Le vent se lève

(The Wind That Shakes the Barley)

2006

Réalisé par: Ken Loach

Avec: Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham

C’est au fil d’une carrière remplie de films voués à mettre en lumière les injustices de notre monde que Ken Loach s’est construit une image de champion du peuple. Pourfendeur des inégalités, le cinéaste ne cesse de poser un regard plein d’humanité sur notre époque malade. Preuve ultime de cette noble aura, la seconde Palme d’Or que remportait le réalisateur en 2016 pour “Moi, Daniel Blake”, diagnostic sans concession sur notre société. Pourtant, il n’en a pas toujours été totalement ainsi: plus en arrière dans la filmographie du prolifique auteur, on trouve des récits qui s’inscrivent dans le passé, aux périodes troubles du 20ème siècle. On pourrait parler par exemple de “Land and Freedom”, une plongée dans la guerre civile espagnole, mais c’est aujourd’hui l’autre récompense ultime glanée à Cannes de Ken Loach qu’on évoque: “Le vent se lève”, sorti en 2006. Une fresque historique qui puise peut être sa force dans la vision très humaniste de son metteur en scène.

La mise en image d’un scénario de Paul Laverty, un proche du réalisateur, va nous transposer en Irlande, dans les années 20, alors que le peuple se soulève contre l’oppression des troupes militaires anglaises. C’est tout particulièrement le parcours de Damien (Cillian Murphy) qu’on va vivre, sa prise de conscience, sa révolte et son engagement dans la rébellion. Sur son destin va planer l’ombre d’une époque obscure, où les alliances se font et se défont au gré de l’intérêt de quelques-uns et au mépris du peuple.

Un contexte où la férocité des soldats anglais va se faire choquante. Scènes de mises à mort et de torture, contre les insurgés où de simples civils, se succèdent à l’écran, toujours filmées avec une froideur qui bouscule notre ressenti. C’est parce que Ken Loach ne fait aucune fioriture dans son rendu graphique que l’atrocité de ses images est aussi puissante. Il ne détourne jamais le regard, son film se veut direct et sans concession, aux confins du vice humain. “Le vent se lève” serait-il le plus fataliste des longs métrages de Ken Loach

La question reste ouverte alors que la seconde moitié du film s’attèle à souligner la désunion des hommes devant l’appât du gain immédiat. Si jusqu’alors Ken Loach nous plongeait dans une logique de guérilla urbaine, loin d’une opposition de tranchés, il n’hésite pas à changer ensuite sa grammaire pour se centrer sur le politique, et par extension l’humain. Ses héros sont des hommes éprouvés à l’extrême, tout au bout de leur trajectoire et face au gouffre de leur destin, soutenus tout de même par un peuple jamais absent du récit.

« Rando champêtre. »

Pour personnifier les basculements idéologiques de ces êtres à la dérive, Cillian Murphy incarne le parfait héros romanesque. On voit en lui des traits communs aux personnages de Zola dans la flamme de la révolte qui l’anime. Pourtant ce protagoniste principal n’adhère pas immédiatement à la cause qui finira par totalement le définir: il doute, il remet en question, il renie même parfois. Puis vient le temps de suivre la route qui est la sienne, de nous emporter dans le chavirement interne qui sera le sien et l’axe du récit.

C’est aussi à travers l’opposition entre ce protagoniste principal et son frère qu’on comprend que Ken Loach ne porte aucun jugement sur les personnages, du moins irlandais, de son film. Les choix ne sont pas polarisés entre le bien et le mal dans l’œuvre, mais plus ouverts. On y trouve finalement autant d’explications (et non pas de justifications, soyons précis) aux agissements des bourreaux qu’à la démarche jusqu’au boutiste des plus déterminés des insurgés. Rares sont les personnages à la trajectoire claire et qui ne flirtent pas par la force des événements avec la limite entre le bon et le mauvais chemin.

Émerveillement visuel enfin, assez inattendu venu de Ken Loach. On est désormais habitué à voir le réalisateur s’exprimer dans des prises de vues ancrées dans le concret, souvent dans des bâtiments en béton. Ici on prend un certain plaisir à le voir multiplier les plans plus installés qui restituent la beauté de la campagne irlandaise, son vert incomparable et ses vallons accentués. Si on n’a jamais douter de la puissance narrative visuelle du cinéaste, on apprécie pour une fois une œuvre plus contemplative par moments.

Une autre facette de Ken Loach se révèle à nous aujourd’hui, plus pesante mais qui s’avère complémentaire de ce créateur dévolue à combattre l’injustice.

Nicolas Marquis

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