2022
Réalisé par : Ryan Coogler
Avec : Letitia Wright, Angela Bassett, Tenoch Huerta Mejía
Film vu par nos propres moyens
Le 28 août 2020, une vague d’émotion collective submerge le monde du cinéma. À seulement 43 ans et après avoir lutté contre une terrible maladie, l’acteur Chadwick Boseman meurt tragiquement, laissant de nombreux fans dans le désarroi. Si sa filmographie est assez maigre, quelques-uns de ses rôles iconiques ont marqué le public et ont fait de lui une icône. Parmi ses interprétations les plus saluées, ses incarnations du joueur de baseball Jackie Robinson dans 42 et du parrain de la Soul James Brown dans Get On Up restent gravées pour toujours dans la mémoire des spectateurs nord-américains. Néanmoins, le comédien doit sans conteste sa renommée internationale et son aura unique à ses collaborations multiples avec Marvel Studios. Depuis 2016 et Captain America : Civil War, il offrait régulièrement son visage à T’Challa, alias Black Panther, le super héros régent du royaume africain fictif du Wakanda. Dans le paysage en constante évolution du Marvel Cinematic Universe, Chadwick Boseman apparaissait comme l’un des solides piliers du futur artistique de Disney, conforté par le triomphe au box-office du premier film consacré exclusivement à Black Panther, sorti en 2018. Davantage qu’un simple succès de salles, le long métrage confinait au phénomène de société aux États-Unis, devenant par là même un porte-étendard de Marvel Studios. Le décès inattendu de l’acteur est un séisme pour la firme, qui décide néanmoins de perpétuer l’héritage de T’Challa au cinéma, après une succession d’hommages poignants dans les médias. Un roi est mort mais son costume doit lui survivre et se transmettre. Le très attendu Black Panther: Wakanda Forever a donc pour périlleuse mission d’effectuer une douloureuse transition, mais aussi de bâtir un futur pour la licence. Le film devient alors autant une nouvelle aventure se voulant rythmée qu’un salut appuyé à Chadwick Boseman, dont l’ombre plane constamment sur le récit. Si le long métrage échoue lamentablement presque tout ce qu’il entreprend, son réalisateur Ryan Coogler sait au moins rester digne au moment de faire un dernier adieu à son acteur principal. L’iconique musique qui ouvre chacune des nouvelles productions Marvel est remplacée par un touchant instant de silence. Malheureusement, alors que les conséquences du deuil sont un pivot du récit, l’échec se révèle cuisant lorsque l’on constate à la fin de la séance que ces quelques secondes muettes constituent le seul vrai sommet émotionnel de Black Panther: Wakanda Forever.
La mise en scène de la mort de T’Challa sans faute de goût était au centre des inquiétudes des spectateurs avant la découverte du film et Ryan Coogler choisit d’en faire le point de départ de son scénario. Sans jamais montrer le roi agonisant, Black Panther: Wakanda Forever confronte le peuple du Wakanda à la disparition de son héros et leader, laissant la plupart des personnages dans une tristesse infinie. Au centre du récit, la sœur du défunt, la scientifique Shuri (Letitia Wright), tente de se reconstruire après sa perte, mais s’emmure ostensiblement dans son laboratoire pour ne pas affronter son chagrin. Sa mère désormais régente du royaume, Ramonda (Angela Bassett), fait quant à elle face à une crise internationale. Les nations du monde entier se sont lancées en quête de vibranium, un métal aux propriétés uniques et qui n’a jusqu’alors été découvert qu’au Wakanda. Lorsque lors d’une prospection sous-marine en plein océan, les USA font la découverte d’un gisement, ils se heurtent à la présence hostile d’étranges humanoïdes aquatiques qui défendent le filon dans la violence. Jusqu’alors coupé du monde, le royaume secret de Talokan, mené par le roi Namor (Tenoch Huerta Mejía), se révèle. Malgré un maigre espoir d’alliance pour conserver le monopole du vibranium, Talokan et Wakanda sont destinés à s’affronter, et Shuri à occuper progressivement la place laissée vacante par son frère, aidée par la colonelle des amazones de sa nation Okoye (Danai Gurira), mais également par une toute jeune scientifique prodige américaine, Riri (Dominique Thorne), détentrice d’une armure proche de celle d’Iron Man.
L’ancienne garde se meurt progressivement dans Black Panther: Wakanda Forever et une nouvelle génération est appelée à endosser le rôle laissé vacant par les aînés. Derrière toutes les exaspérantes grossièretés de son film, Ryan Coogler pense parvenir à dépeindre une période de transition pour chacun de ses personnages, désormais privés de leurs figures tutélaires et destinés à une émancipation précipitée. L’héritage et la responsabilité qui en découlent sont les moteurs d’une œuvre qui alterne entre évocations implicites parfois séduisantes du leg, et exagérations outrancières du moindre sentiment pour les protagonistes, à travers une paresse d’écriture accablante. Les héros du film sont tous tiraillés par le poids d’un deuil impossible, que ce soit une mère depuis longtemps disparue pour Namor, un père rapidement mentionné pour Riri, ou les innombrables drames qui frappent la famille de Shuri. Black Panther: Wakanda Forever alterne subtilité et manque absolu de retenue, dans un profond déséquilibre qui a parfois tendance à confondre le public avec de parfaits imbéciles, pour signifier l’aura de mentors désormais absents. Riri n’a jamais connu Iron Man et il n’est jamais fait mention de Tony Stark dans le film, pourtant sa présence est palpable dans les séquences où la jeune scientifique fabrique son armure dans son garage, ou lorsqu’elle s’élance vers les cieux avant de retomber inconsciente, dans une scène qui cite ouvertement Avengers. Sans un mot, Ryan Coogler matérialise l’invisible, dans ce qui est peut-être sa seule réussite.
La présence des ombres du passé était déjà au centre du premier Black Panther, avec l’installation du plan ancestral, un univers mystique parallèle accessible aux héritiers du trône du Wakanda, dans lequel ils peuvent communiquer avec leurs ancêtres. Si cette nouvelle aventure finit par employer à nouveau cette étrange dimension, comme si le spectateur idiot n’avait pas compris le sens de la démarche du réalisateur, les fantômes des défunts sont le plus souvent associés au manque affectif qu’ils créent dans la réalité, dans un espace du coeur laissé tristement vacant. La finalité de la quête de Shuri qui la conduit à endosser le costume de Black Panther est un secret de polichinelle, trahi bêtement par des dizaines de spots promotionnels, mais le film marque la nécessité pour elle de s’extirper du cocon artificiel de son laboratoire et de découvrir le monde pour devenir héroïne. Néanmoins, malgré la charge émotionnelle propre à ce périple, Ryan Coogler se révèle parfaitement incapable d’offrir la moindre sincérité ou tension dramatique à son film. En s’écartant régulièrement de Shuri pour céder aux codes habituels du blockbuster, qu’il ne semble que peu enclin à épouser vu son désintérêt criant pour toute scène d’action, le cinéaste crée un faux rythme parfaitement épouvantable, entre ennui de séquences larmoyantes répétitives, et explosions sans ampleur. Le montage de Black Panther: Wakanda Forever est à deux visages, rompant complètement avec l’idée même d’une identité claire et cohérente. Le lent plan-séquence retraçant la mort de T’Challa apparaît en complète contradiction avec le rythme d’images éfrenné et dément de scènes d’action, sans provoquer de contraste pertinent. Loin de ponctuer habilement le film, cette dichotomie ne fait que priver les instants d’émotion de leur substance et les affrontements, par ailleurs sans imagination, d’un plaisir primaire. Le parcours de Shuri, si grossièrement écrit, en devient effroyablement candide et le spectateur ne peut accepter ses errances qu’en lui concédant une forme de bêtise qui ne conduit jamais à voir en elle une future régente.
Le deuil devrait être l’explication à tous les rebonds de Black Panther: Wakanda Forever, avec une effroyable facilité, pourtant jamais le film ne réussit à restituer l’intensité de la perte d’un être cher avec suffisamment d’honnêteté pour toucher le spectateur. La mort est sans cesse l’élément déclencheur d’une colère propice aux pires incohérences de l’histoire, mais jamais une épreuve émotionnelle ressentie. Impossible de pardonner aux protagonistes leurs erreurs sans éprouver leur peine, soit trop grossièrement montrée, soit trop vite oubliée pour se réfugier dans la grammaire éculée du cinéma à gros budget. Ryan Coogler démontre à ce titre qu’il est parfaitement incapable d’offrir différentes nuances à la disparition de deux personnages distincts. Les obsèques de T’Challa, puis ceux de Ramonda, sont filmés exactement de la même façon, créant une nouvelle répétition inutile dans un film qui se permet pourtant de traîner en longueur et de se donner une fausse contenance. La perte d’un proche n’a rien d’un séisme pour Shuri, elle n’est que prétexte à l’avancée robotique d’un scénario sans surprise, au point de pourvoir l’héroïne d’une tristesse à intensité variable selon les besoins de l’histoire. Si le décès de son frère la plonge dans l’introspection taiseuse sans la mener à la catharsis, la mort de sa mère l’enrage à l’extrême, sans cohérence, comme si la protagoniste n’était tout simplement plus la même. Black Panther: Wakanda Forever ne peut dès lors que s’effondrer comme le vulgaire château de cartes qu’il est, puisque le chagrin factice est le trait commun à absolument tous les personnages du film. Les Wakandais ont perdu plusieurs membres de la famille royale, ce que le long métrage entend montrer dans une séquence censée être émouvante mais pourtant profondément risible, au cours de laquelle Angela Bassett et Danai Gurira rivalisent de surjeu; Namor a perdu une mère mais ne semble tiré de sa peine qu’une sorte de colère d’enfant gâté; Riri, décidément le personnage le moins raté du film, laisse deviner qu’elle est orpheline. Pour Ryan Coogler, le deuil est à peine plus éprouvant qu’une crise d’adolescence juvénile, alors que le réalisateur pense accomplir une grande fresque humaine et politique.
De quoi laisser le spectateur avec un profond sentiment d’acte manqué. En offrant l’univers de Black Panther au metteur en scène, Marvel ne lui confie pas uniquement le destin du super-héros ou de ses potentiels héritiers, mais bien un royaume entier, celui du Wakanda, comme terrain de jeu. Pourtant, Black Panther: Wakanda Forever se montre constamment d’une naïveté absolue par rapport aux drames et aux dilemmes internationaux. Le Wakanda est l’une des nations les plus puissantes au monde, comme le mentionne explicitement le long métrage, toutefois elle est aux mains de dirigeants qui n’agissent que sous le coup de l’impulsivité, annihilant ainsi la sagesse séduisante du premier film. Ramonda devrait incarner une forme d’autorité morale et de conscience supérieure des intérêts de sa nation, néanmoins, dans un bâtiment de l’ONU, elle agit en enfant capricieux, faisant de la politique un spectacle, et contredisant même la mission de T’Challa qui souhaitait ouvrir les frontières de son pays pour occuper une place prépondérante sur la scène mondiale. Toutes les intrigues de pouvoir se résolvent dans la salle du trône, entre deux jérémiades absurdes de conseillers qui changent d’avis sur un coup de tête. Le film illustre parfaitement son repli vers une forme d’obscurantisme lors de la scène montrant l’acceptation de Shuri en Black Panther. L’héroïne n’est pas reconnue suite à un débat d’idées, mais uniquement après un bras de fer avec un chef de tribu du Wakanda. Le cerveau est en fuite, il ne reste que les muscles. Face à la friabilité de l’univers politique dépeint, la guerre avec Talokan devient ridicule. Non seulement le spectateur ne conçoit pas un seul instant que Black Panther: Wakanda Forever refusera des affrontements attendus entre les deux peuples, malgré les très longues minutes qui s’écoulent avant la première empoignade, mais en plus le dilemme des wakandais ne semble faire aucun sens. Les deux uniques solutions avancées par le film sont une alliance avec un pays belligérant ou une inféodation aux intérêts américains. L’indépendance du Wakanda disparaît lentement, dans un cri d’agonie éprouvant. L’égo de personnages franchement sans saveur est la seule motivation des décisions les plus capitales pour l’avenir. Peu importe le sort des habitants de cette place forte mondiale, ou même de la planète, tant que Ramonda et Shuri peuvent laisser libre court à leur lubies personnelles. Ryan Coogler entend confronter ses héros à l’impossibilité de la neutralité, en les dépossédant de cette option à travers la perspective que le vibranium trouvé ailleurs puisse être détourné à des fins militaires, mais sans cesse le cinéaste ramène cette idée à une échelle intime hors de propos. Les scènes d’action seraient presque une illustration involontaire amusante de cette turpitude du scénario, si elles n’étaient pas aussi navrantes pour une production pourvue d’un tel budget. Régulièrement, Namor prétend être à la tête d’une des armées les plus vastes au monde, pourtant à l’écran, les talokans ne sont jamais plus de quelques dizaines, face à une infime poignée de wakandais. De guerre internationale, Black Panther: Wakanda Forever bascule dans l’évocation visuelle d’une bagarre de cour de récréation, résolue par une invitation désespérante à l’amitié boursouflée de bons sentiments absurdes.
Les affrontements ne sont jamais que la matérialisation la plus concrète de la déroute complète du film en matière de direction artistique. Les représentations du Wakanda et de Talokan sont frappées du sceau de la paresse technique, refusant ainsi au spectateur le souffle épique promis par ce type de production. L’immense mégalopole bouillonnante de vie affichée dans Black Panther cède sa place à trois maigres ruelles et à un marché désert à l’apparence totalement artificielle, faisant du Wakanda un village de plastique. L’absence totale de technologie de pointe issue de l’exploitation du vibranium achève une dichotomie totale avec le premier opus. Si le volet originel des aventures de Black Panther faisait de l’avancée scientifique de la nation un pivot de son récit au point d’y inscrire sa scène finale, amenant par ailleurs un judicieux contraste avec la représentation usuelle de l’Afrique, ce second film réduit considérablement cet aspect de l’univers à quelques vaisseaux épars dans le ciel. Ryan Coogler semble plus désireux de renouer avec une esthétique tribale mais perd alors immédiatement une des quelques belles idées propres au Wakanda. Sur un continent opprimé par l’Occident, une nation s’imposait sur l’échiquier mondial, notamment grâce à son savoir. L’équilibre inspirant entre modernité et tradition est ici complètement rompu au bénéfice d’une exagération désormais sans retenue. En découle un problème majeur du long métrage, alors que Black Panther: Wakanda Forever entend ouvertement opposer la technologie wakandaise, presque uniquement illustrée par le laboratoire de Shuri, à la vision du royaume de Namor, profondément associé à l’imagerie aztèque, mais également à une communion avec la nature comme le montre d’incessants plans sur les baleines entourant la ville sous marine. La visite de Talokan constitue probablement l’une des scènes les plus gênantes de l’histoire du Marvel Cinematic Universe, entre installation scénaristique défaillante et mise en scène parfaitement grotesque. Le public était placé dans une position de défiance absolue envers les humanoïdes, accentuée par leur cruauté ouvertement étalée, mais en un quart de seconde, il est demandé au spectateur d’admettre leur bonté dans une avalanche d’instantanés parfaitement niais, à l’image des enfants malicieux qui saluent Namor dans un déferlement d’effets spéciaux totalement hideux. Aucun sentiment d’adhésion ou de dilemme ne naît de cet instant esthétiquement atroce. Comme symbole d’un équilibre à trouver, Shuri est vouée à retrouver un compromis entre modernité et tradition, en synthétisant artificiellement une plante issue du royaume sous-marin pour devenir elle même Black Panther, mais l’accomplissement de sa tâche, tellement attendu, intervient après deux heures d’un ennui profond, dans le désintérêt complet.
À ne pas vouloir, ou ne pas pouvoir, choisir entre le drame et le film d’action, Ryan Coogler accomplit le prodige de n’aller au bout d’aucune de ses volontés. Il semble que le réalisateur veuille offrir un long métrage torturé psychologiquement, avec des turpitudes morales qu’il juge pertinentes, mais son choix de constamment ramener la réflexion de ses personnages à des instincts primaires empêche complètement l’attachement du public à des protagonistes parfaitement caricaturaux. Face à des situations censées naturellement les inviter à agir pour le bien commun, les héros du film font constamment le pire choix possible, dans une dégringolade de bêtise humaine exacerbée par quelques performances d’acteurs calamiteuses, Angela Bassett pourtant nommée aux Oscars en tête. Black Panther: Wakanda Forever n’offre même pas le réconfort de scènes rythmées de grande envergure, pourtant le propre du Marvel Cinematic Universe. À l’évidence, le spectacle régressif a ses limites intellectuelles, mais Ryan Coogler ne peut même pas se vanter d’avoir combler les attentes de la partie la moins exigeante de son public. Il semble complètement désintéressé par cet aspect de son film. Malgré un budget phénoménal, le cinéaste refuse le plaisir primaire, se pensant un temps Shakespeare moderne, alors que ses intrigues dans la salle du trône ne cessent jamais de démontrer sa médiocrité. Le réalisateur et scénariste pense sûrement que les deux axes de son film coexistent et s’alimentent mutuellement, pourtant ils ne font que se contredire en permanence, faisant de Black Panther: Wakanda Forever un curieux objet hybride sans autre personnalité que celle héritée lointainement du premier film. Des pans entiers de son œuvre, occupant de longues minutes inutiles, apparaissent parfaitement accessoires et tellement déconnectés de l’intrigue principale qu’on en vient à se demander pourquoi ils existent. Ainsi, les apparitions de Martin Freeman et Julia Louis-Dreyfus n’apportent strictement rien au récit et ne sont probablement présentes à l’écran que pour assurer une forme de continuité dispensable avec le reste du Marvel Cinematic Universe et esquisser des pistes pour le futur. Mais à trop penser à l’avenir, le film en oublie le présent, et s’enlise dans l’échec craint dès l’annonce même du projet. Black Panther: Wakanda Forever n’a servi à rien, il n’est qu’une étape de transition sans grandes conséquences, jusqu’à sa scène post-générique traditionnelle d’un goût douteux. Jamais à grand spectacle, et assurément pas aussi profond que le pense un Ryan Coogler plus prétentieux que jamais, le long métrage sombre dans les limbes de l’oubli.
Black Panther: Wakanda Forever accumule tant d’erreurs grossières qu’il en deviendrait presque fascinant, s’il n’était pas aussi ennuyeux. Un voyage à la lisière du sommeil.
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