Costa Brava, Lebanon
Costa Brava, Lebanon affiche

(كوستا برافا)

2022

Réalisé par: Mounia Akl

Avec: Nadine Labaki, Saleh Bakri, Nadia Charbel

Film vu par nos propres moyens

Si les esprits les plus effrontés croient encore aux vertus de l’immobilisme, les conséquences du dérèglement climatique sont devenues une réalité pour des millions de personnes. La lutte internationale pour l’écologie et la sauvegarde de l’environnement n’est plus une question d’avenir, elle est une bataille du présent. Alors que la prise de conscience des instances politiques occidentales semble déjà effroyablement lente, les gouvernements du Moyen-Orient apparaissent encore plus en retard dans cette guerre pour la préservation de la vie. Selon des études scientifiques récentes, cette zone du globe pourrait devenir rapidement l’un des premiers émetteurs de gaz à effet de serre, et subir les conséquences d’une hausse drastique des températures dans les prochaines années. Le cinéma de Mounia Akl est un cri d’alarme adressé à la société de son Liban natal, face à cette tragique réalité. Après un cursus universitaire outre-Atlantique, la réalisatrice revient sur ses terres à l’occasion de plusieurs courts métrages, dont la plupart sont axés autour de cette problématique. Pour son premier long, Costa Brava, Lebanon, elle fait à nouveau de sa caméra un outil de dénonciation face à la folie des autorités, inconscientes des conséquences de la pollution.

Costa Brava, Lebanon propulse le spectateur dans un futur proche dangereusement probable, dans lequel le traitement des déchets est devenu synonyme de véritable crise politique au Liban. Loin d’un Beyrouth croulant sous les ordures, la famille Badri vit en complète autonomie dans l’un des derniers espaces de verdure du pays, en osmose avec la nature. Mais du jour au lendemain, leur quotidien bascule: le pouvoir en place fait du terrain adjacent à leur propriété une décharge à ciel ouvert. D’abord dans un rapport de lutte contre l’infamie qui prend place, les Badri cèdent peu à peu face à la fatalité, et les tensions entre les protagonistes s’accentuent, jusqu’à faire exploser le cocon familial.

Costa Brava, Lebanon illu 1

Costa Brava, Lebanon fait du décor de son histoire un organisme vivant, progressivement condamné par la folie des hommes. Alors que la verdure est initialement montrée et ferait presque du domicile des Badri un nouveau jardin d’Eden, l’apparition de la sinistre décharge contamine petit à petit cette oasis luxuriante. Comme une tumeur grandissante, les ordures se rapprochent du domicile, jusqu’à en franchir les clôtures pour asphyxier littéralement les protagonistes, contraints de porter des masques. Les ordures privent les personnages de toute perspective: lorsque l’une des deux enfants des Badri porte son regard vers l’horizon, son champ de vision est obstrué par les immondices, dans l’un des plans les plus marquants du film. Mounia Akl répète cette mise en image quelques minutes plus tard, remplaçant cette fois les détritus par une mer de flammes infernales: le paradis est devenu enfer et l’avenir se dérobe. Pour approfondir le sentiment de gangrène qui fait du logis un lieu de péril, Costa Brava, Lebanon fait saigner la maison. Dans un plan hautement métaphorique, un liquide rouge semblable à de l’hémoglobine s’écoule des robinets de l’habitat et se répand dans la piscine familiale, qui était jusque-là un lieu d’amusement et de partage.

La contamination prend des allures divines, mais Costa Brava, Lebanon en identifie pourtant parfaitement les coupables. Une forte responsabilité est rejetée sur les pouvoirs politiques en place, premiers pourvoyeurs de mort. Mounia Akl met un point d’honneur à dénoncer l’hypocrisie des gouvernements, à travers son scénario comme dans sa mise en image. Ainsi, la décharge est inaugurée en grande pompe par le président libanais, promettant un centre de recyclage révolutionnaire qui ne verra jamais le jour et qui laissera place à un vrai dépotoire. Dès l’entame du récit, Costa Brava, Lebanon dénonce le mensonge d’État, en suivant un véhicule polluant transportant une statue uniquement acheminée pour l’intervention télévisée du politique, dans un culte de l’apparence décadent. Si rien n’est à espérer des instances dirigeantes, alors le pouvoir doit être repris par le peuple. Même si les Badri sont dans un rapport de force disproportionné, même si leur combat est perdu d’avance, le film implore les libanais de se révolter face à la mise en péril de leur futur. Il semble que pour Mounia Akl, quiconque obtient une once de pouvoir, comme le contremaître de la décharge pourtant de bonne volonté, finit par être corrompu. Charge au peuple de s’embraser.

Costa Brava, Lebanon illu 2

La lutte contre le péril environnemental est par ailleurs régulièrement assimilée à une véritable guerre. Consciente que son pays a connu les malheurs des conflits armés, Mounia Akl propose une scène à la force d’évocation qu’aucun libanais ne peut ignorer: sans avertissement, une détonation titanesque retentit et laisse apparaître un cratère béant sur la décharge, semblable à un impact d’obus. Dans la continuité de cette séquence marquante, les flammes qui consument les ordures, en répandant une fumée toxique, continuent de tisser la métaphore du champ de bataille. Face à ce combat, la jeune génération est mise en première ligne, en montrant néanmoins deux mentalités opposées. La plus jeune des filles Badri est frondeuse et pleine de fougue. Armée d’un maigre lance-pierre, elle se lance en croisade contre les travailleurs de la décharge, tel un Don Quichotte face aux moulins à vent. Pour l’aînée de la famille, le dilemme est plus profond: la pollution est devenue son quotidien, et une forme de résignation l’habite. Elle voudrait s’extirper de l’oppressant carcan familial pour vivre une vie de jeune fille normale, mais ne peut pas non plus totalement ignorer la conscience des problèmes environnementaux léguée par ses parents sans assumer une forme de reniement. 

Néanmoins, sa trajectoire semble être celle de la vérité pour Costa Brava, Lebanon, qui montre ouvertement que son père se trompe en faisant le choix de l’autarcie. Alors que le film est un huis-clos absolu dans la maison des Badri, et qu’on ne perçoit la décharge que depuis le jardin familial,  Mounia Akl implore ses personnages de quitter le domicile pour influencer le monde. Le patriarche pense que la résistance passive se limite à rester chez soi, mais le récit démontre qu’il se trompe lourdement, et que son immobilisme est par moments synonyme de complicité implicite. Pour résister, il faut exister, s’opposer, et s’exprimer. Costa Brava, Lebanon propose notamment l’art comme outil de contestation. De la même façon que Mounia Akl emploie elle-même le cinéma pour dénoncer le péril environnemental, la mère de la famille Badri a été chanteuse à une époque, en tête des cortèges de manifestation contre la pollution. Les tensions qui perturbent le calme de la maison ne sont pas qu’imputables à la décharge: la volonté des personnages de s’émanciper des diktats du père pour retrouver un mode d’expression concret est une constante. Pour tous, la solution est à l’extérieur. 

Costa Brava, Lebanon illu 3

L’image dès lors très contrastée du maître contesté de la maison accentue une autre idée motrice de Costa Brava, Lebanon, celle que les aînés se sont fourvoyés, et que les générations futures doivent apprendre de leurs erreurs. Le père a renoncé à changer les choses, au point de ne plus pouvoir gagner Beyrouth, dont on ne perçoit l’ébullition qu’à travers des bribes d’émissions radiophoniques. Baisser les bras est presque semblable à un crime: même si les raisons de son désarroi sont humaines, le long métrage veut donner un nouveau souffle à la lutte. Après avoir porté le flambeau un temps, il doit le transmettre, et non priver ses enfants de leur rébellion légitime. Tous les personnages de Costa Brava, Lebanon ne sont pourtant pas des combattants, et même si la grand-mère de la famille Badri est propice à un attachement fort du spectateur, Mounia Akl ne manque pas de formuler quelques accusations à son encontre. Au crépuscule de sa vie, ce protagoniste semble se désintéresser des problématiques environnementales, consciente qu’elle n’en subira pas les conséquences. Ici, le film pose un double regard, à la fois attendri sur l’ancêtre, et dans le même temps légèrement critique sur sa désinvolture.

Pour parler de problèmes globaux, Mounia Akl joue la carte de l’intime. Costa Brava, Lebanon réussit une synthèse efficace des problématiques liées à la pollution, à travers un récit poignant et accessible.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire