Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse
Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse affiche

2022

Réalisé par : Michel Ocelot

Avec : Oscar Lesage, Claire de la Rüe du Can, Aïssa Maïga

Film fourni par Dark Star pour Diaphana Édition

De voyage en voyage, Michel Ocelot guide le public dans un périple imaginaire à travers mille cultures, toujours évoquées avec passion. Lui-même enfant de deux pays, né en France mais ayant passé une grande partie de son enfance en Guinée, le réalisateur et scénariste fait de son art une errance perpétuelle autour du globe. Autodidacte, il a magnifié le cinéma d’animation de ses coups de crayon au style unique et empreint de poésie visuelle, attirant rapidement le regard de la critique internationale. En 1980, l’auteur ne s’adonne aux courts métrages que depuis six années, pourtant son œuvre Les trois inventeurs est récompensée d’un prestigieux BAFTA, avant qu’il n’obtienne un César trois ans plus tard pour La légende du pauvre bossu, preuve de la reconnaissance que lui octroie le monde du septième art. Plus d’une décennie est néanmoins nécessaire pour que Michel Ocelot offre au grand public son premier long métrage. Plébiscité presque unanimement, Kirikou et la sorcière est un succès de salle inespéré qui fait du réalisateur un nouveau porte-étendard de l’animation française. La suite de sa carrière n’est qu’une longue succession d’excursions oniriques à travers le monde. Avide de savoir, l’artiste erre avec le cinéma pour passeport, du Moyen-Orient de Azur et Asmar à la Russie d’Ivan Tsarévitch et la princesse changeante, en passant par le Japon de Yoru no tobari no monogatari: Samenai yume. L’épure de sa patte graphique et de ses dialogues fièrement revendiquée, Michel Ocelot est un globe-trotteur du grand écran.

Son dernier film en date, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, porte en lui l’âme vagabonde du créateur. Dès sa conception, le long métrage fédère des savoirs internationaux, puisque chacun des trois segments qui composent l’œuvre est confié à un studio différent, entre la Belgique et l’Est de la France. Toutefois, c’est avant tout dans son scénario que le long métrage invite aux pérégrinations. Réunie devant une conteuse d’histoire, une foule rêveuse réclame de nouveaux récits. Peu avare en parole, la narratrice leur offre trois aventures distinctes, chacune ancrée dans une époque et un pays différent. Dans l’Égypte des pharaons, un prince tente de conquérir le pays pour gagner le cœur de sa belle, prisonnière du joug de sa mère. Puis, en Auvergne, au moyen-âge, un jeune fils de duc se lie d’amitié avec un prisonnier avant d’être chassé dans la forêt. Enfin, dans la Turquie rutilante du XVIIIème siècle, un vendeur de beignets séduit la fille du Vizir, risquant sa vie pour retrouver son aimée à la nuit tombée.

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En convoquant une assemblée disparate d’auditeurs devant la narratrice des différentes histoires, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse transforme l’expression de l’imaginaire en instant fédérateur. Les auditeurs, uniquement représentés comme des ombres chinoises, semblent venir de milieux sociaux parfois opposés, n’ont pas la même sensibilité ni les mêmes aspirations, pourtant dans l’écoute des trois aventures, ils sont ensemble, rendus égaux par la magie des contes. Un même élan d’émotion les habite, ils sont transportés hors de l’espace et du temps, à l’instar du spectateur. Les interludes qu’offrent ces séquences n’ont pourtant pas été imaginées dès les premières ébauches du film, mais elles se sont progressivement imposées à Michel Ocelot. Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse a connu une gestation rendue difficile par la crise du COVID. Pour l’auteur, réunir des personnages anonymes dans une envie d’onirisme collective était une façon de conjurer la solitude qu’avait fait naître le confinement et d’inviter à renouer avec la vie en groupe. Le rôle de la conteuse d’histoire devient alors essentiel. Charge à elle de guider les âmes rêveuses dans ses univers fantastiques. Se transposant sûrement partiellement sous les traits de la narratrice, le réalisateur fait de ce personnage une ouvrière de la fantasmagorie, consciencieuse et en bleu de travail, au service de ses multiples récits, elle qui n’aime pas “Le gens qui n’ont qu’une histoire à raconter”. Le décor qui l’entoure accentue l’idée que les épopées qu’elle narre sont telles des édifices en construction. Ses auditeurs ne sont pas dans un théâtre, mais sur un chantier. Les immeubles qui s’érigent se façonnent brique par brique, comme les mondes fictifs se métamorphosent à chaque mot. Pourtant, raconter une histoire n’est pas une chose fixe et immuable, c’est avant tout une pulsion de l’esprit qui épouse une forme changeante. Ainsi, les titres des contes ne sont pas clairement définis et les éléments qui les composent sont réclamés par la foule, bruyante avant d’être à l’écoute. La fin de chaque histoire est cependant marquée par le silence. Après les rebonds de l’aventure, les retours au présent du film sont des instants calmes et planants, durant lesquels Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse laisse infuser sa morale dans l’âme du public.

Le décor de chantier n’est néanmoins qu’un corridor qui mène rapidement aux contes, le cœur et l’âme du Pharaon, le Sauvage et la Princesse. Ermite de l’imaginaire, Michel Ocelot dirige le spectateur à travers le temps et l’espace pour lui faire ressentir une profonde extase face à la richesse des différentes civilisations rencontrées. L’œil flatté par les milliers de couleurs qui s’affichent, l’âme ravie par l’évocation du faste turc ou par celle de la vie au bord du Nil, le public est emporté aux confins de l’Histoire et de ses légendes. Épousant le style habituel qui a fait son succès, notamment aperçu dans Kirikou et la sorcière, le réalisateur représente généralement ses personnages de profil. Dans ce nouveau long métrage, sa patte caractéristique retrouve toute sa pertinence. Ce choix de perspective évoque fatalement les gravures égyptiennes anciennes et les tapisseries du Moyen-âge, dont Michel Ocelot s’est fortement inspiré. Le cinéaste est autant conteur qu’observateur, aussi bien curieux que documenté. L’élaboration du Pharaon, le Sauvage et la Princesse doit d’ailleurs son origine à la soif de savoir intarissable de l’auteur. Le conte du Pharaon est le fruit d’une collaboration avec le musée du Louvre, celui du Sauvage trouve ses racines dans la lecture d’un conte médiévale relaté par Henri Pourrat, tandis que l’histoire de la Princesse des roses et du marchand de beignets, bien qu’ancrée en Turquie, est indirectement issue de mythes marocains. Invitant sans cesse à un dépaysement clairement exprimé dans le foisonnement de cultures qui cohabitent sur les marchés ottomans de la dernière partie du film, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse incite également ses protagonistes à s’ouvrir au monde. Tous sont destinés à quitter leur habitat et à découvrir les mystères qui se cachent hors des murs, tous doivent faire l’expérience de la liberté pour s’épanouir et refuser d’être enclavés dans leur logis.

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Si Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse s’amuse également à changer de grammaire narrative au gré de chaque récit, un même but habite les héros du long métrage, l’amour. Avec une douceur parfois trop candide mais intense, le futur Pharaon quitte sa terre pour se montrer digne de sa dulcinée, le Sauvage nourrit le fantasme d’une dame noble promise, tandis que le vendeur de beignets et la princesse des roses sont deux amants maudits, séparés par les conventions sociales inégalitaires de leur époque. La passion est une promesse pour tous les personnages principaux et bien souvent une réponse à la solitude éprouvée. Le petit garçon qui devient le Sauvage joue seul dans la cour de son château avant d’en être chassé, pourtant l’existence de sa future épouse est pour lui un rêve dont il ne peut se défaire. Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse fait de la division le socle de chaque récit, pour mieux magnifier l’union enfin vécue dans les dénouements heureux de ses contes. Lorsque les regards languis de désir se croisent enfin, le film renonce souvent à ses représentations de profil pour offrir des visuels de face de ses protagonistes. En brisant la règle préalablement établie, Michel Ocelot décuple implicitement l’intensité des sentiments enfin concrétisés. L’amour ne se montre toutefois qu’au plus aventureux. La route vers le bonheur est semée d’épreuves dont il faut s’affranchir et la plénitude d’une passion mutuelle doit se mériter au prix de nombreux efforts. Pour principale arme, les combattants du cœur ont la sagesse et se voient souvent accompagnés en conséquence de l’art dans leur lutte, comme une douce bénédiction. Avant même de se voir, le Sauvage et sa promise partagent une même comptine, marchand de beignets et princesse des roses sont eux unis autour d’une chanson, alors que l’homme joue du saz, un luth moyen-oriental, et que sa belle chante passionnément. Au fil des contes relatés, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse semble également offrir une place plus affirmée aux femmes. Si ses homologues sont malheureusement relativement passives dans les deux premières histoires, la princesse des roses est quant à elle un personnage sûr de ses souhaits et insoumise. 

Comme un trait d’union propre aux trois légendes relatées, l’insurrection face à un pouvoir autoritaire et aveuglé par la colère devient un autre idéal à poursuivre. Souvent sanguinaires, les despotes asservissent les âmes rêveuses de leur joug. Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse en devient presque une invitation à la révolte et à l’esprit critique. Les puissants sont les antagonistes, les opprimés sont les dépositaires d’une vérité supérieure. En se lançant dans une quête affective, les protagonistes sont invités à découvrir une justice nouvelle et un ordre social plus équitable. Le futur Pharaon refuse de devenir un régent tyrannique, le bien être de son peuple est au cœur de ses aspirations. Évoquant lointainement Robin des Bois, le Sauvage dérobe aux riches pour donner aux plus démunis, établissant un nouvel équilibre. En narrant l’histoire d’un homme du peuple qui s’éprend d’une noble, l’histoire du marchand de beignets et de la princesse aux roses est une incitation louable à s’affranchir des barrières sociales pour trouver le bonheur. Une jeune génération est garante d’un avenir meilleur et même si Michel Ocelot prétend ne pas l’avoir fait volontairement, la plupart des protagonistes de ses contes s’opposent à leurs propres parents. La filiation n’est plus une valeur indiscutable et chacun est voué à remettre en cause l’obéissance aux aïeux pour tracer son chemin de vie personnel. À l’inverse des héros, les antagonistes souvent baignés dans l’opulence sont parfaitement immobiles, retranchés dans leurs palais et leurs châteaux. Une noblesse de l’âme se découvre au cours des voyages et ceux qui refusent de s’ouvrir au monde sont voués à la corruption.

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Face à l’ombre des despotes, les personnages principaux de chaque conte sont appelés à prendre leur destin entre leurs mains. Ainsi, le futur Pharaon invoque les dieux pour le guider dans son parcours mais sans cesse les divinités égyptiennes lui répondent un inlassable “Qui vivra, verra”. La route n’est pas tracée d’avance, elle est même souvent tortueuse, mais à ceux qui s’affirment et se montrent honnêtes, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse réserve un sort heureux. À chacun des contes, les protagonistes sont à ce titre voués à prendre les armes pour braver le danger. Pourtant, avec une grande douceur, le sang n’est jamais versé. Puisqu’ils sont purs d’esprit, la rhétorique suffit à convaincre leurs opposants. Le film pourrait se montrer naïf sur ce point, mais il récompense l’esprit plutôt que le muscle. Le Pharaon n’a pas besoin de livrer bataille, sa bienveillance est plus forte que son glaive. Dans une bravade malicieuse, le sauvage ligote un bourreau, brisant l’escalade de la haine. Pour le vendeur de beignets et la princesse aux roses, la fuite est la meilleure solution. Les insoumis triomphent par la ruse et la sagesse, reniant ainsi davantage la logique sanguinaire de leurs ancêtres. Tout est bien qui finit bien, dans un élan du coeur réconfortant.

Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse marie esthétique séduisante et grammaire des contes dans un mélange des cultures envoûtant. Une véritable invitation au voyage.

Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse est disponible en VOD, Blu-ray et DVD chez Diaphana Édition, avec en bonus : 

  • un making of de la fabrication de la musique
  • le court-métrage Pablo Paris Satie

Une édition Fnac est également disponible, avec en bonus : 

  • Michel des Bois, un documentaire de Juliette Binoche

Nicolas Marquis

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