plus que dans les paroles.

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Ouverture générationnelle donc, mais aussi sociale. Tout d’abord dans la manière de mettre en scène le milieu hospitalier. Surpeuplé dans certains services, alors que d’autres sont vides, un personnel soignant complètement dépassé, et un manque d’écoute total: le cinéaste tire à boulet rouge. Sans doute un peu trop car au moment où le fils tente d’aménager un peu de confort pour son père, il se heurte au syndicat hospitalier. Et malheureusement, on retrouve un Denys Arcand trop sûr de lui, qui décrit sans demi-mesure des syndicalistes fortement corrompus quitte à mépriser un peu les classes populaires. La révolution n’est pas totale.

Dommage, car au moment où Stéphane Rousseau tente de se procurer de l’héroïne, le cinéaste va installer un autre personnage, la fille d’une des principales protagonistes du « Déclin de l’empire américain”. Bien qu’issu d’un milieu aisé, ce personnage torturé, une junkie pourrait on dire, paye les fêlures de son enfance. On comprend que subtilement, le réalisateur remet en cause les dogmes du premier film. Cette fille, c’est une façon de dire après coup “peut être me suis-je trompé auparavant” pour Denys Arcand, même si c’est extrêmement subtil. Il faut savoir discerner, au gré des anecdotes, les remords que confie Rémy à la jeune fille.

Pourtant, à mesure que le film avance et que la tension dramatique augmente, le cinéaste canadien retombe dans ses travers: pompeux, prétentieux et parfois à côté de la plaque. Certes, nous avons mis en avant des nuances salutaires, mais la perfection semble loin. Preuve en est, cette façon parfois complètement hors de propos qu’a le long métrage de nous gaver de noms d’auteurs et de livres, sans rapport franc avec le sujet du film. Un name-dropping trop maladroit, qui ne s’intègre que très mal, et qui donne l’impression que le réalisateur cherche simplement à étaler sa culture. Peut être Denys Arcand aurait dû lire Françoise Sagan aussi, et s’inspirer de sa célèbre citation “La culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale”.

Sans être un mauvais film, les défauts des “Invasions barbares” sautent aux yeux, et c’est derrière une forme de misérabilisme facile qu’on les camoufle. Permettez-nous de vous expliquer: en mettant en scène un personnage mourant, le film force la compassion. Cet homme que l’on avait haï pendant “Le déclin de l’empire américain”, on finit par lui trouver des excuses. Mais en serait-il de même dans un autre cadre, s’il avait été en bonne santé? Rien n’est moins sûr. Cette construction scénaristique un peu facile permet de faire passer un homme détestable au demeurant, pour un gentil épicurien. Une prise d’otage émotionnelle, certes, mais qui n’empêche toutefois pas Denys Arcand de déconstruire son propre mythe pour le critiquer.

Malgré tous ces défauts, “Les invasions barbares” reste un bon moment, bien plus intelligent que le premier film. Réitérons donc notre promesse d’aller jusqu’au bout de cette trilogie très bientôt, en se penchant sur “L’âge des ténèbres”, avec un peu plus de confiance cette fois.

6000

Meilleur que le précédent film car plus ouvert, nous restons un peu de marbre pour la deuxième fois de suite devant le cinéma de Denys Arcand. On gardera tout de même en mémoire cette relation père/fils qui semble bien plus pertinente que les envolées lyriques barbantes du groupe d’amis.

Nicolas Marquis

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