Le déclin de l’empire américain

1986

de: Denys Arcand

avec: Dominique MichelDorothée BerrymanLouise Portal

En 1986, le cinéaste canadien Denys Arcand entamait ce qui allait être l’oeuvre de toute une vie: “Le déclin de l’empire américain” représente la première pierre d’un édifice que le réalisateur allait travailler au gré de ses films. Succès critique, avec le prix de la critique internationale à Cannes, et une nomination dans la catégorie « meilleur film en langue étrangère » aux prestigieux Oscars, mais également succès public, devenant l’un des films les plus rentables du cinéma canadien et le film québécois le plus vu en France, à l’époque.

Derrière tout ce prestige, “Le déclin de l’empire américain” est ce qu’on pourrait appeler un film à thèse: réunis pour un week-end à la campagne, une bande d’amis, pour la plupart intellectuels et professeurs de faculté, évoquent leurs aventures sentimentales et sexuelles. Et on préfère prévenir immédiatement nos lecteurs qui serait en manque d’affection que le film n’a rien d’un soft-porn, mais plutôt la forme de longues conversations, qui vont tenter de restituer le sentiment amoureux et l’appétit charnel de leur époque.

La structure narrative est relativement simple, et on peut délimiter le film en deux segments bien distincts. La première partie voit hommes et femmes séparés, les personnages masculins s’affairent en cuisine pendant que les protagonistes féminins sont réunis dans une salle de sport. Une première moitié qui ne nous apparaît pas comme la plus brillante. On pourrait même dire mal vieillie et un peu condescendante.

« Dis-moi des cochoneries en québecois »

Effectivement, à l’instar des Woody Allen les moins aboutis, et même en se replaçant dans l’époque, plusieurs idées du film semble un peu contredites par l’histoire d’une part, et parfois assénées telles des vérités absolues alors que l’on pourrait en débattre plus ardemment. On pense notamment aux hommes, dépeints comme infidèles par nature, puisque tous les héros masculins semblent y avoir céder très régulièrement. Une thèse sur laquelle on peut rester circonspect. Même en réduisant le spectre du film à une classe sociale bien particulière, d’anciens jeunes des années 60 devenus intellectuels, on ne peut que contrebalancer ce que Denys Arcand tente de démontrer. L’infidélité chronique? Pour vous comme pour nous, les exemples inverses pleuvent.

On pense aussi à la manière dont le cinéaste évoque l’homosexualité: le seul personnage uniquement homosexuel est un homme tandis que les femmes sont forcément bisexuelles. C’est un peu simpliste, même si le réalisateur en profite pour parler du sida de manière assez pertinente pour l’époque.

Pour notre part, c’est aussi cette idée que les femmes prennent progressivement le pouvoir dans la société qui nous a dérangé. Si cet axe est surtout l’occasion d’appuyer la peur des hommes de leur perte de pouvoir progressive, il faut garder en tête que le film date des années 80 et que les récentes années ont bien prouvé que le patriarcat avait encore de longs jours heureux devant lui.

Réellement, cette première partie paraît bancale, et le film va trouver un nouveau souffle, bien plus pérenne dans sa deuxième moitié, lorsque qu’hommes et femmes enfin réunis vont opposer leurs anecdotes. Bien plus mordant, et plus cruel, le cinéaste semble abandonner un côté “donneur de leçons” pour laisser ses personnages s’épanouir et ne plus imposer des idées contestables. Cette opposition désormais ouverte du film est plus nuancée, plus réfléchie. 

De la rigolade amicale des premières minutes, on passe à un jeu cruel, où chaque évocation d’aventure passée est une opportunité de faire mal à son prochain et aussi l’occasion de constater que cette bande d’amis vit dans le mensonge larvé. Denys Arcand y apparaît plus pertinent dans son propos. Ce que l’on pouvait apparenter à un mépris très masculins des femmes dans la première partie va revenir en pleine figure de nos héros, et cette idée d’infidélité chronique qui nous avait dérangé passe un peu mieux lorsque l’on constate que les hommes sont pris à leur propre jeu. Même si une fois de plus, le cinéaste semble s’accrocher à son idée contestable.

Le souci du “déclin de l’empire américain” c’est peut-être la manière dont il restreint la classe sociale de ses personnages. Il y a bien un instant où cette appartenance va être mis à mal, mais de manière très rapide. On ne peut s’empêcher de penser que le film aurait gagné en profondeur en diversifiant davantage ses personnages, et en y incorporant des gens plus simples.

Premier film d’une trilogie, sur laquelle Denys Arcand ne reviendra qu’au siècle prochain avec “Les invasions barbares” en 2003, puis “L’âge des ténèbres” en 2007, “Le déclin de l’empire américain” a suffisamment attisé notre curiosité pour nous pencher bientôt sur la suite. Notez aussi qu’en 2018, le cinéaste a sorti un film au titre très proche: “La chute de l’empire américain”, pourtant assez différent dans ses thématiques. Trois autres films donc, sur lesquels Les Réfracteurs se pencheront bientôt, vous pouvez comptez sur nous !

5000

D’intelligence le film ne manque pas, mais une espèce de condescendance chronique et quelques idées contestables le plombent. Mais gardons en tête que “Le déclin de l’empire américain” n’est qu’un premier essai sur des thématiques que le cinéaste va travailler tout au long de sa vie. C’est à la fin de ce triptyque que notre jugement sera définitif, même si on est quelque peu sceptiques sur ce premier film.

Nicolas Marquis

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