2022
Réalisé par: Joel Coen
Avec: Denzel Washington, Frances McDormand, Alex Hassell
Film vu par nos propres moyens
La première chose qu’il faut noter à propos de The Tragedy of Macbeth, c’est que le film est renversant de beauté. Il convoque des références aussi riches que les films de Dreyer, comme Ordet, ou Le Septième sceau de Bergman, deux films dont il partage l’ouverture. L’aspect de la sorcière dans Macbeth est un écho de la Mort dans le film de Bergman. Les décors et les cadres rappellent certains tableaux des peintres du Quattrocento, de Rembrandt, de C.D. Friedrich ou encore de Giorgio de Chirico et Maurits Cornelis Escher.
Le noir et blanc de Bruno Delbonnel, déjà associé aux frères Coen pour Inside Llewyn Davis et La Ballade de Buster Scruggs, est nuancé et donne de la matière et de l’amplitude à une image au format 1,37 (ou format académique). Pour pallier ce format carré, Coen s’appuie sur la profondeur de l’image, sur les arrière-plans. Ainsi, le film s’ouvre sur des corbeaux en vol au milieu d’un épais nuage. Les oiseaux volent en cercle comme des charognards autour d’une future dépouille. Apparemment, le spectateur est placé du point de vue de la proie. Lorsque le nuage se déchire, un homme en marche apparaît et l’on comprend que le nuage était un brouillard, que le plan est en plongée et non en contre-plongée. En résumé, lorsque l’horizon, le rideau – rappelons-nous qu’il s’agit de l’adaptation d’une pièce de Shakespeare – se dégage, ce que l’on a cru voir n’était pas la vérité.
Macbeth raconte comment, dans l’Ecosse du 11è siècle, un homme rongé par l’ambition commet les crimes les plus indignes pour rencontrer son destin qu’il imagine glorieux. Sur le chemin qui le mène à son roi, Macbeth et son frère d’armes Banquo rencontrent un étrange oracle qui prédit que le premier sera roi, et que le second sera père de roi. Transporté par la prophétie, Macbeth, encouragé par sa femme, précipite sa destinée et assassine le roi Duncan. En proie à la culpabilité, les deux époux s’enlisent dans la folie.
La pièce est fidèlement mise en scène par Joel Coen, quelques raccourcis sont empruntés, quelques scènes sont inversées pour fluidifier le récit. Le changement le plus conséquent en ce qui concerne l’interprétation du propos est le personnage de Ross (interprété par Alex Hassell), assemblage de plusieurs rôles dans la pièce qui devient dans le film un personnage bien plus important et bien plus mystérieux, une sorte de bras armé du destin.
Adapter Shakespeare, plus particulièrement Macbeth qui a été porté au cinéma de nombreuses fois, récemment encore, s’avère une gageure. Joel Coen fait de son couple de criminels deux personnages plus dévorés par l’angoisse de l’oubli et de la solitude que par l’ambition du pouvoir. Vieillissant, sans enfant, le trône est leur chance d’entrer dans la postérité.
Dans les rôles principaux, Denzel Washington et Frances McDormand sont fantastiques. Derrière la femme tenace, l’actrice laisse apparaître une fêlure donnant une interprétation nouvelle au personnage de Lady Macbeth : elle est une femme sans enfant, et son âge ne lui permet plus d’espérer un héritier.
Quant à Washington, sa voix traînante et douce confère un rythme particulier au texte de Shakespeare, particulièrement dans les monologues qui mettent au défi le souffle de l’acteur. La mélancolie de l’âge confère aux deux comédiens une gravité touchante.
Cet homme et cette femme qui tentent leur dernière chance avant de sombrer dans l’oubli, s’assortissent parfaitement aux thèmes de la filmographie de Joel Coen. Comment malgré tous leurs efforts, des personnages n’arrivent-ils pas à échapper à la fatalité ?
Car aux desseins des Macbeth se substitue celui d’un esprit surplombant et cruel qui éveille et motive les faiblesses des hommes. Cet esprit se travestit, change de forme et se démultiplie jusqu’au saisissant plan final. Conscient de cette présence qui rôde, le roi Duncan, victime à venir, ne cesse de lever les yeux vers le ciel.
Le réalisateur ne prétend pas faire oublier la pièce, au contraire, il plonge dans l’artifice du théâtre et du cinéma. Macbeth face à une toile qui recouvre un paravent regarde une scène en ombre chinoise se dérouler sous ses yeux. Banquo entre dans la lumière d’un projecteur qui s’allume bruyamment. Et à la fin, ce son de projecteur retentit encore pour « éteindre » l’écran. Le décor ne fait jamais semblant d’être vraisemblable. Il joue au contraire sur des évocations visuelles et des espaces vides aux proportions démesurées. Film après film, Joel Coen semble répéter qu’aussi dramatiques soient les événements, tout ça n’est que comédie. Malgré cette maîtrise de la mise en scène, malgré la beauté du film, malgré la cohérence dans la filmographie du réalisateur, il manque toutefois une étincelle à The Tragedy of Macbeth. Parmi les films distribués par A24, on constate une uniformité, l’établissement d’une sorte de formule : format carré, noir et blanc, langueur de l’action et de l’atmosphère, prédilection pour les sujets touchant à l’étrange, attachement à une esthétique hyper léchée, allant parfois (et ce n’est pas le cas pour ce Macbeth) jusqu’à la fatuité. Ces choix ont pour conséquence de mettre à distance le spectateur, d’entraver son empathie envers les personnages, voire de lui retirer tout engagement émotionnel. La langue poétique de The Tragedy of Macbeth étant déjà un obstacle à franchir, des choix visuels un peu moins austères auraient peut-être insufflé un supplément d’âme au film..
The Tragedy of Macbeth est disponible sur Apple TV.
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